1618 - Sur les répétitions de L’homme qui n’existait pas

N. Lygeros

Cette fois, les répétitions de L’homme qui n’existait pas ne sont plus de simples répétitions. Toute la troupe est consciente d’avoir un rôle à jouer dans cette œuvre et dans cette histoire de la renaissance. Le ton est différent, plus grave, plus nuancé et aussi plus serein. Les croisements de tons s’enchaînent plus naturellement et nous voyons apparaître les modules historiques, virtuels et cohérents. Car les tableaux s’emboîtent les uns dans les autres et dans cette mise en scène très serrée, les acteurs sont plus crédibles par la minimalité de leurs gestes. Lucien est plus grave, et malgré sa position statique, il dégage un dynamisme qui embrasse le groupe. Agnès est émue mais sa curiosité intellectuelle n’a de cesse de comprendre. Olivier, dans son équilibre instable est à l’image de son texte : hors équilibre afin de créer pour trouver la solution de l’énigme léonardienne. Roland est toujours aussi surprenant avec son esprit vif et son humour. Eric, toujours partant pour réexaminer la situation semble jouer en contre point, mais représente un élément essentiel dans cette musique qui n’est pas nécessairement tonale. Nestor, en digne paléographe, pas encore habitué aux ordinateurs, s’avance dans cette énigme avec passion car il sait combien le monde aurait été différent si nous n’avions pas perdu les textes de créateurs. Enfin Danielle, plus muette qu’expressive, à l’instar d’un soupir dans une partition, représente la conscience du groupe. Au cours de ces répétitions toujours touchantes par leur complexité, à travers l’exégèse de certaines phrases du texte et les interventions des acteurs, nous retrouvons cette ambiance d’antan qui donnera l’impression aux spectateurs que l’esprit du maître est beaucoup plus présente que ne l’aurait laissé présager son apparente absence. Il est difficile de décrire cette ambiance d’autant plus qu’elle n’est pas encore facilitée par la présence de costumes d’époque, qui ne pourront qu’augmenter la surprise du spectateur face à cette rupture entre le langage et l’image. Pourtant la lecture nuancée du texte permet déjà d’imaginer cette rencontre improbable entre le XXIe siècle et le XVIe siècle . Car ce ne sont pas seulement les ingrédients du texte qui entrent en jeu. Il y a avant tout la présence des acteurs qui ne sont pas seulement des figurants mais des personnages à part entière doués d’une intelligence et d’une sensibilité qui les rendent si humains, qu’il est facile de les accepter comme des représentants d’un temps enclavé qui n’existe que pour de rares personnes. Il n’y a rien de magique dans cette démarche qui demeure malgré toutes les apparences d’une fiction dramatique, une œuvre méta-cohérente qui se veut un hommage rendu aux hommes du temps de la mémoire qui ne cessent de lutter contre l’oubli malgré la puissance de ce dernier. Car dans ces répétitions, nous voyons déjà les efforts de la mémoire de ces hommes et ces femmes qui ne se contentent plus de survivre mais aussi d’être, à travers une œuvre écrite pour eux afin qu’ils aient conscience de leur valeur dans cette lutte. Dans ces tentatives de rendre humains des personnages a priori abstraits, nous voyons déjà la générosité de ces acteurs qui travaillent pour cette intelligence qui les dépasse afin de créer ensemble une oeuvre qui est la légende de celle-ci.