150 - Du modèle mental à la théorie mentale
N. Lygeros
Un des apports majeurs de l’outil informatique est de permettre viaun modèle mathématique la simulation d’expériences réelles. Biensouvent cette expérience virtuelle est une idéalisation d’uneexpérience réelle i.e. les objets et les instruments sont modélisés demanière uniforme à partir des entités réelles qu’ils représenteront.Ici nous allons étudier, à partir d’un exemple générique, un modèle quenous qualifierons de “mental” car il ne sera pas transposable dansla réalité.
Le point de départ de notre expérience de pensée est le suivant.Considérons un sac de n billes noires et un sac de n billes blanches.L’expérimentateur plonge sa main dans le premier sac, prend une billeau hasard et la place dans le second sac. Ensuite il mélange les billes dusecond sac, puis en retire une au hasard et la place dans lepremier. Et il effectue de même avec l’autre sac. Il est évident que,par augmentation de l’entropie, si l’on poursuit cette opération un trèsgrand nombre de fois les sacs auront chacun autant de billes des deuxcouleurs. Cependant l’intérêt de cette expérience n’est pas là,celui-ci réside dans le modèle mental que nous allons créer poursimuler cette expérience.
Tout d’abord nous devons insister sur le fait que cette expérience depensée est tout à fait réalisable i.e. il s’agit d’une expériencepotentiellement réelle. A présent considérons les objets de notremodèle mental.
Les sacs seront représentés par des listes et les billes par leschiffres 0 et 1. Quant au tirage aléatoire, il sera modélisé par unefonction pseudo-aléatoire. Plus précisément au lieu de mélanger lesbilles dans un sac, nous utiliserons l’équivalent sémantique suivant :nous allons les disposer dans un ordre donné puis nous allons choisirde manière aléatoire la position de la bille à retirer. De plus,lorsque nous placerons la bille dans le second sac, nous ladisposerons systématiquement à la fin de la liste qui lereprésente. Cette façon de faire, bien qu’elle soit déterministe ensoi, n’est pas nuisible car elle est suivie d’une opération aléatoire.
Considérons à présent la partie la plus intéressante de ce modèle àsavoir le “déplacement” de la bille d’un sac à l’autre. En effetnous ne pouvons pas nous contenter de faire disparaître la bille dupremier sac pour la placer dans le second car ainsi nous ne saurionspas quelle bille mettre dans le second. Pour résoudre ce problème ilnous suffit d’utiliser une mémoire tampon. Et la façon la plusastucieuse de le faire, c’est d’utiliser l’autre sac comme mémoire.
Seulement si nous interprétons cette procédure nous voyons que pourdéplacer la bille nous exploitons l’ubiquité de cette dernière. Eneffet celle-ci se trouve déjà dans le second sac avant d’avoir étéretirée du premier et une fois cette opération effectuée, nous laretirons du premier en la remplaçant par du vide ! Aussi il est clairque notre modèle est mental dans le sens où nous ne pouvons pas letransposer dans la réalité tel qu’il est.
Ainsi nous nous retrouvons dans la situation suivante. Notreexpérience de pensée qui représente une expérience réelle est simuléepar un modèle mental qui n’a pas de représentation dans la réalité enraison de l’ubiquité de sa nature intrinsèque. Ici donc, l’expérienceréelle peut être a posteriori interprétée comme une projection dans laréalité du modèle mental.
Le modèle mental ne constitue pas une idéalisation uniforme del’expérience réelle aussi il nécessite de la part de son concepteur unraisonnement non uniforme et parfois même de la créativité. Plusgénéralement le réel ne conduisant pas directement à la théorie qui peutle comprendre, nous pouvons donc en déduire l’importance de l’apportcognitif dans la création d’une théorie. Enfin si nous considéronsl’aspect perfectif de la notion de modèle mental il est alorspossible de concevoir une théorie qui ne serait constituée que demodèles mentaux i.e. théorie mentale.