217 - Les Chacals (acte II et III)
N. Lygeros
Acte IILa scène s’éclaire sur le café de la place du Platane. Le sol de pierre a été arrosé pour tenter de rafraîchir les quelques personnes attablées, à l’abri du soleil, sous l’ombre du platane centenaire. Tout autour de la scène, des pots de fleurs et de basilic embaument l’atmosphère. Tout semble calme et paisible… Au centre de la scène, on voit Roza qui tient la main d’Alékos. Alékos Je crois que j’ai été trop dur avec elle… Roza Ce n’est pas vrai. Tu as eu raison de lui parler ainsi. Un temps. Elle n’avait pas le droit de te demander cela. Alékos Et pourtant, cette idée m’a traversé l’esprit. Roza, sur un ton très doux comme si elle voulait lui changer les idées Je le sais, Aléko. Silence. Mais à présent la vie continue. Alékos, sur un ton distrait Oui, la vie continue… Roza
Elle a besoin de toi, Aléko. Elle n’a plus que toi. Alékos Le regard d’Alékos est attiré par la présence d’un enfant qui passe et traverse la scène. Il semble heureux de déplier lentement un papier pour croquer à pleines dents le bonbon qu’il contient. Puis il s’assoit sur le côté de la scène. Il semble si heureux… Roza, surprise Qui donc ? Alékos, en le désignant du regard Le jeune garçon… Silence. Le bonheur est si simple parfois. Roza, en se tournant vers Alékos Oui, mais pas pour tous ! Alékos Et pourquoi, Roza ? Un temps. Quelle différence entre ce jeune garçon et Markos ? Ni la douceur, ni l’innocence ! Silence. L’unique différence, c’est la mort. La mort injuste de Markos. Roza Tout est une question de temps… Laisse à ce garçon quelques années encore et son innocence sera elle aussi coupable et considérée comme un crime. Alékos Et comment peux-tu supporter cela ? Roza Je ne le supporte pas, je le vis. Alékos Je ne veux pas de cette vie ! Roza Aléko. Un temps. Regarde-moi, Aléko. Moi aussi, j’ai besoin de toi. Alékos, en lui prenant la main Je le sais, Roza, c’est pour cela que je suis là. Roza Non, si tu es là, c’est pour les autres, pour aider les autres. Silence. Sur le côté de la scène, on aperçoit Vassilis qui se précipite vers Alékos, rempli d’inquiétude. Vassilis Aléko, ils arrivent… Alékos Dans combien de temps ? Vassilis Quelques instants, à peine… Alékos, en s’adressant aux autres Dispersez-vous ! À ces mots, toutes les personnes se lèvent et partent. À Vassilis. Emmène-la avec toi. Roza Je ne veux pas. Je veux rester, ici, près de toi. Elle se penche vers lui mais il la repousse tendrement. Alékos Non ! C’est inutile et dangereux. Il ne faut pas qu’ils nous voient ensemble. À Vassilis. Dépêche-toi, Vassili ! Vassilis prend Roza par le bras. Ils s’éloignent rapidement. Au même instant, de l’autre côté de la scène, on entend le son des bottes qui frappent le sol avec régularité. Juste après, dans une tenue très stricte, apparaît sur scène, le chef de la Sûreté, accompagné de ses sbires armés. Alékos fait semblant de ne pas les voir. Sur les instructions de leur chef, les sbires entourent la scène. Chef de la Sûreté Votre temps est très précieux à présent… Et pourtant vous le passez ici… Alékos Par contre, vous, vous n’avez pas perdu le vôtre ! Chef de la Sûreté Que voulez-vous dire ? Alékos, sur un ton ironique L’appel du devoir, vous impose de travailler sans relâche… Chef de la Sûreté La société a besoin d’hommes qui la servent et qui travaillent pour elle, et non de… Alékos, en le coupant marginaux ! Silence. Votre société est une feuille blanche sans marge. En somme, le néant ! Chef de la Sûreté Notre société est basée sur l’ordre pour défendre ses citoyens. Alékos La défendre de quoi ? Ou plutôt de qui ? Chef de la Sûreté De tout ce qui est nuisible ! Alékos Comme la musique et la fraternité ? Chef de la Sûreté Comme les chants subversifs qui corrompent la jeunesse. Comme les compagnies secrètes qui complotent contre le pouvoir. Alékos Ce sont vos actions qui engendrent la révolte, non les chansons de notre âme ! Un temps. Mais vous n’avez que faire des âmes ! Vous ne désirez, en désignant les sbires, que des hommes de main ! Vous êtes la main droite du diable ! Chef de la Sûreté Mesurez vos propos, sinon il pourrait vous en coûter ! Silence. Puis sur un ton sardonique. J’avais oublié que vous êtes déjà condamné ! Alékos Je n’ai donc rien à perdre ! Chef de la Sûreté Ne dites pas cela ! Un temps. J’ai cru entendre que vous veniez de perdre un ami très cher. Croyez que j’en suis sincèrement désolé ! Alékos se lève furieux, mais les sbires resserrent au même instant leur cercle autour de lui. Imperturbable, le chef de la Sûreté poursuit. Il me semble, à présent, que je vous fais perdre votre précieux temps. Alors je vous laisse à vos pensées. Alékos Nous vivrons, même si nous sommes pauvres ! Chef de la Sûreté Je n’en doute pas mais pour combien de temps. Telle est la question. Un temps. Seulement vous êtes un homme d’honneur, alors nous nous verrons bientôt. Il part, suivi de près par ses sbires mais au dernier moment, il se retourne vers Alékos. N’oubliez pas votre parole ! Il sort sans attendre de réponse, le sourire aux lèvres. Alékos, seul Soleil de la justice, pourquoi as-tu abandonné notre patrie ? Un temps. Pourquoi l’as-tu laissée entre les mains de ceux qui haïssent les hommes ? Un temps. Pourquoi nous as-tu condamnés à vivre dans l’obscurité ? Markos est mort pour rien. Tu n’as pas accepté mon sacrifice ! Tu n’as pas accepté que je meure pour eux ! Un temps. Pourquoi ? Silence. Tous ses frères rentrent sur scène et, avec eux, Vassilis qui est revenu. Thanassis Le plan a fonctionné à merveille. Ils ne se sont rendu compte de rien… Aris C’est bien lui, n’est-ce pas ? Alékos Oui ! À présent, j’en suis certain. Michalis Dans ce cas notre élimination est programmée. Aris Ils ne nous auront pas facilement ! Thanassis Maintenant que nous connaissons le commanditaire, nous pourrons agir en fonction. Alékos Si nous voulons sauver nos frères, nous devons nous emparer de lui. Michalis Mais comment, Aléko ? Il est en permanence entouré de ses sbires. Alékos Il est trop sûr de lui. C’est une faiblesse ! Aris Il faudra le surprendre au moment où il s’y attendra le moins. Thanassis Ce ne sera pas difficile, il se sent partout chez lui comme si tout le pays lui appartenait. Alékos Seulement il existe un endroit où il se sent encore plus chez lui… Michalis De quel endroit veux-tu parlé ? Alékos De la Sûreté ! Vassilis Mais tu es devenu complètement fou, Aléko ! Il n’y a pas d’endroit plus protégé dans toute la Grèce. Alékos Justement, Vassili. Personne ne s’attendra à cela. Thanassis Personne, car c’est impossible d’y pénétrer. Alékos C’est vrai, personne ne peut y pénétrer sauf si l’on est invité. Un temps. Et mon invitation tient toujours ! Michalis Vassilis a raison, tu es devenu fou, Aléko. Ce n’est pas une invitation, c’est ta condamnation à mort. Un temps. Tu veux te jeter dans la gueule du loup… Aris, pensif C’est dangereux, c’est vrai mais ce n’est pas idiot. Là-bas, il ne sera pas sur ses gardes et il sera plus facile à atteindre. Thanassis Ari, tu parles ainsi car tu n’as jamais vu les locaux de la Sûreté. C’est la mort qui règne là-bas. Alékos Il est donc temps que ce soit la justice ! Aris Nous irons ensemble ! Alékos Je n’ai d’invitation que pour une personne, Ari ! Aris Je m’arrangerai pour en avoir une, moi aussi… Michalis Vous êtes l’un plus cinglé que l’autre ! Cette idée est une folie. Alékos C’est aussi notre seule chance de réussir. Michalis Tu as une vision bien singulière des choses : ils te donnent deux jours de sursis et tu considères cela comme deux jours de vie, ils te condamnent à mort et tu y vois une chance. Alékos C’est pourtant simple, Michali. Notre volonté est capable de transformer des faits. Un temps. Pour mener à bien notre projet, il faudra que vous vous armiez. Michalis, sur un ton différent Pour ce qui est des armes, je m’en charge ! Aris Merci, Michali, je savais que nous pouvions compter sur toi. Manos Je viens avec toi, Michali. Nous serons de retour dans une heure… Ils partent sur-le-champ. Aris Pour ma part, je dois régler quelques affaires. Je ne serais pas long. Un temps. Thanassis Tu auras sans doute besoin de moi pour ces affaires. Aris Aléko, à quelle heure comptes-tu te rendre à la Sûreté ? Alékos Dimanche soir… Aris Bien ! Partons Thanassis… Ils partent à leur tour. Alékos, en s’adressant à Vassilis Il faut que je te parle, Vassili. Vassilis Je t’écoute… Alékos En mourant, Markos m’a confié son baglama… Vassilis Un très bel instrument. Alékos Justement, pour qu’il soit beau, il doit être joué, tu le sais bien. Or tu es le meilleur joueur de baglama… Vassilis, en le coupant Après Marko ! Alékos C’est vrai ! Seulement toi, tu vis encore et la musique de Marko doit vivre. Aussi avant de partir à la Sûreté, je te le confierai. Vassilis Je ne peux pas l’accepter, Aléko. Il est à toi… Alékos On n’accepte pas un don, on le reçoit ! Un temps. Le baglama de Marko doit vivre. Vassilis Je le ferai vivre, Aléko, je te le promets ! Obscurité. C’est samedi soir, très tard. En pleine nuit les Chacals se sont réunis. Ils sont tous autour d’une table, vivement éclairée par le haut. On voit de face Thanassis et à sa droite Aris. Les autres se tiennent très serrés autour d’eux. Il est clair au ton de sa voix que Thanassis est fier du coup d’éclat d’Aris… Thanassis Nous avons attendu la tombée de la nuit. En quelques mots, Aris m’expliqua ce qu’il voulait faire. J’eus beau tenter de le raisonner, il ne changea pas d’avis. Alors je décidai de l’accompagner malgré tout. Un temps. Nous gravîmes l’Acropole sans nous faire repérer par les projecteurs qui balayaient toute la montée. Notre ascension fut rude car nous ne pouvions pas emprunter les Propylées : Lagarde était trop nombreuse à cet endroit. Un temps. Mais Aris est un vrai chacal. Ses mains s’agrippèrent à la roche comme des griffes. Jamais il ne lâcha prise. Il m’aida de nombreuses fois pour m’éviter la chute. Il semblait tenir la roche comme nos pères ont travaillé la terre. Ses doigts empoignaient les prises comme des tenailles d’acier jusqu’à atteindre les remparts, puis les créneaux… À cet endroit, nous avons dû attendre que la garde fasse sa ronde. J’étais épuisé, mais Aris avait la force du révolté. Un temps. Au bout d’un moment nous sautâmes ce dernier obstacle et nous nous précipitâmes vers le drapeau Qui flétrit notre patrie. Il semblait immense et terrifiant à l’instar d’une vague d’un noir Trop profond. Pourtant Aris ne fléchit pas. Il s’empara du poteau et le gravit avec aisance jusqu’à atteindre l’attache supérieure. Il la découpa avec violence et emporta le drapeau sur ses épaules. En le voyant redescendre, ainsi armé de courage, je me suis dit que le sort de notre patrie n’était point encore scellé. Tant qu’il y aura des hommes comme Aris, la Grèce ne mourra pas ! Tous Bravo, Ari ! Michalis C’était donc cela ton but ! Aris Oui, Michali. Un temps. Et à présent, Aléko, l’invitation ne saurait tarder ! Il esquisse un large sourire. Alékos Ari, tu es terrible et digne à la fois ! Il pose ses mains sur les épaules d’Aris et de Thanassis. Michalis Un vrai chacal ! Obscurité. On retrouve dans le même endroit, avec le même éclairage, Alékos mais cette fois seul. Alékos Notre vie est construite sur du sable. Mais ce sable est caressé par notre mer, inlassablement depuis des siècles et des siècles. Chacun de nos mouvements est un grain de sable sans importance. Et pourtant l’ensemble, uni par la mer, devient le rivage de notre patrie. Et c’est sur ce rivage, au bord du ciel et de la mer, que sont nés les hommes de cette terre : nos pères et nos mères. Nous sommes les enfants de ce sable. Silence. Combien je voudrais me trouver sur ce sable, sous les pins, pour entendre le chant des cigales qui ont bercé mon enfance. Combien ces rares moments de quiétude me manquent à présent que le temps s’est dilaté pour se remplir des souvenirs d’antan. Un temps. Marko, où es-tu mon frère ? Où sont les années passées, nos belles années où nous mordions le soleil à plein dents ? Silence. Puis changeant de ton. Tu as vu ce qu’ils ont fait, Marko ? Un temps. Aris et Thanassis ont arraché le drapeau de la souillure ! Par défi ! Non contre le pouvoir mais contre la mort elle-même ! Un temps. Maintenant, Aris est invité lui aussi ! Silence. Aggélos est rentré pour la première fois sur scène, vers la fin du monologue mais Alékos ne l’aperçoit que maintenant. Aggélé ! Alékos se lève, va à sa rencontre et le serre dans ses bras. Aggélos fait de même. Un temps. Aggélos J’ai appris pour Markos… Alékos Notre frère est mort ! Un temps. C’est le chef de la Sûreté qui a ordonné son assassinat… Aggélos Il faut le venger ! Alékos Ce n’est pas une vengeance, c’est un devoir ! Un temps. Un devoir de mémoire ! Aggélos La mémoire n’y est pour rien, Aléko. Markos n’était qu’un chanteur et rien de plus… Alékos Seulement le chant de Markos était une plainte. Il chantait l’injustice du monde depuis notre enfance Aggélos C’est la faute de cette maudite société qui ne veut pas de nous ! Un temps. Personne ne lui est venu en aide ! Alékos La société ne fabrique pas la lâcheté ! Elle vit d’elle ! Un temps. Elle ne veut que des hommes domestiqués. Silence. Elle ne veut pas de nous, c’est vrai ! Mais nous sommes libres et elle aura besoin de nous ! Aggélos Je n’ai que faire de la société si elle tolère le meurtre de mes frères et si elle nous méprise. Alékos Ce n’est pas du mépris, c’est la crainte de l’inconnu ! Car pour elle, l’inconnu est foncièrement mauvais. Elle n’a pas de foi en l’homme. Elle ne croit qu’au système. Un temps. Ce qui n’est pas elle, est négatif… Aggélos Et donc nuisible ! Alékos Voilà pourquoi Markos est mort : il était différent ! Aggélos Mais comment peut-on assassiner quelqu’un parce qu’il aime les hommes ? Alékos La haine est capable de tout face à un amour qu’elle ne peut comprendre. Aggélos Quand Markos posait ses doigts sur son baglama, on pouvait entendre son amour et sa soif de vie. Il faisait vibrer notre âme. Alékos Il donnait vie à nos sentiments et sens à notre existence. Pour eux, il devait mourir ! Aggélos Alors eux aussi devront mourir ! Silence. Manos entre sur scène et s’approche rapidement d’Alékos et d’Aggélos. Il salue ce dernier par une accolade. Manos Aris est convoqué à la Sûreté. En souriant. Ils ont des soupçons ! Aggélos Comment ont-ils fait pour le localiser ? Manos Disons qu’Aris avait laissé des traces… Leur drapeau, en lambeaux, traînait sur le trottoir, devant sa maison ! Alékos Aris est un brave qui ne craint personne ! Obscurité. On discerne dans la pénombre les silhouettes d’Alékos et d’Aris qui discutent sans que l’on puisse entendre leur conversation. À l’opposé d’eux apparaît Roza qui semble tout agitée. Roza Ari, tu es complètement fou ! Aris, sur un ton sec C’est vrai ! Et alors ? Roza Pourquoi as-tu décroché leur drapeau de l’Acropole ? Un temps. À présent, ils vont certainement se venger… Aris, la coupant Je ne demande que cela ! Roza Tu n’as pas le droit, Ari ! Tu mets tout le monde en danger. Alékos C’est faux, Roza ! Ari n’a mis que sa propre personne en danger, nulle autre ! Roza Aléko, ne vois-tu pas qu’il agit sous ton influence ? Alékos Non, le komboloï s’est brisé et les perles se sont dispersées… Roza Que veux-tu dire ? Alékos La mort de Markos a libéré les chacals ! Roza Mon amour, vous allez vous faire tuer. Aris Ce n’est pas facile d’abattre un chacal. Roza Ils ont bien tué le pauvre Markos… Alékos Markos ne savait pas qu’ils le pourchassaient. Alors que pour nous, c’est un combat. Aris Nous allons l’attraper par la gorge ! Roza De qui parles-tu ? Aris Du chef de la Sûreté. Roza, sous le choc de cet aveu C’est lui que vous voulez prendre ? Aris Oui et dans sa propre tanière ! Alékos Tais-toi, Ari ! Ce n’est pas le moment… Roza, inquiète Aléko, que se passe-t-il exactement ? Alékos C’est sans importance ! Roza, agacée Quoi ? Un temps. Vous allez au devant de la mort et tu dis que c’est sans importance ! Alékos Face à la mort de la justice, il ne nous reste que la justice de la mort. Roza Mais vous n’avez aucune chance de vous en sortir vivants… Aris C’est Markos qui n’a eu aucune chance ! Un temps. Dans notre position, l’initiative est nécessaire ! Roza Aléko, tu n’es plus le même depuis ton séjour à la Sûreté… Aris, la coupant On ne revient jamais le même de l’enfer ! Roza Et surtout depuis la mort de Markos… Alékos Comment le pourrais-je, Roza ? Un temps. Une partie de ma vie a disparu ! Roza Mais je suis là, Aléko, auprès de toi. Alékos Ta tendresse n’y pourra rien changer : le passé ne peut revenir. Roza Et le futur, Aléko ? Il est à portée de la main… Alékos Il en sera toujours ainsi, il ne sera jamais plus près ! Roza Alors pourquoi perdre ton temps en t’occupant des autres ? Alékos Car pour moi, l’ingérence n’est plus un droit mais un devoir. Roza Mais personne ne t’oblige à quoi que ce soit ! Alékos C’est justement pour cela que je me dois de le faire ! Un temps. Et il en est de même pour Aris. Roza Tu es si différent, mon amour… Aucun des chacals ne te ressemble. Aris Alékos est semblable à tous ! Arrivée de Michalis et Manos. Michalis À présent, nous sommes prêts, Aléko. Alékos Parfait ! Qui d’autre est au courant de notre plan ? Michalis À part nous, personne ! Aris Maintenant, plus rien ne doit filtrer… Notre projet ne peut fonctionner que sous l’effet de la surprise… Roza Ne voyez-vous pas que tout cela est voué à l’échec. Un temps. Le destin ne nous aime pas. Aris, sur un ton sec Ce n’est pas grave, nous nous débrouillerons sans lui ! Roza Vous êtes inconscients ! On ne peut pas lutter contre le destin ! Alékos Le destin n’est qu’une extension naturelle de la réalité. Nous le créons par le choix de nos actes. Roza Mais c’est de la folie. Alékos Non, mon amour ! C’est notre liberté ! Roza Que vaut une liberté si elle conduit à la mort ! Alékos La vie, elle aussi, conduit à la mort et pourtant tu l’aimes ! Roza C’est toi que j’aime ! Peu m’importe une vie sans toi. Elle le serre dans ses bras. Silence. Tous les chacals semblent gênés par cet aveu. Sauf… Alékos Seulement, le monde nous attend ! Obscurité.
Acte III
La scène s’éclaire dans le calme le plus absolu. Tous les chacals sont là, autour d’une table. Alékos et Aris sont en train de leur montrer différents bâtiments de la Sûreté. Tous ont les traits tirés et semblent tendus. Néanmoins, le groupe dégage une grande force à travers tous ces regards. Il est certain que quelque chose va se passer et que plus rien ne sera comme avant. Leur vie est prête à rencontrer la mort : sans crainte, sans espoir, juste par nécessité. Alékos Thanassis et Vassili, vous vous occuperez de crever les pneus de leurs camions. Thanassis Pas de problème, Aléko, tu peux compter sur nous. Un temps. Ils vont en voir de toutes les couleurs. Vassilis Ils ne sauront pas où donner de la tête. Aris C’est bien le but de la manœuvre ! Alékos Quant à Manos, Michalis et Aris, vous avez pour mission de faire sauter leurs réservoirs d’essence qui se trouvent de l’autre côté du bâtiment principal. Michalis, je compte sur toi pour leur expliquer le maniement des explosifs. Michalis Manos connaît déjà les instructions. U temps. Quant à Aggélos, il sera vite mis au parfum. En prenant Aggélos par l’épaule. Et puis, il n’a pas froid aux yeux. Alékos Aris et moi, nous entrerons comme convenu par la porte principale. Sourire ironique. Puisque nous sommes conviés ! Laissez-nous une heure dans le bâtiment afin qu’ils ne soient pas sur leur garde. Ensuite… déclenchez tout ! Thanassis Et s’il y a un problème ? Alékos Vous ne changerez rien au plan ! Thanassis Mais s’ils découvrent notre plan ? Alékos Et bien, Aris et moi, nous mourrons comme convenu. Un temps. Aris Au moins, nous aurons tenté l’impossible. Alékos Il ne sera pas dit que les chacals n’auront pas tout fait pour l’honneur de Markos. Roza En quoi votre mort change-t-elle celle de Markos ? Un temps. Markos est mort ! Que vous le vouliez ou pas ! Alékos Son esprit et son âme sont toujours parmi nous. C’est pour eux que nous lutterons. Vassilis C’est pour la même raison que je jouerai désormais du baglama ! Roza Cependant Markos n’entendra ni le bruit des explosions, ni le son du baglama… Alékos Mais l’injustice, elle, il continuera de l’entendre pour des siècles et des siècles si nous ne faisons rien ! Thanassis Roza, ne rien faire quand on est responsable, nous rend coupable ! Silence. Pour des hommes comme nous, l’innocence est déjà un acte de culpabilité pour la société ! Roza Vous ne pouvez tout de même pas être responsables de tout ! Aris C’est pourtant ce qu’affirme la société ! À la surprise de tous, la mère de Markos apparaît sur scène. Cette fois, elle sait où elle va et se dirige directement vers Alékos. La mère de Markos Pourquoi ne m’as-tu rien dit, mon fils ? Alékos De quoi parles-tu ? La mère de Markos Tu le sais très bien. Un temps. De la vengeance de Markos ! Alékos Qui t’a parlé de cela ? Roza C’est moi, Aléko ! Je ne pouvais pas le lui cacher. La mère de Markos, la coupant C’était donc vrai ! Alékos, en s’adressant à Roza Tu n’avais pas le droit ! Roza L’acte d’aimer n’est pas un droit. Il est au-dessus des lois humaines ! La mère de Markos Mes vêtements sont une déchirure noire et ma maison une immense douleur. J’ai perdu Marko. Je n’ai plus que toi, Aléko. Un temps. Ne me laisse pas seule… Alékos, en s’approchant de la mère Mère, tu le sais, Markos s’est éteint alors qu’il était innocent. Silence. Jamais, je n’accepterai cela ! Roza Mais rien ne pourra le faire revivre, Aléko. C’est fini ! Pas même ton sacrifice ! La mère de Markos La mort vous embrassera, là où elle vous rencontrera. Un temps. Ne vous approchez pas d’elle ! Thanassis Chaque jour nous nous approchons d’elle. Tel est le sens de notre vie. Roza Je n’entends rien à tout cela. Un temps. Je ne demande qu’une chose : Aléko reste en vie ! Alékos Mais tu ne vois pas qu’ainsi je suis déjà mort ! La mère de Markos Non, mon fils, ne dis pas cela ! Tu n’as pas le droit ! Alékos La mort de mon ami, de mon frère, de ton fils, me donne tous les droits ! Silence. Les mots ne peuvent rien, il est temps d’agir. Un temps. Vassili, raccompagne-les chez nous ! Vassilis s’approche d’elles mais toutes les deux se jettent dans les bras d’Alékos qui les embrasse à son tour. Ne vous inquiétez pas. Je reviendrai ! Roza et la mère de Markos s’éloignent lentement suivies de près par Vassilis. Aris Tu es trop sensible, Aléko ! Un temps. Les femmes parlent trop ! Alékos C’est le cœur qui parle à travers elles. Alors comment ne pas l’écouter ? Un temps. Demanderais-tu à un marin de ne pas écouter la mer ? Aris C’est dans la mer que sombrent les navires et les hommes… Alékos Pourtant, c’est elle qui en les portant dans ses bras, leur fait découvrir le monde ! Et pour cette découverte, je veux bien prendre le risque de sombrer ! Obscurité. Alékos et Aris sont seuls. Ils semblent prêts à tout. Cependant Alékos semble préoccupé. Et Aris le voit… Aris Qu’as-tu, Aléko ? À quoi penses-tu ? Alékos Je ne pense à rien. Aris Ce n’est pas dans tes habitudes… Tu sembles préoccupé… Alékos Ce n’est pas le cas, Ari, je t’assure. Un temps. En fait, c’est à toi que je pense et c’est cela qui me préoccupe… Aris Et pourquoi ? Il n’y a pas de raison. Alékos J’ai l’impression de t’avoir embarqué dans cette mission, un peu contre ta volonté. Aris Il n’en est rien ! Je te parle franchement. Alékos Je te connais, Ari, et je te crois. Cependant Markos n’était pas ton ami d’enfance… Aris C’est sans importance. J’agirai de même pour chacun des chacals. Alékos Je n’en doute pas. Voilà pourquoi je suis préoccupé… Aris Tu t’interroges sur ma fidélité ? Alékos Absolument pas ! Seulement sur sa raison… Aris C’est une longue histoire, Aléko… Alékos Ari, je ne suis pas sûr que nous allons nous en sortir. Alors n’hésite pas à me raconter cette histoire ! Aris, pensif, comme cherchant dans ses souvenirs Cette histoire commence avec mon aïeul, mon grand-père pour être précis. Alékos, surpris Ton grand-père ? Aris Oui. Et je porte son prénom… Un temps. C’était un rebelle dont le visage était marqué par le temps. Sur un ton fier. C’était un klephte dans toute sa splendeur avec des yeux d’aigle. Il avait assisté à tant de massacres et de mutilations qu’il était devenu un homme avant l’âge. Et il avait choisi la terre. Joue et nuit, sa salive avait le goût de la terre. Un temps. Il était pauvre mais très fier. Il n’aurait pas accepté un morceau de pain d’un compatriote. Il était ainsi. Silence. Alékos Continue, Ari, je veux savoir… Aris Il a connu l’amour par la pitié. Jamais il n’avait éprouvé de la pitié pour quelqu’un avant de rencontrer sa femme en train de trimer pour transporter des pierres. Alors il a partagé sa sueur comme d’autres partagent un pain. Elle était son unique richesse. La seule chose qu’il possédait sur terre. Un temps. Un jour, elle lui donna un fils, mon père. Et il reçut cela comme un cadeau tombé du ciel. Seulement, elle mourut à peine quelques mois après l’accouchement. Le laissant seul à nouveau… Alors il décida de mourir sur le champ de bataille et il participa à tous les combats. Mais c’était un terrible guerrier et la mort n’osait s’approcher de lui. Un temps. C’est ainsi qu’il devint une légende. Silence. Comme pour lui, ma vie n’acquiert de sens que lorsque je lutte contre la mort. C’est pour cela que je serai à tes côtés. Alékos se rapproche de lui et ils se serrent dans les bras l’un de l’autre. Alékos À présent, je comprends, Ari. Un temps. Que la chance nous soit favorable ! Obscurité. Dans les locaux de la Sûreté, on retrouve Alékos et Aris assis dos à dos. Une lumière intense les éclaire par le haut. C’est une salle d’interrogatoire. Silence. Puis apparition, en bord de scène, du chef de la Sûreté qui s’adresse aux deux hommes à distance. Chef de la Sûreté Ainsi vous êtes revenus ! Alékos, sur un ton franc J’avais donné ma parole… Chef de la Sûreté, comme s’il se rappelait C’est vrai que vous l’aviez donnée. Un temps. Mais je n’en connaissais pas sa valeur… Alékos Moi, je connaissais la vôtre ! Chef de la Sûreté Même aujourd’hui, cette ironie ne vous a pas quitté. Alékos Elle m’a toujours été indispensable avec des gens comme vous. Chef de la Sûreté, en s’adressant à Aris C’est vous qui avez détaché notre drapeau ? Aris, sur un ton très dur Je n’ai rien trouvé d’autre comme serpillière. Chef de la Sûreté, en s’avançant vers lui, très menaçant Je vous ferai écorcher vif pour ce que vous avez osé faire ! Vous avez souillé l’honneur de votre patrie, de votre nation ! Aris Tant que des gens comme vous seront vivants, je n’aurai pas de patrie. Chef de la Sûreté, agacé Serait-ce une menace ? Un temps. Vous êtes ici dans les locaux de la Sûreté, à ma merci et vous osez me menacer ? Vous êtes inconscients ! Alékos N’est-ce pas par crainte que vous nous gardez les pieds et mains liés ? Chef de la Sûreté, hors de lui Gardes ! Gardes ! Un temps. Détachez ces hommes sur le champ ! Deux gardes arrivent et s’exécutent. Comme ils restent à proximité. Laissez-nous, je n’ai pas besoin de vous ! Ils sortent. Alors vous voyez bien que je ne vous crains pas ; vous n’êtes que deux insectes, deux cafards pour la société. Un temps. La seule joie que vous pouvez me procurer, c’est d’entendre craquer vos os sous le poids de mes bottes. Alékos Bien d’autres avant vous ont voulu nous écraser. Et pourtant, nous sommes toujours là, plus vivants que jamais ! Alors qu’eux, ils sont repartis pieds nus, la queue entre les jambes. Chef de la Sûreté C’étaient des imbéciles ! Un temps. Alors comme moi, je sais comment m’y prendre avec la vermine de votre sorte. En changeant de ton. J’en suis navré mais je n’ai pu me rendre aux funérailles de votre ami… Alékos tente de se lever mais il est retenu par Aris. Votre ami a raison, ce ne serait pas sage… Alékos Vous êtes l’être le plus abject que j’ai jamais rencontré ! Chef de la Sûreté, en riant Vous m’en voyez honoré ! Alékos, toujours maintenu par Aris Pourquoi avoir assassiné Markos ? Chef de la Sûreté Vous voulez dire éliminer ! Un temps. Au départ sans raison, je vous l’avoue, mais ensuite j’ai réalisé que son innocence était exaspérante. Alékos, hors de lui C’est donc pour cela qu’il est mort, sale chien ! Aris, en aparté Calme-toi, Aléko, c’est trop tôt. Chef de la Sûreté, comme si de rien n’était Disons que c’était le meilleur moyen que j’avais trouvé pour vous atteindre… Alékos, inquiet C’était ? Chef de la Sûreté Oui, car à présent, j’ai trouvé bien mieux… Alékos et Aris se regardent dans les yeux et le chef de la Sûreté voit leur surprise empreinte d’inquiétude. Vous n’avez plus d’inquiétude à avoir. Cela ne vous concerne plus… Un temps. C’était seulement au cas où vous n’auriez pas accepté mon invitation. Alékos Qu’avez-vous encore manigancé ? Chef de la Sûreté je n’ai fait qu’assurer mes arrières… Un temps. À présent, savez-vous quelle est la seule chose qui puisse vous sauver ? Un temps. Eh bien, je vais vous le dire : la liste de vos complices. Aris Jamais nous ne donnerons nos frères ! Un temps. Allez au diable, vous et vos sbires ! Chef de la Sûreté Je m’y attendais de votre part ! En s’adressant à Alékos. Mais vous, vous serez sans doute plus sensible à ma proposition… Alékos Pourquoi donc ? Chef de la Sûreté Connaissez-vous une femme qui réponde au nom de Rosa ? Alékos, furieux Qu’avez-vous fait à Roza ? Chef de la Sûreté, effrayé Rien ! Puis en se reprenant. Du moins pas pour le moment… Alékos Où est-elle ? Chef de la Sûreté Ne vous inquiétez pas, elle est en lieu sûr. Alékos, désespéré, tentant de se lever Je vais vous… Aris, en le coupant Non, Aléko, ne fait pas ça ! Mais Alékos se libère de son étreinte et se jette sur le chef de la Sûreté. Alékos, furieux Parle, espèce de chien ! Il lui fait une clef qui le maintient immobile. Chef de la Sûreté Ne me tuez pas, je vous en supplie… Alékos Si tu ne parles pas, tu mourras sur-le-champ. Je t’en fais le serment. Chef de la Sûreté J’ai dit à mes hommes que s’il arrivait quelque chose de suspect de l’achever… Alékos Comment as-tu osé, espèce de charogne ? Aris Aléko, les explosions…. Un temps. S’ils les entendent ? Alékos, tout aussi inquiet Est-elle dans ces locaux ? Chef de la Sûreté Oui, en sous-sol. Alékos Où, exactement ? Chef de la Sûreté Dans le bâtiment B… Alékos Ari, nous partons tout de suite ! Aris, en désignant le chef de la Sûreté Et lui ? À cet instant, on entend le bruit des explosions. Mon dieu ! Ils vont la tuer… Alékos Assassin ! Obscurité. Dans une salle obscure du sous-sol, on discerne le corps de Roza gisant à terre. Elle a été abandonnée en toute hâte. On entend des cris et des gémissements dans l’obscurité, qui le son d’une lourde porte qui s’entrouvre sur la droite, Aris et Alékos qui se précipitent sur Roza, toujours inerte. Aris C’est Roza ! Ils se penchent tous les deux sur elle et Alékos lui prend la tête dans ses bras. Alékos Mon amour, je suis là ! Il écoute si elle respire. Elle est vivante ! Aris Mais inconsciente. Alékos, en la secouant tendrement Reviens à toi, Roza ! Aris, en tenant les bras de Roza dans ses mains Ils l’ont torturée, Aléko. Regarde ! Ces salauds lui ont brûlé les bras à la cigarette et ils lui ont arraché les ongles. Alékos, en larmes Pourquoi ? Il la soulève et la serre contre sa poitrine. Tout est fini, mon âme ! Un temps. Ressaisis-toi ! Roza, dans un soupir Je n’ai rien dit ! Je n’ai rien dit, Aléko ! Alékos, en l’embrassant Je le sais, Roza. Calme-toi, tu n’es plus seule… Roza Aléko, je crois que je vais mourir… Alékos Non, Roza, tu n’as pas le droit ! Pas maintenant ! Silence. La mort ne viendra pas te chercher ce soir. Un temps. Je ne te laisserai plus jamais seule. Un temps. Je veux que nous vivions ensemble et que nous ayons des enfants ! Roza Moi aussi, Aléko ! Je veux vivre auprès de toi et voir grandir nos enfants ! Un temps. J’ai mal, Aléko ! Alékos Ce n’est rien, mon amour, je prendrai soin de toi et nous vivrons en paix. Au même instant, des gardes surgissent de toutes parts et s’abattent sur le trio pris par surprise. Aléko ne lâche pas Roza. Comme les gardes tentent de les séparer, ils se débattent violemment jusqu’à ce que l’un des gardes frappe Alékos sur la tête à l’aide d’une barre de fer. Il s’écroule sur Roza qui crie de toute son âme. Alors Aris, dans sa colère, s’empare de la barre de fer et frappe comme un forcené. Les gardiens tombent un à un. Les derniers, pris de panique, s’enfuient dans tous les sens. De nouveau seuls, Aris lève le corps de son ami et entoure Roza de son bras. Aris Nous rentrons chez nous. Obscurité. Pendant ce temps on entend Dimanche nuageux de Vassilis Tsitsanis. Dans une chambre, à peine éclairée, on retrouve Alékos allongé sur l’unique lit de la pièce. À ses côtés, les mains bandées, Roza lui tient une main et repose sa tête sur son épaule dénudée. À ses pieds, se trouve la mère de Markos qui est devenue sienne. Elle le serre dans ses bras comme si elle tenait l’ultime fil de sa vie. Une lumière pâle montre le visage livide d’Alékos. La mère délire où se lamente, nul ne le sait. Avec patience, elles attendent le jugement dernier… Silence… Sur le pas de la porte, on aperçoit Vassilis avec le baglama de Markos à la main. Il n’ose pas entrer. Puis il finit par s’avancer le plus doucement possible. Les femmes ne s’aperçoivent pas de sa présence, aussi il craint de les effrayer et s’arrête subitement. Vassilis Comment va-t-il ? Les deux femmes tournent lentement leur tête vers lui, le regard rempli de peine et de tristesse. Roza Il vit ! À ces simples mots, Vassilis esquisse un sourire. Vassilis Je le savais ! Un temps. Il est indestructible ! Roza, toujours inquiète Vassili, il ne s’est toujours pas réveiller… Vassilis Ne t’inquiète pas, Roza, il est encore sous le choc mais cet homme est taillé dans le roc. Roza Que Dieu le veuille ! Et elle embrasse Alékos sur les yeux. À présent que je sais qu’il existe un tel homme, je ne veux pas le perdre. Un temps. Sans lui je ne suis plus rien… Vassilis Ne dis pas cela, Roza, Alékos sera toujours là. Roza Je cherche une lueur dans ses yeux mais je ne vois que chagrin. Vassilis Avec lui, le temps a changé de couleur. Sa patine a disparu. Tout est plus lumineux ! Roza Mais il est si seul maintenant ! Un temps. Et les tourments ne cesseront jamais… Silence. Quand donc prendra fin ce terrible esclavage ? Vassilis Quand les hommes seront comme lui ! On entend la pluie qui tombe. Roza Tu entends, Vassili, même le temps pleure ! Vassilis sans rien dire s’approche Alékos et se penche sur lui. Vassilis Aléko ! Un temps. Je t’ai rapporté ton baglama ! Un temps. Alékos Non, Vassili, il est à toi ! Surpris, tous se relèvent et l’on voit enfin leurs visages remplis de joie. Vassilis Roza, Aléko a parlé ! Roza Mon dieu, il est ressuscité ! La mère de Markos Il est vraiment ressuscité ! Vassilis Je suis heureux que tu sois de nouveau parmi nous, Aléko ! Alékos Moi aussi, Vassili. Et il lui serre la main. Vassilis Je vais prévenir Aris et les autres… Il sort rapidement. Roza Parle-nous, Aléko, parle-nous ! Elle l’embrasse. Alékos La vie est un cadeau ! Roza C’est toi le cadeau de ma vie ! Un temps. Est-ce que tu veux boire, mon amour ? Alékos Oui, je veux boire à la vie ! Au même moment, Vassilis revient avec tous les chacals à sa suite. Aris Apportez du tsipouro, que l’on boive à la santé d’Alékos ! Il se rapproche d’Alékos pendant que les autres s’affairent pour installer des chaises et des verres. Sois le bienvenu, mon frère ! Alékos Merci, mon frère. Merci pour tout ! Ils s’embrassent et ensuite Roza tombe dans ses bras. Alékos lui embrasse les mains bandées en pleurant. Aris Allez, lève-toi à présent ! Tu t’es assez reposé ! Il l’aide à se lever et ils s’installent tous sur des chaises. Alékos Comment as-tu réussi à nous sortir de ce guêpier ? Aris C’est sans importance, l’essentiel c’est que nous soyons de nouveau tous réunis. Ils lèvent leurs verres. À la santé d’Alékos ! Tous À ta santé, Alékos ! Ils trinquent tous leurs verres. Alékos Aux chacals ! Puis il se rapproche d’Aris. Ton grand-père aurait été fier de toi ! Aris L’homme de la terre n’aime que le silence ! Alékos Pour les hommes de cette trempe, le regard suffit ! Un temps. Puis, à Vassilis. Vassili, joue-nous un morceau avec ton baglama… Nous devons bien cela à Marko ! Vassilis Tout de suite, Aléko ! Manos Attends, Vassili, je vais chercher mon bouzouki… Il sort d’un pas rapide. À ce moment-là, on entend des bruits sourds et tout le monde fait silence. Puis Manos revient vers eux. Les sbires sont partout ! Un temps. Nous sommes faits comme des rats. Ils sont venus nous abattre… Alékos, très calme Calme-toi, Mano ! Un temps. Avons-nous des armes ici ? Michalis La maison en est pleine… Nous avons aussi de la dynamite volée… Nous pouvons tenir un siège… Alékos Alors prenez chacun une arme et un poste ! Servez-vous des meubles pour vous barricader. Tous les chacals déplacent tous les meubles en bord de scène dans le noir et restent immobiles. Roza Mais qu’attendent-ils pour attaquer ? Alékos Les ordres ! Ce sont des esclaves ! À Michalis. Où est la dynamite ? Michalis Ici, avec moi ! Alékos, à Roza Prends un bâton de dynamite, raccourcis la mèche le plus possible et garde une chandelle allumée près de toi. Un temps. Si tu vois que nous sommes perdus, allume la mèche ! Roza Aléko, jamais je ne pourrais faire cela. Alékos Roza, tu es ma femme et je suis sûr de toi ! Un temps. Nous n’espérons rien, nous ne craignons rien, nous sommes libres ! Obscurité. On entend les premiers coups de feu.
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