164 - Au bord du néant

N. Lygeros

 

En Suisse. Au bord du lac.
Stepan et Voinov sont assis sur un banc face au lac.

Stepan, un papier à la main
Le parti a pris sa décision : dans deux semaines je dois être à Moscou.

Voinov
Tu pars quand ?

Stepan, avec détermination
Le plus tôt possible. Je prendrai le premier train.

Voinov, intrigué
Tu as l’air déçu.

Stepan
J’aurais aimé une date plus proche. Mais les ordres sont les ordres. Nous devons obéir: c’est cela notre force.

Voinov
Je ne te comprends pas Stepan ! Toi qui es si indépendant et contre toute notion de pouvoir…

Stepan, sur un ton sec mais amical
Il n’y a rien à comprendre Alexis. Les ordres sont toujours clairs. Nous ne sommes que les pions d’une révolution en marche. Aucune initiative ne sera tolérée. Nous sommes tels les immortels de la lutte finale : droits, inflexibles et surtout sacrifiables.

Voinov, en acquiesçant
Tu as sans doute raison.

Stepan, en changeant le ton
As-tu appris pour le massacre ?

Voinov, révolté
Oui ! Le fouet s’est de nouveau abattu sur Saint-Pétersbourg.

Stepan
Cette fois, nous nous vengerons. Nous irons jusqu’au bout…

Voinov
Au sacrifice ?

Stepan, en souriant
Plus loin encore…

Voinov
Ton sourire est étrange Stepan.

Stepan
Tu vois ce lac ? Il est à l’image de l’âme humaine : grand, beau, et insondable ; en somme inutile.

Voinov
Comment peux-tu dire cela ? Notre âme, c’est ce qui nous caractérise. L’essence de notre existence, celle de notre peuple tout entier.

Stepan
Je suis comme le feu : je ne peux vivre qu’en détruisant. Je ne purifie qu’en brûlant.

Voinov
Tu as dû beaucoup souffrir Stepan…

Stepan
La souffrance n’est rien devant la révolution !

Voinov
Oui, mais dans quel but ?

Stepan
Le néant !

Silence. Voinov semble abattu par cette confession.