13508 - Commentaires sur la seconde conférence du livre de Coutau Bégarie. (avec P. Gazzano)

P. Gazzano, N. Lygeros

La stratégie ne peut être envisagée sans l’action de l’intelligence.

L’expression ne peut être plus claire et elle définit la nécessité de l’intelligence au sein de la stratégie alors que cela ne semble pas évident pour les ennemis.

La stratégie est un art en tant qu’elle est une pratique. Mais elle est aussi une science en tant que cette pratique s’appuie sur un corps de connaissances systématiquement ordonnées, qui peut faire l’objet d’une étude scientifique (au sens des sciences sociales).

La stratégie dans ce sens ne se réduit pas uniquement à l’art de la guerre car elle comporte des éléments techniques et scientifiques même si elle ne peut être interprétée comme une science en tant que telle au sens strict du terme.

L’art stratégique est pratiqué par le stratège, la science stratégique par le stratégiste. L’époque contemporaine a tendu à dissocier l’homme de puissance de l’homme de connaissance, alors qu’ils avaient longtemps été confondus.

Aussi pour avoir un sens plus strict, il existe cette tentative de clarifier son positionnement afin de rendre un sous-ensemble cohérent. Néanmoins, il est évident que cette manière de procéder ne peut recouvrir l’ensemble de la stratégie.

La science stratégique est pragmatique. C’est une science pour l’action. Mais cette action a besoin de la réflexion : la doctrine contient une théorie, implicite ou explicite, et fonde une pratique.

La théorie se met à l’écart et ne peut donner prise à des actions effectives. Dans la tentative de mettre en place un système, il ne faut pas oublier la cohérence globale. Séparer la pensée de l’action revient à remettre en cause la nécessité de l’intelligence au sein de la stratégie. Aussi nous savons que cela ne peut représenter dans le meilleur des cas qu’un intermédiaire qui ne peut être global.

La théorie transforme un savoir instinctif en savoir scientifique, des intuitions en système. Elle définit des concepts, des méthodes, supposées universellement valables, en tout cas applicables au-delà des préoccupations immédiates.

La codification ne peut que renforcer un système, cependant si celui-ci n’est pas bien fondé, cela ne peut que permettre de mettre en évidence les faiblesses.

La doctrine fait application de la théorie à un cas concret. Elle est locale (nationale) unilatérale, prescriptive, immédiate. On admet un débat doctrinal, mais la doctrine officielle requiert l’adhésion (intelligente, adaptée aux circonstances) des exécutants.

Le retour à l’intelligence en fin de procédure ne permet pas de sauver la cohérence.

La doctrine va se traduire très concrètement pas des règlements, des instructions, des procédures, mais aussi par des choix humains, matériels et économiques.

La doctrine devient une suite de règles à suivre pour éviter des initiatives intempestives et non coordonnées.

Une stratégie complexe ne peut s’élaborer de manière purement empirique. Les grandes mutations tactiques et stratégiques s’accompagnent d’une maturation intellectuelle intense.

Avec ce point de vue, nous revenons aux sources après avoir exploré de nombreuses impasses.

Cette réflexion à un sens, elle est nécessaire pour que la définition et l’emploi de moyens soient ordonnés en vue de fins préalablement définies.

Sans cela, plus rien n’aurait de sens dans l’art de la guerre même si elle était science.

Sans cette réflexion, l’appareil militaire sombre dans la routine bureaucratique dans les rivalités corporatistes, avec les résultats que la France a connus en 1870 ou 1940. Certes, on peut dire que le désordre doctrinal aboutit au même résultat, mais cela n’infirme pas la nécessité de la réflexion : l’arme de la critique avant la critique des armes.

La clef de voûte de l’édifice se trouve ici, le reste, reste à construire.