1843 - Continuum Génocidaire
N. Lygeros
Le génocide n’est pas seulement un acte de barbarie. En tant que crime contre l’humanité, le génocide est une mesure inhumaine. Il permet de jauger la société dans laquelle il intervient. Il donne en somme le sens de l’absurde. Aussi lutter pour la reconnaissance du génocide, c’est lutter contre l’absurde. Il faut prouver l’évidence à la manière d’une démonstration par l’absurde. Il faut montrer que les victimes sont des victimes, en d’autres termes identifier leur mémoire. Il faut montrer que les bourreaux sont les bourreaux, en d’autres termes tracer leur crime. C’est le signe du temps. Et tout cela en restant juste. Car le juste doit être exemplaire. Evidemment toutes ces contraintes rendent extrêmement difficile cette tâche et nous ne devons pas nous étonner quant au découragement de certains. L’important, c’est de saisir que le temps est avec nous et qu’il travaille pour nous. Car le crime est imprescriptible. Aussi la conservation des données permet de mieux asseoir la cause. Certes, nous ne pouvons pas nous contenter de cela et nous devons envisager le problème de la reconnaissance du génocide de manière globale. Le grand économiste John Kenneth Galbraith avait une opinion singulière sur la première guerre mondiale. En effet, il considère qu’il est plus judicieux de la nommer la Grande Guerre sans diminuer son importance en fonction de la seconde comme nous le faisons habituellement. Car selon lui, il est plus juste de considérer la seconde guerre mondiale comme la dernière bataille de la Grande Guerre. Dans ce nouveau cadre, certainement perturbant pour les personnes conventionnelles, la notion de génocide acquiert un nouveau sens. Comme il n’est plus possible de séparer les génocides ainsi que les bourreaux, nous assistons à une unification du sens. Ainsi le régime nazi et le régime des jeunes turcs apparaissent comme une seule et même entité qui élimine systématiquement les Juifs et les Arméniens qui sont eux-mêmes unifiés en tant que victimes. Dans ce nouveau champ, une vision globale est nécessaire pour comprendre l’importance de la notion de génocide. La comparaison n’a plus de sens. L’idée est ailleurs. Nous avons un continuum génocidaire qui englobe les associations et les analogies. Les bourreaux ne sont que la succession d’autres bourreaux. Aussi où se trouve donc la différence ? En réalité, il n’y en a qu’une mais elle est de taille. Une partie de ces bourreaux a été reconnus comme telle tandis que l’autre ne l’est toujours pas. Nous avons donc une incomplétude fondamentale en termes des droits de l’homme. Si nous voulons vraiment que les générations futures s’appuient sur le travail accompli, celui-ci doit englober l’ensemble de ce continuum génocidaire. Aussi la reconnaissance du génocide doit être effectuée à partir du point initial. C’est en ce sens que la cause est fondamentale. C’est en ce sens qu’il faut mettre en évidence la divergence qui consiste en un génocide de la mémoire. Aussi l’ampleur de la tâche ne doit pas nous décourager mais au contraire grandir notre humanité.