165 - Souvenirs Rouges
N. Lygeros
L’appartement des terroristes. Un soir.
Le rideau se lève dans le silence. Dora et Kaliayev sont sur la scène, immobiles. Assis autour d’une table, ils se tiennent les mains, éclairés à la bougie.
Kaliayev, pensif
Je les vois encore. Tous les soirs…
Dora
Ils étaient là, tous ensemble. Tous les ouvriers de Saint-Pétersbourg.
Kaliayev, sombre
Unis dans la douleur de la misère, munis de la simplicité de la bonté, démunis de tout.
Dora, le regard dans le lointain
Accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, conduits par le pope Gapone, portant des bannières, des icônes et des portraits de la famille impériale.
Kaliayev
Amalgamant l’inconciliable, réalisant l’inconcevable ; comme notre peuple l’a toujours fait.
Dora
Ils se présentèrent au Palais d’Hiver pour remettre une pétition au “père le tsar”…
Kaliayev, poursuivant la phrase en changeant le ton
.. avec l’innocence de l’enfance. (Un temps.) Alors les soldats de la mort éteignirent cette flamme de l’humanité.
Dora, émue
Ils tuèrent des centaines de ces pauvres âmes.
Kaliayev
Mais que faire ?
Dora, déterminée
Souffrir avec eux.
Kaliayev
Mais que peut la compassion devant le crime ?
Dora
Nous étions sans armes, impuissants devant le destin.
Kaliayev
J’aurais voulu couvrir de mon corps cette neige blessée.
Dora, se cachant les yeux
Mon Dieu, tout ce sang !
Kaliayev
Un soleil rouge tombé sur terre.
Dora
Mais que faire ?
Kaliayev, avec fièvre
Mourir pour eux!
Silence.