1745 - Oeuvre en péril
N. Lygeros
Il y a quelques mois à peine, nul n’aurait pensé que le mémorial du génocide des Arméniens pût être en danger. Certains l’attendaient, d’autres l’imaginaient avec bienveillance ou neutralité sans se rendre compte que les fanatiques de l’oubli travaillaient déjà dans l’ombre. Les récents évènements n’ont pas seulement démontré les dangers de la neutralité mais aussi le caractère indispensable du combat pour la cause arménienne. L’érection du mémorial est désormais une question de principe, un principe de la Charte des droits de l’Homme. Même si le mémorial ne remplissait aucun critère esthétique, il aurait fallu le construire pour démontrer notre détermination face à l’oppression de l’appareil étatique turc. Seulement l’architecte du mémorial nous permet de lutter d’une autre manière encore. Car le mémorial n’est pas seulement un symbole du crime contre l’humanité et en ce sens un don des Arméniens. Le mémorial est aussi une œuvre d’art. Le requiem de Mozart n’est pas seulement une œuvre religieuse c’est aussi une œuvre musicale qui met en exergue l’humanité. Et c’est pour cela qu’il nous touche doublement. L’architecture du mémorial est digne d’une ville qui appartient au patrimoine mondial. Sa sobriété et sa fragilité sont aussi des symboles humains. En se concentrant sur l’essentiel comme a pu le faire Leonardo da Vinci avec l’homme de Vitruve, il nous montre ce que nous sommes. Quelques feuilles de pierre, quelques notes d’une partition muette dans l’immensité de la foule et du néant. Quelques instants de mémoire dans un oubli omniprésent. Seulement ce rien est tout pour nous car c’est tout ce que nous sommes. Le monument ne recherche pas l’abstraction par son minimalisme. Il ne représente point une abduction créative de la notion de génocide. Seulement sa générosité engendre un paradigme. C’est un choix certes mais c’était aussi une nécessité. Dans une ville d’art comme Lyon, dans une ville historique comme Lugdunum, tout n’était pas permis même pour un mémorial. Malgré l’importance de la cause défendue, un mémorial ne peut et ne doit nuire à l’histoire de la ville dans laquelle il se trouve. Ainsi la mémoire du sang de la diaspora retrouve la mémoire du sol ancestral. Les feuilles de pierre respectent la glèbe qui reçoit en don le message d’un peuple afin de l’adresser à son tour à l’humanité. Le mémorial illustre par sa fragilité la nature humaine et c’est pour cela que nous devrons en être les défenseurs. Car le mémorial ne doit pas seulement exister, il doit aussi vivre. Et pour qu’il vive dans le futur afin de témoigner du passé, nous devrons le défendre contre les fanatiques de l’oubli. Le 24 avril, ce sera le jour de sa naissance et ce sera à nous d’agir de manière à ce qu’il ne devienne pas le jour de sa condamnation. Ce don du peuple arménien et du peuple français à l’humanité, c’est à chacun de nous que revient le droit mais aussi le devoir de le protéger. Car les fanatiques de l’oubli ne baissent jamais leurs bras armés. Désormais nous le savons et nous sommes responsables de l’œuvre en péril.