1585 - Génocide et unité
N. Lygeros
La lutte pour la reconnaissance d’un génocide implique une cohérence interne de la part des victimes et des justes afin d’être efficace à l’encontre des bourreaux. Cette cohérence qui semble être une exigence qui va de soi si nous sommes exclusivement dans le domaine des droits, n’est pas évidente à mettre en place dans un contexte politico-diplomatique. Ainsi nous voyons apparaître non pas le problème de l’unité mais de l’unicité du génocide. Chaque peuple qui a subi un génocide considère qu’il est unique car son génocide est unique. Seulement ceci ne peut être le point de vue des défenseurs des droits de l’homme. Car que nous le voulions ou pas, par définition, les crimes contre l’humanité ne sont pas indépendants. Et cette propriété les rend ontologiquement différents des crimes de guerre. L’humanité en tant que noyau central de cette problématique étend sa structure de données à l’ensemble des génocides. Aussi nous ne pouvons entrer dans la phase rhétorique qui consiste à comparer l’importance des génocides. Les génocides sont incomparables par nature car ce sont tous des crimes contre l’humanité. Les défenseurs des droits de l’homme ne peuvent donc cautionner des déclarations et des actes qui dénigrent le statut d’un génocide donné. Dans le cas contraire, ils agiraient pour le bien des bourreaux puisque l’un d’entre eux ne pourrait être considéré comme tel. Aussi les autres pourraient utiliser son cas pour leur propre contestation de l’accusation formée à leur encontre. Dans ce jeu difficile des comparaisons, il est impossible d’en sortir indemne. Car sous prétexte de mettre en avant sa cause, les dires négatifs à l’encontre des autres peuvent être efficacement exploités par la partie adverse. Chaque point positif a de multiples contrecoups négatifs. Aussi cette stratégie ne doit pas être suivie si nous désirons vraiment parvenir à la reconnaissance d’un génocide. Comme les crimes contre l’humanité ont une intersection commune par nature, les reconnaissances ne sont pas, elles non plus, indépendantes. Dans le cadre des droits de l’homme chaque reconnaissance peut servir directement ou indirectement une autre. Car elles représentent toutes les deux des cas juridiques qui doivent être examinés de la même manière, même si ce sont des cas incomparables. Il est évident que chaque peuple veut mettre en avant son propre cas. Cependant, avec la notion de génocide, nous ne pouvons nous contenter d’une optimisation locale, seule l’optimisation globale est importante aux yeux de l’humanité. Car les peuples représentent des paradigmes fondamentaux de sa nature. Les différences n’ont de sens qu’au niveau des peuples et non à celui de l’humanité. Ce sont ces principes que suivent des structures comme le Tribunal des peuples ou la Cour européenne des droits de l’homme et c’est en ce sens que nous devons lutter en tant que défenseurs des droits de l’homme pour la reconnaissance des génocides. Car chaque génocide non condamné peut aider la naissance d’un autre. Ceci n’est pas une éventualité théorique mais un fait historique et c’est face à celui-ci que nous devons agir comme il sied.