1597 - Sur le temps humain et le temps social des enfants
N. Lygeros
« L’homme ordinaire ne se préoccupe que de passer le temps, l’homme de talent que de l’employer.» A. Schopenhauer
La société a une tendance naturelle à considérer que les enfants ne peuvent gérer leur temps et qu’elle doit y prendre soin à sa manière. Pourtant les œuvres d’Antoine de Saint Exupéry Le Petit Prince et de Jules Renard Poil de carotte , sont de parfaits contre-exemples à cette idéologie.
Le petit prince est une forme littéraire certes, mais c’est bien le paradigme de l’enfant précoce. Tandis que poil de carotte représente l’enfant aux besoins spécifiques. Le premier a la chance d’être orphelin, mais pas le second, selon ses propres dires. Alors que d’un côté nous avons une tentative de la part de l’adulte de comprendre l’univers de l’enfant, de l’autre côté nous avons un effort d’imposer le monde adulte à l’enfant.
Cependant dans les deux cas nous observons la problématique d’Albert Camus, à savoir le problème du suicide. Tandis que le premier est réussi, le second est raté à l’image de la vie de cet enfant. Mais le mur existe dans les deux cas. L’un est exilé et l’autre est emmuré. Le premier montre que l’aspect humain est inconciliable avec la société. Le second démontre que l’aspect social est insupportable pour l’humanité.
Le temps humain et le temps social ne sont pas linéaires dans la vie de l’enfant. Ils s’entrecroisent et s’enchevêtrent. Pourtant avec la socialisation de l’enfant, le temps social finit par s’imposer. C’est ainsi que l’enfant est considéré comme intégré dans la société. Il lui faut une grande résistance pour ne pas être absorbé par celle-ci.
En mourant, le petit prince échappe à cette condamnation sociale tandis que poil de carotte – François, pour être précis- condamné à vivre est peu à peu fondu dans la masse sociale.
Sans famille et en famille, sont les principes sur lesquels se déclinent le temps humain et le temps social. Ils représentent les premiers éléments d’une prétendue intégration qui ne s’effectue que par l’incarcération de l’enfant aux besoins spécifiques et l’exil de l’enfant précoce.
Les auteurs de ces textes ont voulu montrer à leur manière, leur vision du monde de l’enfant non par amour pour ces derniers, mais par amour de l’humain. Ils voient dans l’enfant, un humain et dans celui-ci, les premiers éléments constitutifs de la notion d’humanité. Dans ce sens, les enfants représentent un cas extrême d’humains qui ne peuvent se défendre contre l’oppression sociale. Pour certains l’agression est trop forte par rapport à leurs capacités. Pour d’autres, elle amplifie leur résistance. Seulement, nous devons penser aux deux pour comprendre vraiment combien est nuisible le processus de massification pour les enfants.