1312 - Les phares sans mer
N. Lygeros
En voyant tous ces moulins à vent brisés en Grèce, je ne peux m’empêcher de penser aux Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet et en particulier au Secret de Maître Cornille. Tandis que la société touristique est en plein expansion aux abords des moulins – ceci est particulièrement vrai dans les Cyclades – les moulins à vent sont en ruine. Ils demeurent ainsi délabrés à côté d’hôtels d’un luxe superfétatoire pour la région. Ces moulins qui ont nourri ce peuple pendant des siècles, les voilà désormais abandonnés à leur propre sort. Inhabités, si ce n’est par les pigeons, ces témoins d’un autre temps, ces albatros aux ailes de géants qui les empêchent d’évoluer dans cette société de la consommation, attendent patiemment leur mort à moins qu’une entreprise de démolition ne leur donne le coup de grâce et abrège leurs souffrances en leur donnant directement la mort afin de construire quelque chose de plus utile. Il n’est donc pas étonnant que ces images nous rappellent le film en noir et blanc intitulé Regain. Alors qu’il date de 1937, il traite déjà du problème de la désertification des villages dans les campagnes. Et ce n’est pas par hasard qu’un des éléments principaux du scénario s’avère être le pain à travers le blé. Il est vrai que le problème du moulin n’est pas directement traité néanmoins nous voyons un marchand de blé sans concession s’emparer avidement des récoltes de certains pour les concentrer ailleurs. Un autre élément sans doute anecdotique mais néanmoins utilisé avec tendresse c’est que le blé est nécessaire en raison de la présence féminine dans le village. C’est elle qui demande à son mari de lui apporter du pain via la culture du blé. Cette sédentarisation sans doute exagérée dans ce film mais il ne faut pas oublier sa date de tournage, est l’une des caractéristiques du développement de la culture humaine. Cependant dans le contexte actuel, nous observons un processus de nomadification. Les personnes ont une mobilité de plus en plus grande et s’éloignent peu à peu des valeurs du terroir, même si ce dernier joue parfois en contrepoint. Le système n’a donc plus de stabilité locale. Et c’est pour cette raison que les moulins à vent, ces phares sans mer, deviennent inutiles car ils sont simplement hors contexte. Pourtant les éoliennes ont le vent en poupe dans le domaine des énergies de substitution. Aussi il serait très facile de combiner cette technologie avec les moulins existants puisque ces derniers sont géographiquement situés en des endroits stratégiques en termes d’anémométrie. Structurellement parlant, le moulin à vent ne peut être utile même si sa fonction a changé à la suite de l’évolution de la société. Il est tout simplement insupportable de les laisser à l’abandon au milieu d’une économie florissante en raison du tourisme. Même en termes d’investissement, la restauration d’un moulin à vent dans ce cadre, est non seulement sensée mais judicieuse car elle permet de mettre en valeur l’attrait touristique de la région sans être insensible à son patrimoine. Il paraît néanmoins peu vraisemblable qu’une telle proposition soit adoptée. Il faut pourtant la tenter car les arguments existent. De plus, ce serait une manière efficace de rendre hommage à tous ces hommes du passé qui ont oeuvré pour que ces phares sans mer existent.