1739 - L’ingéniosité de Leonardo da Vinci
N. Lygeros
Pour intégrer Leonardo da Vinci dans le milieu culturel de son époque, il n’est pas nécessaire d’imaginer qu’il a lu tous ses prédécesseurs. Il est préférable d’adopter le point de vue qu’il acquiert ses connaissances sur le tas via des expérimentations et des réalisations pratiques. Son savoir n’est pas celui d’un universitaire. Il n’est pas organisé de cette manière. Il s’agit donc de le considérer comme celui d’un autodidacte inventif. Il apprend au fur et à mesure de ses besoins créatifs. Il se développe tout d’abord comme orfèvre, puis sculpteur, ensuite peintre et ingénieur. Cette évolution est naturelle pour son époque puisque tous les artistes étudient les sciences comme outil auxiliaire à leur œuvre. Dans leurs créations, il est nécessaire d’exploiter les résultats de la science dans les domaines de la physique, de la perspective, de l’anatomie, etc.… C’est dans ce cadre qu’il faut interpréter l’influence grandissante des mathématiques dans l’art et particulièrement dans l’œuvre de Leonardo da Vinci. Ce dernier cite explicitement deux des abacistes les plus connus. Florentins tous les deux, ils se nomment Paolo Toscanelli del Pezzo et Leonardo Chernionese. Et comme le signale Bertrand Gille, il fait aussi une allusion à l’écrit de Piero Borgi à savoir : Nobel opera de arithmetica. Cela prouve qu’il a suivi du moins parallèlement, l’itinéraire de son ami et mathématicien Luca Pacioli. Il n’est donc guère surprenant que le modèle mental de Leonardo da Vinci soit celui d’Archimède. Il ne va pas dans le sens du modèle classique grec qui refuse tout rapprochement avec l’expérimental. Il n’existe aucun dénigrement de ce genre de la part de l’ingénieur florentin. Bien au contraire, grâce à sa curiosité et son habileté, il explore tous les problèmes possibles afin d’enrichir ses connaissances. Il ne faudrait pas pour autant oublier que nous sommes à une époque où tout d’abord les livres sont rares et ensuite le texte est dominé par le dessin et l’esquisse. Aussi nous retrouvons plus des schémas et des plans de construction plutôt que des analyses textuelles. Et Leonardo da Vinci correspond tout à fait à cette tendance. Il est donc dans la lignée de la tradition. L’analyse technique de la lettre de présentation de Leonardo da Vinci telle qu’elle se présente dans le Codex Atlanticus est tout à fait représentative de son ingéniosité et de sa capacité à faire la synthèse des réalisations de ses prédécesseurs. Par ailleurs, en tant qu’ingénieur il ne recherche pas la solution la plus élégante d’un problème technique, sa préoccupation c’est une solution robuste qui offre un champ d’applications plus large. Pour lui l’essentiel, c’est le résultat concret. Toute recherche a une finalité pratique. Pourtant en évoluant il complète peu à peu ses connaissances théoriques. Il recherche systématiquement des références sur Archimède mais aussi sur Vitruve et Aristote. Il fait de nombreuses rencontres avec des hommes qui ont des connaissances solides dans divers domaines. Il passe peu à peu de l’expérimental au mental via la notion d’expérience de pensée. En échangeant avec des hommes de lettres, Leonardo da Vinci s’enrichit certes mais surtout il s’appuie sur le facteur humain et non le cadre institutionnel auquel il ne fait nullement confiance. Son évolution consciente ne se base que sur les hommes et leurs interactions. Ainsi son ingéniosité n’est pas uniquement le produit de sa propre singularité mais aussi de l’ensemble relationnel humain.