1467 - La lutte n’est pas seulement un combat
N. Lygeros
Contrairement à ce que nous pouvions penser au premier abord, la lutte ne se réduit pas à un combat. Même pour les guerriers de la paix, le combat n’est pas la justification de tout. Il ne représente qu’une partie de ce que nous appelons lutte. Car cette dernière est avant tout constructrice et non destructrice. Elle construit des liens entre les combattants d’une cause et en cela elle se comporte véritablement comme l’amitié. Elle renforce les hommes par sa présence et donne du sens à leur vie. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’une lutte qui par définition dépasse la nature humaine par son étendue temporelle. Et l’un des plus beaux exemples, c’est sans aucun doute, la lutte pour la reconnaissance du génocide arménien car celui-ci a désormais plus de 90 ans. Chacun de nous se sent petit devant une telle cause et il ne peut apporter sa contribution que grâce aux autres et à leur entraide. Car cette lutte est avant tout combative. Rien ne peut vraiment être fait rapidement. Toutes les procédures sont lentes, les frictions importantes et l’ennemi omniprésent grâce à ses campagnes de désinformation. Chacun de nous ne peut apporter qu’une pierre à l’édifice et il ne peut comprendre l’importance de son action que lorsqu’il considère ce qui a été achevé au niveau global. Avec les pierres que l’ennemi nous jette nous construisons le monument pour la mémoire. Aussi chaque fois que nous rencontrons de nouvelles personnes qui luttent elles aussi dans leur domaine, il est impossible de rester insensible. Car c’est toujours une immense joie de rencontrer des hommes dans cette immense foule anonyme de gens. Chaque rencontre renforce la structure de la lutte. Et même si elle est éphémère, grâce à sa présence elle déplace un autre élément de l’ensemble qui avance toujours dans le même sens. La lutte contre l’oubli c’est aussi un processus actif de construction et de reconstruction de la mémoire. Il ne suffit pas de se souvenir, il ne faut pas oublier même si toute la société ne désire que cela. Et c’est cette rareté dans la résistance qui augmente la valeur des rencontres humaines. Les bourreaux du passé et du présent nous forcent à embrasser une cause qui n’est pas nécessairement la nôtre initialement mais qui le devient nécessairement par la suite. La barbarie turque n’a pas seulement détruit la vie de 1 500 000 Arméniens. Son ignominie et son obstination ont engendré d’autres Arméniens. Des hommes et des femmes qui avaient et ont la chance d’être nés dans une Europe libre, via cette lutte deviennent à leur tour Arménien. Car la résistance grandit un peuple et aussi les hommes. En se mêlant à la cause arménienne la pensée européenne ne remplit pas seulement un devoir de mémoire, une mission, elle pénètre dans la mémoire de l’Humanité pour ne plus la quitter. C’est pour cela que la lutte n’est pas seulement un combat.