1681 - Du solide archimédien au squelette léonardien
N. Lygeros
Une manière mathématique d’aborder la relation intellectuelle entre Archimède et Leonardo da Vinci, c’est d’étudier l’icosaèdre tronqué. En effet, cette figure géométrique s’enfonce dans l’histoire des mathématiques puisque sa découverte remonte à Archimède. Sa construction s’obtient en remplaçant chaque voisinage d’un sommet du solide platonicien nommé icosaèdre, par un pentagone puisque cinq triangles équilatéraux se rejoignent en chacun de ses points. La première mention de son existence est due à Pappus d’Alexandrie. C’est ce dernier qui attribue à Archimède la découverte de treize solides qui généralisent les solides platoniciens. Cependant aucune figure n’est présente dans le texte de Pappus comme nous pouvons le constater sur l’exemplaire de la Bibliothèque du Vatican. En réalité, c’est dans le parchemin en latin de Piero della Francesca intitulé De quinque corporibus regularibus, que nous pouvons trouver le premier dessin de cette figure. Le solide est vu dans un axe parfaitement symétrique et des dessins expliquent sa construction grâce à une section de sphère. Car le contour extérieur de l’icosaèdre tronqué est en réalité circulaire. Cette approximation est compréhensible tant par la difficulté de la construction que celle de la représentation. Cela permet de mieux apprécier les efforts de Luca Paccioli qui publia en 1498 son livre intitulé : De Divina Proportione. Conscient de la difficulté de la représentation, il demande à son ami Leonardo da Vinci de concevoir un nouveau modèle. Celui-ci ne se contentera ni d’une approximation sphérique ni de l’aspect solide. Pour mettre en évidence les caractéristiques de l’icosaèdre tronqué, Leonardo da Vinci innove. Il décide d’axer la figure de manière à augmenter les angles de perspective aussi il centre la vision sur un pentagone pointant vers le bas sur la jonction de deux hexagones. Il renforce de plus l’aspect tridimensionnel d’une part grâce à des fils qui soutiennent l’icosaèdre tronqué mais surtout en inventant les squelettes. Le squelette léonardien est une expression que nous avons forgée pour mettre en exergue le fait que Leonardo da Vinci s’attache plus aux arêtes qu’aux faces de la figure géométrique. L’avantage considérable du squelette – s’il est maîtrisé avec art ou avec l’ordinateur désormais – c’est qu’il permet de voir à travers la structure car le solide n’est plus plein. Leonardo da Vinci exploite aussi la lumière puisqu’il éclaire l’ensemble de la structure par le haut et le devant de manière à embellir le volume axonométrique des arêtes. Grâce à cette nouvelle représentation, Leonardo da Vinci permet de mieux apprécier la découverte de l’esprit d’Archimède. Car en géométrie même si cela est aussi valable plus largement, nous ne voyons que ce que nous comprenons. Via l’intervention de Leonardo da Vinci, l’icosaèdre tronqué devient plus accessible à l’étude. Nous retrouvons dans cette approche la mentation du maître puisqu’elle permet de synthétiser les connaissances artistiques et scientifiques. De plus, les mathématiques jouent un rôle central dans cette synthèse puisqu’elles visualisent à travers l’art ce qui n’est accessible qu’à l’esprit scientifique et qu’elle qualifie à travers la science ce qui n’est accessible qu’à l’esprit artistique. A un plus haut niveau cognitif, Leonardo da Vinci parvient à montrer la voie à suivre pour aller au-delà du savoir d’Archimède qui représentait un modèle pour lui et surtout sa pensée.