13551 - Sur l’art du commandement de Coutau Bégarie. (avec P. Gazzano)

P. Gazzano, N. Lygeros

De Léon le Philosophe à Lewal, la stratégie est l’art de commander les armées.

Cette stratégie ne doit cependant pas être identifiée au management.

Il y a une différence de nature entre le combat et le commandement. Le combat exige de la force et de la ruse, du courage physique. Le commandement est un art qui exige en premier de l’intelligence créatrice.

Cette différence est de taille et il ne faut pas la prendre à la légère au risque de commettre une grave erreur et ce, dans les deux sens car même l’intelligence ne suffit pas en soi.

Le stratège n’est plus celui qui combat à la tête de ses hommes, comme le faisait Alexandre, c’est celui qui organise et dirige son armée avec une vue d’ensemble.

Sans cette vision qui doit avoir un modèle holistique pour tenir compte de tous les paramètres, le stratège n’est qu’un gérant en situation de paix, qui sera débordé en situation de guerre.

Le courage du chef n’est pas d’abord physique, il est surtout intellectuel. Il doit être capable de raisonner et de décider au lieu de se contenter d’exécuter.

Ce courage intellectuel est nécessaire à toute entreprise d’envergure même s’il ne doit pas être confondu avec une audace irréfléchie. L’exécution est accessible à tous mais pas le raisonnement dont dépend directement la décision.

Beaucoup de combattants héroïques ont été des chefs timorés parce qu’ils étaient incapables d’imaginer et donc de décider. Le génie militaire est un don du ciel, mais la qualité la plus essentielle d’un général en chef, est la fermeté de caractère et la résolution de vaincre à tout prix.

Ce caractère et cette résolution sont indispensables pour provoquer le changement de phase capable de modifier la réalité malgré les contraintes et l’adversaire. C’est cet assemblage qui représente la combativité du génie.

L’histoire militaire est un cimetière de chefs qui n’ont ni compris ni agi (Sedan, 1870), qui ont compris sans agir (Trafalgar, 1805), qui ont agi sans comprendre (Joffre, 1915).

Cependant cette histoire militaire n’est pas l’histoire au sens noble du terme car elle n’est que description de la réalité et non création d’un avenir.

Les grands chefs militaires dont l’histoire a retenu le nom sont rares. Les mêmes erreurs se reproduisent presque mécaniquement à toutes les époques : abandon d’une position forte sur une feinte de l’ennemi (Hastings, 1066, Austerlitz, 1805), aveuglement de la chevalerie (Mansourah 1270, Crécy 1302, Nicopolis 1396).

Ces erreurs ne sont pas seulement des faits mal gérés mais aussi des contraintes imposées par l’adversaire qui a su exploiter un stratagème et pas seulement un subterfuge.

Cet art du commandement peut être inné, mais les stratèges instinctifs sont rares. Il peut s’acquérir par l’expérience, mais celle-ci n’est ni nécessaire, ni suffisante.

Ces deux considérations nous incitent à penser que les données sont beaucoup plus complexes qu’elles ne le semblent car la stratégie n’est pas seulement un enseignement mais toute une vie responsable de nombreuses vies.

La règle est que cet art du commandement s’acquiert par le travail intellectuel et se perfectionne par l’expérience.

Cette règle n’est qu’un élément d’une véritable grammaire de l’intelligence.

Mais les grands stratèges ont tous subi l’influence d’un maître. Au fond des victoires d’Alexandre on trouve toujours Aristote.

Car même les grands stratèges sont les disciples de maîtres à penser.