1373 - Défense française
N. Lygeros
En réalité, ce qu’il faut opérer c’est une dissociation préalable de l’ennemi par une menace sur sa ligne de retraite. Voilà ce que vise la diplomatie française au sujet de la question orientale. Ne pouvant reculer sur un point, à savoir nier le fait qu’elle a reconnu depuis 1983 un état autoproclamé dont la nature et les institutions sont illégales, selon les deux résolutions des Nations Unies, la Turquie a tenté via l’ajout au protocole de placer hors contexte cette faiblesse. Il s’agit d’une manoeuvre courante en stratégie pour éviter que le front de la bataille n’affecte la ligne de retraite. Seulement le système adopté par la défense française consiste justement à menacer cette ligne de retraite. De plus, en prenant l’initiative sur ce point, la France efface quelque peu son absence de présence au niveau européen à la suite du référendum. En provoquant un changement de phase, elle active un processus exploité par Napoléon, à savoir imprimer une grande vitesse à une forte masse, sans laisser l’inertie s’en emparer, et la lancer sur un seul point. Cette tactique permet d’enfoncer ce point et de provoquer une rupture. L’Union Européenne s’était simplement contentée de la signature du protocole, en considérant que le problème chypriote était difficile à régler rapidement. Cependant la Turquie a voulu prendre avantage de cette position de faiblesse en imposant presque sous forme d’ultimatum qu’elle ne changerait nullement de position en ce qui concerne le problème de la reconnaissance de Chypre. Comme nous l’avons déjà précisé précédemment, la Turquie n’a pas effectué un choix. Il s’agissait pour ainsi dire d’un coup forcé qui s’explique par le contexte historique. La parade française consiste en somme à décontextualiser le problème historique et placer le tout dans un cadre institutionnel. Peu importe l’histoire de Chypre, peu importe l’histoire de la Turquie, pour la France, il s’agit simplement d’un pays membre de l’Union Européenne et d’un pays candidat à l’entrée dans l’union Européenne. Elle place donc un nouveau schéma, à savoir que pour entamer des négociations avec l’Union Européenne, un pays candidat doit reconnaître l’ensemble des pays membres. De cette manière, la France ne prend pas parti, du moins directement, dans le conflit historique. Elle restreint toute la bataille à un point, un point institutionnel. Ainsi elle fixe l’adversaire sur un point qu’il ne voulait pas traiter, car conscient de sa faiblesse positionnelle. Il s’agit donc de la part de la diplomatie française d’une manoeuvre sur les derrières, pour reprendre l’expression stratégique associée. Coupée de ses bases de départ, une armée ne peut plus manoeuvrer librement. En changeant le contexte, la France a de plus activé une coalition d’attente qui peut désormais s’exprimer sur un point consensuel irréfutable. Les premières réactions de la Turquie montrent sa surprise face à ce revirement soudain. Elle tente de faire bonne figure en répétant les conditions convenues, mais elle ne peut répondre véritablement sur ce nouveau contexte sans soulever des interventions de la part des autres états-membres de l’Union Européenne. Elle voulait éviter tout problème de reconnaissance via le génocide arménien, mais le problème chypriote prend la relève, appuyé par la défense française. Il est temps pour la Turquie de réaliser que les crimes de guerre finissent par se payer car ils sont imprescriptibles.