179 - Prologue : La guerre de Troie et la malédiction des Atrides
N. Lygeros
Le Coryphée
Par où commencer ? Comment raconter l’indicible malheur qui s’est abattu sur la maisondes Atrides. Et qui d’entre vous a assez souffert pour comprendre ce récit ? Un temps.
Seuls les devins ont pu le prévoir : Calchas a su voir le danger, Tirésias l’a compris,Cassandre l’a vécu et l’a vu se réaliser. Le présage des aigles était pourtant clair mais nulautre que Calchas n’avait les yeux de la sagesse. Tous n’étaient que Colère et Vengeance.Voilà pourquoi eut lieu le sacrifice monstrueux. Les dieux avaient décidé de faire souffrir larace des Atrides plus que tout autre. Un temps.
Ainsi les grecs naviguèrent sur le sang de la pauvre Iphigénie. Et luttèrent dix ansdurant à perdre les plus valeureux de leurs hommes. La guerre, les batailles, les combats etles duels tous menaient au bûcher de la délivrance. Ce feu qui libère le corps de toutes sessouffrances et qui le purifie afin que sa poussière se repose enfin dans la terre. Un temps.
Dix ans de luttes et de peines offerts à la gloire. Cependant l’étoffe des héros est troplourde à porter pour le vivant, seul le mort est capable de réussir cette prouesse et il lui fautl’éternité. Silence.
Mouvement du Choeur.
Le savoir a beau être une forme abstraite de pouvoir, même l’omniscience ne réussit àtransformer la réalité que par petites touches. Elles sont tout d’abord imperceptibles maisavec le temps elles prennent de l’importance. Et les dieux sont passés maîtres dans cet art.Ainsi chaque action, chaque acte de la guerre de Troie aura eu et aura des conséquencessur l’ensemble des hommes qui habitent la terre des dieux que certains nomment la Grèce.Un sacrifice sera suivi d’une vengeance, un sacrilège d’une condamnation, un crime d’unchâtiment. Un temps.
Les devins auront beau le dire, ils n’y changeront rien, les hommes n’écoutent que cequ’ils veulent entendre. Ces derniers, plus ils sont grands, plus ils se croient à l’abri dudestin. Mais ils paient très cher cette funeste vanité car le destin les frappe avec d’autantplus de violence. Et bien souvent ce coup leur est fatal. Silence.
Mouvement du Choeur.
Agamemnon, le roi de Mycènes riche en or, était de ceux-là. Sa gloire lui fit oublier lamalédiction des Pélopides. Et même le monstrueux sacrifice de sa fille, exigée par la sournoiseArtémis, qui lui arracha une partie de sa propre chair ne fut suffisant pour le prévenir de lavengeance qui planait sur lui. La colère d’Achille passée, la mort de son fidèle ami Patrocle,suivie de celle du plus valeureux de nos ennemis Hector ainsi que celle d’Achille lui-mêmele plus lumineux de nos guerriers n’eurent pour conséquence que d’augmenter sa gloire. Etaprès la réussite de l’ingénieux Ulysse et la chute de l’imprenable Troie, le roi des rois se pritpour un géant sans réaliser que sa grandeur ne provenait que du fil avec lequel le destin letenait suspendu. Aussi il retourna sur ses terres se croyant à l’abri de tout danger. Silence.
Mouvement du Choeur.
C’est donc ici que s’écrivit une des pages les plus sombres de la famille des Atrides. C’estici qu’eut lieu le plus horrible des crimes. Agamemnon aurait dû se méfier. Mais il est vraiqu’ayant survécu à une guerre de dix ans comment aurait-il pu imaginer que le plus granddes dangers pour lui se trouvait au sein de sa maison, dans son propre lit. Un temps.
Sa femme Clytemnestre avait pris pour amant Egisthe, le fils de Thyeste et cousind’Agamemnon lui-même. Mais l’adultère ne lui avait pas suffi pour se venger. Elle préparaun plan pour assassiner le roi, son mari et protecteur. Elle lui conseilla de faire annoncerson arrivée par de puissantes torches placées sur les sommets des îles qui le séparaient desa patrie. Ainsi le siège de Troie fini, la ville mise à sac, elle apprit par les feux la venued’Agamemnon. A peine arrivé dans sa patrie, accompagné de la pauvre Cassandre, ellele persuada d’emprunter un chemin de pourpre pour rentrer au Palais. Bien que cela soitréservé aux statues de divinités, le roi se laissa convaincre pensant faire preuve d’humilitéle malheureux. La perfide femme qui avait tissé sa toile d’araignée commença à la resserrersur lui tel un filet du sort. Silence.
Mouvement du Choeur.
Elle l’entraina donc et lui fit prendre son bain. Et là, aidé de son infâme amant, l’entourad’un voile pour l’immobiliser. Ensuite, sans qu’il puisse se défendre, la double hache de larevanche s’abattit par trois fois sur son corps gémissant. Cependant l’infamie et la perfidienon contentes du succès de leur complicité se mirent à lui découper ses membres alors qu’ilagonisait encore. Cet horrible cauchemar ne se termina que lorsqu’il fut vidé de tout sonsang. Un temps.
Noyé dans son propre sang, ses membres épars, il cracha alors son âme dans un derniersoupir. Celle-ci démembrée, ne pouvant se venger, s’enfuit sur le champ. Un temps.
Grâce à ce crime monstrueux, le couple sanguinaire s’empara du trône de Mycènes.Heureusement dans sa sagesse Electre parvint à faire échapper en Phocide le jeune Oresteavec son pédagogue. Depuis, la tyrannie écrase du pied notre patrie et Electre, en esclavedu Palais, endure les pires tortures. Désormais notre unique espoir porte un nom : Oreste !
Le Coryphée s’agenouille lentement comme pour se prosterner et le Choeur l’accompagnedans ce geste.
Danse du Choeur : Prière.
Noir.