1947 - Spécialisation versus Universalité
N. Lygeros
« Démentons sans hésiter ceux quiappellent bon maître le peintre qui réussit un seul type de tête ou une seulefigure. Ce n’est pas un grand exploit d’arriver, en étudiant une seule chosependant toute sa vie, à quelque perfection ; mais puisque nous savons quela peinture embrasse tout ce que la nature produit et tout ce que créel’opération adventice de l’homme, et en un mot tout le domaine du visible, ilme semble bien pauvre, le maître qui ne sait rien faire qu’une seule figure. »
Leonardo da Vinci
Même siLeonardo de Vinci semble prêcher dans le vide à une époque où règne laspécialisation à outrance, nous ne pouvons qu’admirer son esprit de résistanceface à la masse. Sa critique révèle la faiblesse de la spécialisation dans cequ’elle a de plus puissant à savoir la répétition. Cette forme dégénérée d’imitationqui devrait être le premier pas de l’admiration, au lieu d’être un moyenefficace devient un but sans intérêt. Parfois il nous arrive de parler du styled’un artiste alors qu’en réalité nous devrions utiliser l’expression :limite de compétence. Car les véritables artistes ce sont ceux qui ont su serenouveler et découvrir un ensemble cohérent et évolutif de styles quiconstruit les éléments d’universalité. Seuls ces derniers peuvent permettre àl’artiste de dépasser de manière radicale l’artisan afin de devenir un maître.Le maître ne peut être caractérisé par un seul style car il le transcende. Lepoint de vue de Leonardo da Vinci ne va pas seulement à l’encontre de la visionsociale mais aussi de la vision artistique telle que nous l’entendons de façonconsensuelle. La peinture et plus généralement l’art n’a de sens véritable ques’il embrasse la nature. Car le modèle du monde est le monde lui-même.L’artiste qui ne peut saisir le caractère inclassable de la diversité ne peutcomprendre la polymorphie de la création. Nous ne pouvons nous contenter de laspécialisation pour être qualifié d’artiste ou de scientifique car dans lemeilleur des cas nous ne sommes que des artisans et des ingénieurs. Si Leonardoda Vinci martèle son leitmotiv ce n’est pas pour créer un slogan. Il s’agitvraiment d’un schéma mental diachronique qu’il veut mettre en évidence malgrél’opinion de la foule. Comme si l’universalité était le complémentaire de la rareté.Comme si cela permettait de caractériser les hommes qui se doivent d’êtreuniversels vis-à-vis des personnes qui se contentent d’être spécialisées poursurvivre dans un environnement social qui les domine sans cesse et les écraseparfois. Même la perfection est dépourvue de sens si elle n’est pas associée àl’universalité. Elle ne représente donc pas un but en soi comme certainstentent de nous le faire croire. Leonardo da Vinci montre la voie via la raretéde la création universelle.