1765 - Mémorial du génocide versus barbarie de l’oubli
N. Lygeros
Si nous ne prenons pas garde, le caractère fallacieux de certaines procédures juridiques peut aisément conduire à une démocratie de la honte. Certes le monde juridique est un moyen efficace pour lutter contre l’oppression des peuples. Seulement lorsqu’il est manipulé afin de conduire à des aberrations déontologiques, il est de notre devoir de nous révolter. La petite guerre qui est menée à l’encontre du mémorial lyonnais du génocide des Arméniens ne peut être qualifié autrement que de sale. Elle est l’exemple même, pour ne pas dire le paradigme de l’indécence politique. L’exploitation des procédures juridiques dans le but de nuire à une cause des droits de l’homme n’est qu’un crime indirect. D’autant plus que nous nous trouvons dans un cadre conflictuel qui est celui du génocide de la mémoire. L ‘histoire a maintes fois montré la validité du schéma mental d’Elie Wiesel à savoir que la neutralité ne sert que les bourreaux. Seulement cette fois il ne s’agit plus de neutralité mais de collaboration latente. Les fanatiques de l’oubli n’en ont pas besoin de plus pour asseoir solidement leurs arguments rhétoriques. Nous savons déjà combien il est difficile pour une démocratie de lutter contre un système autoritaire. Aussi que dire d’une démocratie qui est gênée par des frictions internes ? Il est vrai que tout système possède des frictions et qu’il faut en tenir compte comme le précise le stratégiste Clausewitz seulement lorsque celles-ci nuisent les droits de l’homme, la douleur est toujours plus grande car la justice est utilisée pour désarmer les innocents qui ne savent porter que des pierres tombales. Le mémorial n’est pas un monument de la révolte. Il se veut témoin d’un crime contre l’humanité. Cependant les difficultés rencontrées ne peuvent manquer de nous faire penser à L’homme révolté d’Albert Camus. Car nous ne pouvons tout accepter. La ville de Lyon à travers son conseil a réussi à se hisser parmi les défenseurs de la cause arménienne et ceci ne pouvait que la grandir. A présent, via des actions humainement indécentes, l’esprit français est sous le coup de nouvelles accusations qui sont malheureusement légitimes, alors que le mémorial est le résultat d’une culture française des droits de l’homme. A travers la déclaration universelle des droits de l’homme, le siècle des lumières s’est prolongé pour lutter contre l’obscurantisme et le mémorial lyonnais représente l’extension de son œuvre. Il constitue une nouvelle preuve de la nécessité de l’humanisme. Il nous faut donc soutenir non seulement les Arméniens mais aussi les Français héritiers de cette culture qui est la justification de l’existence. C’est pour cela que nous devons remercier le mémorial d’exister même si pour le moment il tarde à se détacher de la conception. Car à travers lui, nous avons un moyen concret pour nous unir, pour unir à nouveau les innocents et les justes contre le génocide de la mémoire. Il nous offre l’occasion de prouver que si nous avions été présents au moment du génocide, nous aurions lutté contre les bourreaux. Ainsi nous ne devons pas minimiser le rôle des procédures judiciaires qui tentent de nuire au mémorial. Elles appartiennent à cet ensemble d’actes qui semblent anodins en eux-mêmes mais qui une fois réunis compose ce que nous nommons génocide. Nous ne luttons pas seulement pour le mémorial mais contre un nouveau génocide, celui de la mémoire.