1499 - La simplicité de la langue
N. Lygeros
La langue doit être simple. Tel est le principed’Albert Camus et d’Antoine de Saint-Exupéry. Car la langue est source demalentendus. Et ces derniers peuvent engendrer l’absurde. C’est pour cetteraison qu’Albert Camus a explicité ce principe à travers sa pièce de théâtreintitulée Le malentendu. Comme la langue est le moyen médiologiqueprincipal de la pensée, seule sa simplicité permet d’exprimer cette dernièresans la déformer et l’aliéner. Cependant il ne s’agit aucunement d’unesimplicité structurelle qui serait restreinte au niveau syntaxique. Lasimplicité est présente de la même manière au niveau sémantique. La phrasepoétique est simple mais elle supporte la complexité de la pensée. En réalitéseule la clarté structurelle de la langue, permet d’édifier de nouveauxconcepts sur les données mentales. L’intelligence cristallisée qui s’appuie,entre autres, sur la langue ne doit pas être aliénée pour évoluer, ni seretrouver dans une situation dégénérée qui sous prétexte d’être politiquementcorrecte, finit par ne plus avoir de sens. Ni Albert Camus, ni Antoine deSaint-Exupéry ne sont allés dans cette impasse mentale et ce nivellementlinguistique. Leur langue tente de toucher directement l’humain sans passer pardes conventions linguistiques qui ne sont que l’expression des conventionssociales. À cet égard, Antoine de Saint-Exupéry tranche avec son discours sur l’idée de la consigne telle qu’il la dépeint dans son œuvre Le petit prince. Ce n’est d’ailleurs pas un traitement unique puisque nous la retrouvons, sous une autre forme certes, dans son livre intitulé Terre des hommes. La distance est sans doute plus grande et l’analyse plus profonde mais l’idée principale est la même : la langue comme la société, si elle n’est pas exploitée de manière juste alors elle ne permet plus d’unir les hommes mais au contraire de les séparer. Car tout moyen de communication dès qu’il est détourné, devient un obstacle. Pour éviter ce type d’obstacle, ces deux auteurs s’adressent aux lecteurs ou plutôt à leurs lecteurs sans détours. Et c’est aussi pour cette raison qu’ils sont parfois trop humains au goût de la société. Qu’importe c’étaient des résistants dans l’âme aussi ils n’ont fait aucun compromis. Toujours à contre-pied du consensus manufacturé, ils ont réussi à rester debout lorsque tous les autres se sont couchés devant les ennemis pour devenir des collaborateurs. Aussi Antoine a été capable d’écrire dans Lettre à un otage : « Un sourire est souvent l’essentiel. On est payé par un sourire. On est animé par un sourire. Et la qualité d’un sourire peut faire que l’on meure. » en 1943. Mais cet homme s’était déjà distingué en 1929 par le Courrier Sud : « Il faut autour de soi, pour exister, des réalités qui durent.» Car ces hommes qui connaissaient le prix de la liberté, ne pouvaient que lutter contre les envahisseurs, les oppresseurs, les actes inhumains. Mais pour lutter, ils ne pouvaient utiliser que la simplicité de la langue. C’est ainsi qu’Albert Camus a écrit ce très beau texte Lettres à un ami allemand. Car tous deux arrivent à cette phrase : «Qu’est-ce que l’homme ? Il est cette force qui finit toujours par balancer les tyrans et les dieux. » Ainsi à travers la simplicité de la langue et la puissance de la pensée se dégage l’amour de l’homme et plus généralement celui de l’humanité tout entière. Car cette terre des hommes, c’est la seule que nous ayons et non que nous possédons.