1508 - Du suicide à l’euthanasie : un point de vue bioéthique
N. Lygeros
Lorsqu’Albert Camus transgressait les tabous philosophiques en affirmant que le suicide est le problème principal que doit résoudre l’homme, la bioéthique n’était qu’en gestation. Aussi le problème de l’euthanasie n’avait pas encore pu dominer par son ampleur le débat social. Il faut dire que même au sein de l’Union Européenne l’évolution de la problématique de l’euthanasie a été très lente. Alors que celle-ci existe officieusement depuis 1973 aux Pays-Bas, ce n’est qu’en 2002 qu’elle est devenue légale. Il aura fallu pour cela un procès retentissant qui avait condamné une femme-médecin pour avoir aidé sa mère à mourir à 12 ans de prison mais la peine n’avait pas été appliquée. Et ce n’est qu’en 2001 que le parlement hollandais a avalisé la méthode de l’euthanasie. En Belgique, le Sénat a voté la loi sur l’euthanasie en 2001 et son application a été effective en 2002. Quant à la France proprement dite, elle permet l’euthanasie passive mais ne semble pas encore prête à accepter l’euthanasie active. Nous voyons donc que la contextualisation sociale du suicide qui est initialement considéré comme un acte individuel et une forme de libre arbitre, engendre naturellement la problématique de l’euthanasie. Et celle-ci se différencie logiquement en deux catégories avec l’aspect actif et l’aspect passif de la chose. Au delà de la liberté individuelle, l’euthanasie pose un problème de cas de conscience de la société car elle ne peut plus s’abriter simplement derrière sa nomologie. Elle a le libre choix d’imposer ou pas une loi. Elle a cette capacité aussi se pose à nouveau le problème posé par Fiodor Dostoievski à savoir est-ce que tout est permis ? Seulement ce n’est plus simplement à l’individu de le décider mais à la société. Interviennent alors les notions de vie misérable, d’empathie et d’altruisme. Car l’euthanasie passive même si elle représente un point positif dans l’évolution de la problématique n’en est pas moins une échappatoire sociale car la société n’intervient pas réellement. En somme elle laisse faire le libre arbitre de la personne. Seulement le problème de l’euthanasie est plus profond et il n’a de sens véritable que lorsque la personne ne peut être maîtresse de ses actes physiques. Ces derniers échappent au contrôle de sa pensée et malgré un choix effectué volontairement et consciemment le corps ne peut suivre et se pose alors le problème de l’assistanat. Aussi nous ne pouvons nous contenter d’une solution partielle car le noyau de la difficulté se trouve dans l’euthanasie active. Car c’est bien à cet endroit conceptuel que se crée le paradoxe pour ne pas dire l’oxymore médical. A travers sa pratique, le médecin aide. Seulement si cette aide revient à nier cette pratique, quid de la médecine et plus généralement de la société ? Le passage du suicide à l’euthanasie n’est pas un simple transport de structure, il s’agit d’une véritable extension. L’ampleur du problème est plus grande car les répercussions sont plus importantes au niveau de la société. Ce sont ces implications qui donnent un sens bioéthique au problème. La problématique initiale d’Albert Camus subsiste mais elle devient encore plus profonde et encore plus humaine avec l’introduction de l’euthanasie. Car la dimension sociale ne fait qu’expliciter la nature de la dignité humaine.