1889 - Le Mémorial et l’architecture de son esthétique
N. Lygeros
Le Mémorial Lyonnais pour le génocide des Arméniens est désormais un élément générique de la cause des droits de l’Homme. Il ne représente plus un simple mémorial parmi d’autres. Il est d’une certaine manière le mémorial. Non pas au sens unique du terme mais générique qui atteint via cela, une universalité. Avec le mémorial et non seulement ce mémorial, nous n’avons plus un lieu du souvenir d’un peuple oublié de tous sauf de lui-même, comme le disait Albert Camus dans son article L’enfant grec. Nous avons surtout un lieu de réflexion d’un peuple offert à l’humanité tout entière. Il s’agit d’un lieu psycho-historique, le lieu où la réflexion sur l’histoire du passé permet de créer l’avenir. C’est en ce sens que le mémorial peut être qualifié de mémoire du futur, car il entre dans le cadre d’un humanisme audacieux qui ne se contente pas d’être mais aussi de créer à la manière de Prométhée. De cette façon, à l’instar de ce dernier, il vole le regard du passant pour le transformer en réflexion. Le topos se métamorphose en skopos. Le mémorial permet d’examiner la beauté, la beauté de la mémoire au sein de l’oubli. C’est pour cette raison qu’il peut s’interpréter comme un kaléidoscope au sein duquel se mélange le passé et le futur pour créer notre présent. L’objectif du mémorial n’est pas seulement le souvenir. Dans les pages du passé, il représente un signet dont la présence rend nécessaire la lutte contre l’oubli. Son architecture s’intègre dans la ville de Lyon tel un signet dans les livres de l’histoire. Il ne brise rien, il écarte simplement le vide qui existe entre les pages en posant ses feuilles de pierre sur le sol français. Il puise sa force dans les droits de l’homme et la transforme en esthétique non pas statique et passive mais dynamique et audacieuse. Ces feuilles qui supportent les pierres d’Arménie s’unissent dans leur fragilité pour affronter les ciseaux de l’oubli, le génocide de la mémoire. Seulement il ne s’agit plus d’un jeu pas même de celui de la vie, mais de la vie elle-même. Car le Mémorial a été conçu pour vivre auprès des hommes, pour que ces derniers puissent le traverser sans se blesser mais pour garder le souvenir du passage. Le Mémorial n’est neutre qu’au sens du catalyseur de la réaction. Il ne transforme pas les hommes, les bourreaux suffisent à cela, ce sont les gens qui se métamorphosent en hommes. Cette architecture qui a pour fonction de condamner les crimes contre l’humanité, est elle-même une source d’humanité. Il ne s’agit pas seulement de pardonner grâce à l’oubli mais de comprendre grâce à la mémoire. Ce qui caractérise le Mémorial Lyonnais pour le génocide des Arméniens, ainsi que l’architecture de son esthétique, c’est justement leur humanité. Le Mémorial n’est pas uniquement à dimensions humaines, il est la dimension de l’humain car à travers le génocide, l’Humanité tout entière comprend ce dont elle est capable. Via la mort et l’injustice, elle comprend la profondeur de la vie et de la justice. Cependant le mémorial n’est l’avocat d’aucune cause. Il en est seulement le juge. Le Mémorial montre le sens du jugement premier.