180 - Episode 1 : Le retour d’exil et la mission d’Oreste
N. Lygeros
Oreste
Pylade, mon ami, voici la terre de mes ancêtres. Sur cette terre sont nés l’ombre et lalumière, le crime et le châtiment.
Pylade
C’est donc ici ta patrie ?
Oreste
Oui ! Mille fois oui ! J’attends cet instant depuis tant d’années que j’ai l’impressiond’être né avec ce désir ; l’heure de ma patrie, le baiser de ma terre.
Pylade
Ici, le soleil est d’une intensité rare.
Oreste
C’est le soleil de la justice, le formidable. Ce monde est lié au soleil comme le mythe àl’histoire. Je reconnais ma patrie à l’odeur de sa chaleur.
Pylade
Je sens le goût de son parfum.
Oreste
Dans ce pays des idées et des contradictions, nous sommes sans cesse inondés de lumièreet pourtant nous mourons assoiffés. Sur cette terre à l’horizon ocre où l’on a planté le vertdes cyprès, le temps ne pleure que rarement.
Pylade
Et la mer ?
Oreste
Un morceau de ciel tombé sur terre.
Pylade
Et pourtant Oreste, j’ai l’étrange sensation qu’une brume cache la véritable nature de cepaysage.
Oreste
Cette brume est présente dans toutes les contrées où la traîtrise est présente. Et ici, elleest encore plus sensible et plane sur nous comme d’invisibles Erinyes. Le passant ressent saprésence et saisit l’aspect tragique de la beauté de ce lieu. Comment voler dans cette merde pierres ? Comment m’ancrer dans ce ciel ? Un temps.
Le meurtre de mon père, le chef de la plus glorieuse des expéditions grecques, endeuillemon pays comme il déchire mon coeur. Même la joie de mon retour d’exil ne peut s’exprimertant ma douleur est grande. Et sur ce lieu où je suis né, je reviens pour donner la mort. Letemps est un lieu sans espace.
Pylade
Il ne s’agit de tuer mais d’exécuter l’usurpateur.
Oreste
La démesure de ma mission n’a d’égal que ma souffrance.
Pylade
Rends grâce aux dieux d’être encore vivant pour accomplir cette tâche.
Oreste
C’est vrai que je suis vivant mais l’exil est plus amer encore que la mort. Et de retourdans mon pays c’est la vie elle-même qui est amère. En terre étrangère je me croyais enprison et sur ma terre je prends conscience que j’ai été enfermé dehors. Mes ennemis m’ontcondamné à exécuter le châtiment d’Apollon.
Pylade
De quoi as-tu été accusé ?
Oreste
Je suis coupable d’exister. Ma naissance, un pouvoir ; mon enfance, un danger, et ma vie,un devoir. Un temps. Mon existence représente un danger de mort pour eux. Maintenant,ils ont raison… En brisant mes ailes, ils pensaient obtenir la victoire. Seulement j’ai apprisà vivre comme si je ne devais jamais mourir, avec un seul but : venger mon père en tant quepyrophore* de la justice.
Pylade, avec emphase.
Le feu d’Oreste brûlera les haillons d’Electre !
Oreste
Oh ! Electre. La seule joie qui me reste dans cette vie. Combien elle doit gémir dans sesfers. Elle m’a sauvé en me confiant à l’unique ami resté fidèle à mon père, notre pédagogue.Mais elle, elle est restée… Et depuis tant d’années elle ploie sous le joug de la tyrannie.Cette souffrance qu’elle porte en elle, la rend digne du titan Atlas.
Pylade
Tu seras son épée et je serai ton bouclier.
Oreste
Oui, ami ! Avec la lumière sur les épaules nous combattrons le mal : nous vengeronsla mort de la gloire et délivrerons la justice de ses fers. Un temps. Cependant, avantd’entreprendre toute action je dois me rendre sur la tombe de mon père.
Pylade
Ceci précède toute chose !
Oreste
Je me dois de couronner le tombeau paternel de libations comme l’a prescrit l’oraclepythique*. En signe de respect et de gratitude pour m’avoir donné la vie et permis derevenir d’exil sain et sauf j’y déposerai aussi une boucle de mes cheveux.
Pylade
La noblesse de ton geste ralliera les dieux à notre cause.
Oreste
Tes paroles sont sages Pylade et tu as sans doute raison. Néanmoins mon geste est celuid’un homme libre qui respecte les coutumes de son pays et non celui d’un esclave qui craintles dieux. Car notre cause est juste, et cela est connu des dieux. Un temps. Ils savent aussiqu’Electre est condamnée à vivre dans l’injustice. Pensif. Je me demande souvent, commentelle est à présent et je tente de l’imaginer. Seulement, bien vite mes pensées s’assombrissentet se noient dans le chagrin de mon âme.
Pylade
Tes sentiments t’honorent Oreste.
Oreste
Mes sentiments mettent en lambeaux ma pensée quand je songe à Electre. Commentimaginer pire tourment que celui que lui a infligé le sort ?
Noir.