1349 - Sur la loi de la supériorité intrinsèque de la défense
N. Lygeros
En raison de l’état d’esprit général qui a régné dans le passé, la théorie sur la défense est malheureusement fragmentaire. En réalité, il n’existe que trois exceptions à cette règle. Dans l’ordre historique, il s’agit du comte de Schaumbourg-Lippe, de Carl von Clausewitz, et de Julian Corbett.
En raison de la domination sur le plan de la stratégie théorique, d’une inertie intellectuelle, il a été extrêmement long de renverser la hiérarchie classique. Alors que nous avons des exemples classiques qui vont dans le sens de Clausewitz, comme Pavie (1525), Malplaquet (1709), Poltara (1708), Kolin (1797), Torres-Vedras (1810), Plevna (1878), Champagne (1915) ou Koursk (1943), Laurent parle encore du rendement supérieur de l’offense sur la défense en se basant sur les exemples d’Austerlitz, Cunaxa, Poitiers et Trafalgar.
Seulement si nous utilisons le principe de symétrie introduit par John Nash dans la théorie des jeux, alors le point de vue stratégique est radicalement différent car bien des batailles auraient eu une tout autre fin si les adversaires avaient été échangés. Car la conclusion de certaines batailles ne provient pas de l’offense mais de qui choisit la stratégie gagnante en fonction de ses caractéristiques de stratège. En réalité, si nous examinons objectivement les facteurs mis en évidence par Clausewitz, il est évident que nous obtenons un changement de phase décisif au niveau de la mentation stratégique. Ces facteurs sont les suivants : l’usage du terrain, la possession d’un théâtre de guerre préparé, le soutien populaire et l’avantage d’attendre l’ennemi. Ces facteurs ne sont pas tous du même niveau mais ils ont tous leur importance et ce particulièrement pour des opérations d’envergure ou des batailles de choc. En effet, l’avantage considérable de la défense sur l’offense provient des informations que donnent nécessairement l’attaquant. Le défenseur adapte son jeu et optimise son gain en connaissant les mouvements de l’attaquant. Si nous analysons cela en terme de théorie des jeux alors il est possible d’introduire la consécutivité qui modifie grandement certains résultats obtenus sur la base de la simultanéité. Nous sommes dans une configuration qui demeure celle de l’équilibre de Nash mais quelque peu modifié en raison de ce changement qui est analogue à la modification de l’équilibre de Pareto via la solution de Stackelberg. Dans notre cas, le second joueur exploite une information supplémentaire. Bien sûr, il doit s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une désinformation de la part du premier joueur qui possède l’initiative. La différence stratégique revient donc à comparer l’initiative à l’information. Cela explique ainsi que l’offense doit être menée dans une position de force puisqu’une fois l’initiative lancée, l’information modifie les paramètres des conditions initiales. L’attaque est a priori supérieure mais la défense l’est a posteriori. Ainsi la loi de la supériorité intrinsèque de la défense énoncée par Clausewitz est une forme stratégique d’une problématique informationnelle de la théorie des jeux.