1441 - Stratégie et subversion
N. Lygeros
Même si cela peut paraître quelque peu paradoxal, la stratégie nous enseigne qu’une défense trop bien menée finit par être nuisible à un niveau supérieur. Il est dommage que ce principe ne soit pas enseigné aux défenseurs des droits de l’Homme qui bien souvent s’enlisent dans des situations désespérées faute de ne pouvoir prendre la décision du repliement. Afin d’être plus clair, considérons un cas d’école.
Soit un groupe de résistants enclavés dans une attaque ennemie. S’il n’y a aucun moyen de leur venir en aide, l’ensemble de leur résistance est nuisible à l’ennemi. Par contre, s’il est possible de les aider sans pour autant les sauver alors leur résistance devient problématique pour leur propre camp qui va tenter par tous les moyens de les secourir. Le paradoxe, sur le plan humain c’est qu’il est nécessaire d’avoir une vision globale du problème pour prendre une décision orthodoxe selon la terminologie de la théorie des jeux. Car du point de vue local, il s’agit d’un véritable sacrifice. La conséquence pratique de ce principe, c’est qu’il existe une manière subversive de l’exploiter. Et l’application consiste à garder vivants des prisonniers.
C’est exactement cette manière de faire qu’utilise l’armée turque à Chypre. Elle permet la présence des enclavés chypriotes et maronites afin que l’ensemble des personnes qui ont des relations avec ces personnes soient tactiquement désactivées. Elles ne participent pas à la lutte pour la libération de l’île de Chypre car elles craignent pour leurs familles, leurs amis, leurs connaissances. En tant que tels ces villages d’enclavés ne représentent plus aucune valeur du point de vue stratégique. Leur valeur est uniquement symbolique pour les chypriotes et les maronites. Par contre pour l’armée d’occupation turque, ce sont des otages extrêmement utiles. Ils ne représentent aucun danger et engendrent des frictions au sein de la résistance.
C’est le même type de procédé subversif qui est exploité avec les Grecs qui se trouvent enclavés à Imvros, Ténédos et Constantinople depuis les accords de Lausanne. A une plus grande échelle, nous avons la partie occupée de l’Arménie et bien évidemment le peuple Kurde qui n’a même pas de territoire. Ce type de subversion ne peut être contrecarré de manière classique. Au contraire, ces situations peuvent être détournées dans un cadre plus vaste et cohérent qui regroupe cet ensemble de contextes spécifiques afin d’obtenir un véritable changement dans la politique expansive et impérialiste de Turquie.