230 - Le Sens des Caméléons
N. Lygeros
Choc mental.
Il ressentit une douleur lointaine. Une douleur passée qu’il n’avait pas ressentie depuis des années.
La douleur de l’absence. L’absence de la douleur.
– Non !
C’était bien son dernier mot. Il en était certain. Mais pourquoi ? Pourquoi ce mot ?
Néant.
Tout était là. L’univers dans un simple mot. Le refus qui avait provoqué le choc par contrecoup.
Le gel du temps avait sectionné les branches de l’univers.
Un voile blanc avait recouvert la pensée humaine.
Un hiver trop blanc.
Sans soleil.
Il avait raison. Il le savait… Le système avait donc trouvé la faille.
Après le temps, il avait brisé la couleur.
Plus rien n’avait de sens en soi.
Toute pensée était suggérée, manipulée.
Toute pensée avait été pensée par le système.
Le caméléon marchait lentement sur la glace incolore. Il recherchait la couleur du temps.
En voyant ce lac gelé, il avait pensé. Le vieil homme et la mer.
Les entrelacs fluides du lac étaient à l’image des dimensions temporelles :immobiles dans l’espace. L’homme qui voyait ce que les autres regardaient se sentait devenir aveugle. Toute forme devenait blanche…
Et si tout avait été pensé ? Et si tout n’était qu’une création de l’esprit ?
Car comment avoir la certitude de penser librement s’il existe la possibilité de la manipulation mentale. Comment savoir si ses propres déductions n’étaient pas construites par le système ?
Il ne pouvait être sûr que d’une chose : la permanence de la perfection. Quelque soit le système considéré, la perfection demeurait.
Les caméléons avaient livré de nombreuses batailles grâce à la puissance de la couleur et l’omniprésence du temps. Cependant ces notions avaient désormais perdu leur sens.
Quelle arme pouvait lutter contre la manipulation de la pensée ?
Le système avait donc découvert l’arme absolue.
Ainsi tout n’avait été qu’une illusion.
Une illusion perdue.
Sa révolte avait provoqué sa chute. Il avait été frappé par le néant.
Le visage glacé, la tête penchée, il continuait à penser.
Mais pour combien de temps encore ?
Face au mur des mots, le silence, il avait la nausée.
Comment comprendre l’absence de sens acceptée par tous ?
Il recherchait une explication.
Il cherchait l’erreur qu’ils avaient commise.
En vain.
Leur unique erreur, c’était d’avoir existé.
Ils représentaient une erreur dans le système.
L’éphémère dans l’éternel.
Les libres assiégés étaient à nouveau face au néant.
Il devait tout recomposer depuis le début.
L’idée du monde était en lui.
Mais à présent, il était dans un monde sans futur qui avait perdu son passé.
Désormais, tout serait à l’identique dans un éternel présent.
Écorché vif, la pensée mise à nue dans l’uniforme d’un monde blanc.
Poignée brisée, porte condamnée.
Outrage à la lumière.
Son monde avait donc une fin.
La fin de l’histoire. Car tout avait été écrit par le système.
Il décida alors de fermer les yeux pour la première fois.
C’était ainsi qu’il avait revu le reflet du soleil. Il revoyait sa mémoire mentale et il retrouva la saveur et le charme de son siècle. Ses yeux s’embuèrent et la fluidité structurelle d’une larme coula le long de ce visage singulier.
Nulle partie de son corps n’avait été blessée hormis l’essentiel. Paralysie totale.
Et pourtant il voulait encore. Ce qu’il ne pouvait vouloir. Le vouloir. Le libre arbitre.
Sa pensée était en contact permanent avec le système. Celui-ci, sans qu’il le voulût, répondait à chacune de ses questions. Il était obligé de suivre le fil conducteur de la conversation.
Alors il créa un labyrinthe neuronal. Il devait produire une contradiction. C’était le seul moyen.
Son interlocuteur systématique ne se rendit compte de rien. L’échange n’avait aucun sens. En tout cas rien de commun. Le blitz mental avait pris fin au moment même où l’isomorphisme cognitif du caméléon prit sens. Il avait engendré une boucle infinie discursive.
Non ! avait crié l’interlocuteur systématique.
Et son monde mental se leva.
Pourtant ce ne fut qu’après plusieurs minutes de concentration qu’il parvint à bouger sa main. Il sentit qu’elle était trempée. Un sentiment d’horreur s’empara de lui.
Il avait reconnu cet étrange liquide. C’était le flux du monstre.
Ils avaient broyé la main de son ami. La laser s’était éteint.
Dans ce monde sans couleur, il aurait préféré être aveugle plutôt que de voir son ami gisant à terre, le corps baignant dans une mare de lumière.
Ses muscles se tendirent et il tenta de se lever.
Il reçut une décharge mentale.
Capteur de mouvements.
Effaceur de pensée.
Néant.
Activation cellulaire. Enclenchement photonique. Réaction neuronale.
Il vit son visage baigné de larmes et il sut que son ami inconscient savait ce qu’ils lui avaient fait. Il souffrait…
C’était la preuve qu’il existait. Mais pour combien de temps encore ?
Il souffrait pour le caméléon. Il ne l’avait jamais vu dans cet état depuis que le destin qu’ils avaient créé les avait liés l’un à l’autre pour toujours. Et ce jour-là, il se demanda combien de temps encore durerait ce toujours…
Mais il savait que le temps était avec eux.
Et il savait pour quelle raison, ils avaient broyé la main lieuse.
Ils craignaient la magie du symbole.
Le symbole des caméléons dont le sens leur était inconnu.
Pour eux, il représentait la main droite du diable.
Car qui d’autre pouvait être incompréhensible pour une créature de dieu ?
L’éternelle accusation prométhéenne.
Cependant dans ce monde désespéré, il existait un homme, le seul capable de lui tenir la main, encore et toujours.
Le caméléon.
Activation dendritique. Application de la théorie des liaisons. Injection photonique.
Le flux éclaira la main du caméléon inconscient. Il avait besoin de quelques secondes encore.
Connexion mentale. Fusion neuronale.
* Téras… Ta main…
* Je sais. C’est sans importance.
Capteurs monochromatiques fonctionnels.
* Pensée ?
* Libre.
* Certitude.
* Vraisemblable.
* Tu as neutralisé l’interlocuteur systématique.
* Il n’a pas pu agir sur moi.
* Les matériaux du XXIIème siècle.
* Exactement.
* C’est la cantorisation…
* Nous avons été piégés par un paradoxe infini.
* Dans l’indécidable de l’hypothèse du continu.
* Le système s’est reconstruit sur un infini intermédiaire : ni réel, ni naturel.
* Et le forcing de Cohen.
* Inexploitable.
* Le système a donc pris le contrôle de la pensée…
* C’est ainsi qu’il nous a piégés.
* Seulement le temps est avec nous.
* Les caméléons seront les seuls à pouvoir lutter contre cette manipulation.
Changement de phase.
Les méta-penseurs.
* As-tu une idée de notre position ?
* Impossible à déterminer. c’est une branche infinie isolée.
* Sans espace fibré, pas d’accès à l’hyperespace.
* Ce qui est certain c’est que le système contrôle totalement la population locale.
* Et qu’elle nous considère comme des magiciens. C’est la conséquence de l’héritage de Giordano Bruno.
Recomposition manuelle. Activation de l’intervation photonique.
– Et ce n’est pas ta restructuration qui va nous aider à nous identifier aux autres, sourit-il en regardant la main de Téras.
Téras esquissa, lui aussi, un sourire.
Ils étaient seuls dans une époque et un lieu inconnus mais libres à nouveau.
Les libres penseurs se relevèrent.
Ils étaient dans un champ cellulaire. Des surfaces minimales emboîtées servaient de cellules.
Ils pensèrent aux arbres de Steiner. Ils devaient générer de nouveaux points pour modifier le champ et créer un espace, un espace de liberté. Et Téras plaça des cristaux de lumière en position apériodique.
Une grande force de l’esprit voisinait avec une grande fragilité de coeur. Tel était son ami, en qui le temps avait encré de la couleur de son enfance, le cyprès de la mémoire. Et il pensa que la légende avait du vrai. Pour créer l’homme, Prométhée avait emprunté une parcelle à chaque élément et à chaque être vivant.L’origine mêlée de l’homme avait fondé le système de correspondances entre microcosme et macrocosme, entre l’homme et l’ensemble de la création et entre le caméléon et lui-même.
Ils se retrouvèrent dans un monde parallèle qui troubla leur vision. Dans ce monde, tout était changeant aussi bien la matière que le vivant. Les formes ne cessaient d’évoluer et ce, de manière aléatoire. Une même partie de la cité pouvait comporter des éléments de différentes époques. Et chaque élément changeait sans cesse d’apparence. Ils contemplaient la polychronie du temps. Aucune direction temporelle ne régissait ce monde. Ses éléments mutaient de manière indépendante. Ils étaient face à un mirage permanent, une réalité instable. Une réalité où le temps avait définitivement perdu son caractère absolu. Dans ce monde toujours changeant, ils représentaient des singularités de stabilité.
Les caméléons étaient uniques car ils restaient eux-mêmes :invariables dans le changement.
Qu’importait le danger, leurs singularités caractérisaient cet espace imaginaire.
Qu’importait le mouvement, sa nature serait toujours égale à elle-même.
Seulement ils étaient les seuls à le savoir.
Les seuls ?
Pas exactement, puisque le système en était la cause. Dans ce monde enperpétu elle mutation, se retrouvaient à nouveau, face à face, l’être et le système.
Le combat inégal de deux entités dans l’éternel éphémère.
Le noeud de deux supercordes face au néant de la toile.
Cependant la lumière ne luit, n’éclaire, ne brille, ne plaît que dans les ténèbres.
Et les caméléons le savaient.
Ils s’apprêtèrent donc à affronter ce monde de l’imaginaire et de l’absolue relativité du temps.
Pour cela ils devaient tenir compte de toutes les ramifications de la théorie et élaborer une nouvelle expérience de pensée. Seulement comment concevoir une image d’un monde qui dépasse l’imagination ?
Comment évoluer dans un monde dépourvu de points de repère ?
Nécessité de création d’un modèle mental.
MIND.
Le manuscrit s’arrêtait à cet endroit. C’était incompréhensible.
Le vieil érudit n’en croyait pas ses yeux. Il avait eu tant de mal à se procurer cet exemplaire écrit dans une langue indo-européennedésormais oubliée. Il avait passé des jours et des jours à ledéchiffrer. Et maintenant qu’il était parvenu à lire l’un desrarissimes textes sur la légende des caméléons, il se rendait comptequ’il ne disposait pas du document dans son intégralité. Un sentimentde déception l’envahit…
Comment avait-il pu avoir la faiblesse d’esprit de croire en cet homme? Il avait pourtant eu un pressentiment en pénétrant dans cette échoppequi se trouvait à l’angle de deux venelles de l’ancien quartier. Selonles renseignements qu’il avait eus, c’était un repaire depasséistes. Ces hommes qui consacraient leur vie l’étude et à laconservation de l’ancien temps. Comme lui-même était un spécialiste demanuscrits anciens, cette idée ne l’avait pas choqué. Pourtant en pénétrant dans cette échoppe, il avait eu un véritablemalaise.
Les passéistes vivaient dans le passé ! Tous les objets présentsappartenaient au passé et plus exactement au XXIème siècle : le siècledes caméléons.
C’était le résultat de ses recherches sur cette légende. Il étaitparvenu à cette datation grâce à des manuscrits d’archéologues duXXIIème siècle. Ces derniers avaient été complètement oubliés par lacommunauté scientifique car apparemment ils traitaient d’une périodequi n’avait jamais existé réellement mais qui selon les notes desarchéologues correspondaient au XIIème siècle…
C’était ce dernier point qui l’avait intrigué.
Tout d’abord cette symétrie temporelle : le XIIème siècle, le XXIèmesiècle et enfin le XXXème siècle. Mais plus encore la perturbationtemporelle elle-même. Car c’était ainsi qu’il interprétait l’aventuredes archéologues. Selon lui, ils avaient été les témoins d’unemodification temporelle. Une modification rendue possible par lescaméléons : les maîtres du temps.
Il n’avait pas osé communiquer à quiconque le fruit de ses rechercheset de ses déductions. Il était le seul à voir ce que les autresn’imaginaient même pas. Parfois dans ses rares moments de rêverie, ilpensait à Galileo Galilei qui avait découvert la véritable nature del’espace grâce à sa lunette astronomique alors que les autres secontentaient d’améliorer leur vue terrestre. Pour sa part, il avaitdécouvert la véritable nature du temps avec ses innombrablesramifications. Tandis que ses contemporains s’efforçaient de survivresans perdre de temps à de futiles recherches. Son prédécesseur s’étaitretrouvé seul face à l’immensité de l’espace et il était lui-même seulface à la nouvelle dimension du temps.
Cependant depuis sa nouvelle découverte sur la ramification du temps àpartir du XXIème siècle, il savait que d’autres hommes, capables detraverser le temps en utilisant l’hyperespace, existaient. Et que mêmes’ils avaient disparu au XXIIème siècle pour devenir une légende, ilsreprésentaient les singularités essentielles de l’humanité. Pour lemoment, ils étaient enfouis dans son esprit, mais il savait que dansle futur ou dans le passé, il entrerait en contact avec eux. Il neserait plus seul… Il retourna dans l’ancien quartier en quête denouvelles informations.
L’expérience de pensée avait engendré un modèle mental. Maintenantcelui-ci devait être confronté à l’étrangeté de cette réalité. Térasavait conçu, en suivant les principes du modèle, des lentilles enphotonium. Celles-ci avaient la propriété de visualiser laquantification temporelle et en modifiant la constante de perception,elles permettaient de stabiliser l’image observée. Ainsi ils pouvaientvoir ce monde temporellement hétéroclite de manière stable. Parcontre, ils devaient subir un effet secondaire irréductible à savoirla lenteur extrême de leurs actes qui n’étaient plus associés à leurvision. Chacun de leurs gestes était en apparence infiniment lent. Ledéplacement des caméléons était si lent que dans chaque changementtemporel, ils étaient perçus comme étant immobiles. Paradoxalement ilschangeaient de quantum temporel sans se déplacer. Ils apparaissaientet disparaissaient de manière totalement discontinue. Enfin comme lephotonium teintait leur regard d’un bleu Cerenkov, ils devaient éviterde croiser le regard de la population.
Ils avaient pensé, au début, que le système n’avait pas pris grandsoin de la sécurité de leur camp de détention. Mais en sortant de leurcaptivité apparente et en examinant le monde dans lequel ils setrouvaient, ils avaient tôt fait de comprendre que celui-ci était unimmense camp de concentration. Ils étaient persuadés que tous lescaméléons avaient subi le même sort et qu’ils se trouvaient dans desmondes parallèles, isolés les uns des autres. Tout s’était produit aumoment de la cantorisation par l’action de la puissance ducontinu. Seulement, Téras était l’unique détenteur du photonium aussiles autres caméléons avec leur vision désorganisée, étaient à la mercide leur monde.
La cantorisation avait éclaté les réalités des caméléons et ilss’étaient retrouvés chacun dans une branche isolée de l’univers. Legroupe avait mis de nombreuses années à retrouver les caméléons dansl’espace et encore plus à travers le temps. Cependant ces recherchesavaient été effectuées dans le même mode, dans la même réalité. Alorsque maintenant, ils étaient à nouveau dispersés et ce, dans différentsmondes parallèles isolés. De nombreuses fois dans leur existence, ilsavaient eu conscience de leur isolement mais celui-ci dépassaitl’imagination.
Le bleu de Cerenkov semblait avoir plongé leur regard dans l’océan :la première immensité de leur existence.
Nostalgie lumineuse.
Passion Bleue.
Poids de la lumière.
Dix-mille temps le séparait de son époque et pourtant elle demeuraiten lui, omniprésente. Elle resterait à jamais le début de laramification temporelle consciente, la réalisation de la théoried’Everet III. Cependant elle représentait dans son esprit quelquechose d’encore plus important : la naissance de la pensée del’humanité : la conscience universelle.
Il était né au bord du ciel et de la mer.
Elle était née au bord de l’univers.
Il entendait dans sa pensée le ressac temporel comme il entendait dansle temps celui de la mer et il eut l’idée.
Il en parla à Téras qui confirma la justesse de son intuition.
A partir de cet instant, ils surent ce qu’ils devaient faire mais sanssavoir comment.
Cette fois, en pénétrant de nouveau dans cette échoppe, le vieilérudit regarda scrupuleusement tous les détails du lieu. Il ne savaitpas ce qu’il cherchait et pourtant il était certain de trouver quelquechose dans cette étrange endroit. En scrutant discrètement les murs durez-de-chaussée, il remarqua des traces et après avoir appliqué laméthode de Morelli, il en déduisit que cet endroit avait été unelibrairie, plusieurs siècles avant le sien. De plus, des traces encoreplus nettes que celles laissées par les livres et d’antiques étagères,prouvaient qu’elle avait été ravagée par le feu. Et il n’avait pus’empêcher de penser à une certaine température.
Il était en train de parcourir différents manuscrits quand il aperçutun étrange symbole sur l’un d’entre eux. C’était sa surprenantesymétrie qui avait attiré son regard. De part et d’autre d’un segmentvertical sectionné, affublé de deux segments identiques de mêmelongueur mais horizontaux, trois cercles concentriques formaient uncurieux assemblage. Ce dernier avait été produit à l’aide d’un sceauet d’une cire d’un bleu lumineux.
Au premier abord, cette couleur lui avait rappelé un très ancientableau d’un maître de Tolède. Mais après réflexion, cette coïncidencelui parut saugrenue. Aussi il délaissa la couleur et prit le tempsd’observer le symbole. Pas assez…
L’homme du manuscrit lui arracha violemment sa précieuse page encriant que ce n’était pas à vendre. Après un instant de surprise, levieil érudit rétorqua que cela n’était pas son but et qu’il souhaitaitjuste le regarder. Cela eut pour effet de calmer l’homme qui décida dela lui montrer à nouveau sans pour autant la lâcher.
– Connaissez-vous le sens de ce sceau ?
– Absolument pas !
– En avez-vous vu déjà un autre similaire ?
– Oui, bien sûr !
– Pourriez-vous me l’indiquer ?
– Suivez-moi…
Ils montèrent à l’étage, dans la section philosophie. Elle se trouvaità gauche de l’escalier de bois. L’homme monta sur un objet quisemblait être un véritable tabouret d’antan, atteignit une brochurequi se trouvait au sommet d’une étagère et la lui tendit.
Le vieil érudit reconnut le même symbole sur la page de garde. Ilétait là, sans aucune explication, comme si sa présence allait desoi. Il parvint avec difficulté à lire la langue écrite quicomportaient de nombreux chiffres énigmatiques.
C’était le journal d’une société secrète.
Le temps avait changé. Dans cette région régnait un froidarctique. Ils avançaient avec peine dans cette neige qui s’enfonçaitsous le poids de leur pas. Une immense fatigue pesait sur leursépaules. Ils étaient seuls à perte de vue. Pas une seule habitationn’éclairait ce néant blanc. Ils avaient été plongés dansl’obscurité du blanc.
Cependant le désespoir ne pouvait les envahir. Bien qu’accablés, ilssavaient qu’ils devaient rechercher le premier hyper-noeud de la lignenodale.
Le premier contact des branches isolées.
Ils avaient prévu le phénomène de l’interférence temporelle et aveclui, celui de l’intersection des réalités caméléoniennes.
Leurs pas formaient deux longues courbes parallèles dans la neige àl’instar des traces de la mémoire dans un monde de l’oubli et del’exil. La neige, à l’identique d’un système, finissait par rendretoutes les formes identiques. La dictature blanche écrasait de sonpoids toute vie, tout être.
Chacun des caméléons avait subi le même sort, dans leur ensemble, ilsavaient été projetés sur une hyper-sphère. Leur unique chance, c’étaitd’avoir la même pensée pour rechercher la même chose, au même moment :le contact universel. Car les branches d’univers isolées danslesquelles ils étaient prisonniers, ne le seraient paséternellement. Dans le futur, elles se rencontreraient à nouveau… Etle futur de cet instant critique dépendrait entièrement de lacouleur des caméléons.
Malgré la morsure du froid, il sentait en son for intérieur, unechaleur profonde, un chant ancestral qui s’élevait peu à peu pourinonder son esprit. Et cette voix grave était comme une poignée delumière dans les ténèbres.
Le chaos c’est toi qui le premier le terrifia grâce à la lumière.
Le chaos voulut te dévorer mais toi, malgré tes blessures, tul’illuminas et il se perdit dans le néant.
Un jour, dans les Cyclades, la lumière devint marbre et le marbre,statue
mais elle n’osa conquérir le monde, elle avait les bras liés
comme une lumière emprisonnée : le signe de ton destin.
Combien d’hommes savent que la mer est lumineuse
depuis que le soleil y a sombré
en voyant tes affres
et que le goût du sel
que laisse la mer sur les lèvres
est un éclat de soleil.
Le voleur de feu avait été le premier à lutter contre le système. Etle symbole énigmatique devait être une référence à ce démiurge. Tellefut la pensée du vieil érudit en emportant la brochure. Ellereprésentait une structure ouverte sur le monde. Elle n’était quecontenu sans contenant à l’instar du symbole.
Le vieil homme du futur traversa les ruelles du passé en cherchant lemoindre indice utile à sa quête. Il avait l’impression que le caméléonavait parcouru le même chemin plusieurs siècles avant lui. Et qu’àprésent, à la recherche d’une légende oubliée, ses pas le menaientdans une autre réalité. Une réalité si trouble qu’il en eut le coeurserré. Puis soudain, en s’approchant du fleuve, il eut uneillumination, une intuition de génie. Ce bleu qui lui avait paru siétrange, ce bleu qui lui avait rappelé le maître de Tolède, ce bleu nepouvait exister à cette époque.
Ce bleu, c’était du photonium…
Il ne pouvait le prouver mais il en était certain.
Changement d’état quantique.
Le photonium stabilisa la nouvelle vision. Maintenant et durant unquantum temporel le caméléon et Téras étaient dans un désert de sableblanc, dans une mer de dunes.
Le maître et le samouraï dans un océan zen.
Téras distingua un point lumineux à l’horizon. C’était un feu…
Le feu, ce morceau de jour dans la nuit.
Et bien qu’il ne fût encore qu’une lueur, il constitua le premierpoint fixe de cet univers infini en mouvement perpétuel. Malgré lesable et le froid, ils décidèrent de hâter leur marche car ils nesavaient pas combien de temps cet indice resterait à leur portée. Plusils s’en approchaient, plus sa masse devenait colossale. Et ils durentse rendre à l’évidence. Ce n’était pas un simple feu.
En plein désert, à l’abri de tout regard, se dressait une porte.
Un porte de laser.
C’était une parfaite copie de celle de Naxos.
Elle était seule, immense et ouverte sur le vide.
Aucune trace d’un temple, pas le moindre vestige.
Ils ne savaient toujours pas dans quelle période de l’histoire ils setrouvaient.
Ce ne fut que lorsqu’ils atteignirent le seuil de la porte qu’ilsvirent le symbole.
Au contact du sable, le laser avait vitrifié le sol.
Et dans la masse de verre, ils reconnurent un symbole familierconstitué de 196 points.
Il représentait un caméléon.
Seulement ce dernier n’était pas seul selon l’usage.
Il était entouré du signe de la perfection.
* Le groupe…
* Mais il a été délocalisé dans l’hyperespace.
* C’est vrai et pourtant il a conservé sa monadicité.
* Malgré la cantorisation.
* Celle-ci, par son indéterminisme, a permis au système de réagir en exploitant un autre infini.
* Cependant la monadicité est toujours présente.
* Et il est en de même pour le groupe dans le système.
* Ainsi il sait mais ne peut agir.
* Car il n’est qu’une représentation mentale de notre structure.
* Néanmoins il peut nous venir en aide.
* Et ce symbole en est la preuve.
* Sachant que nous serions séparés dans des branches d’univers isolées.
* Il a placé des portes de laser.
* Une porte en chaque hypernoeud.
Chacun d’entre eux appliqua une main sur le symbole et la portes’ouvrit sur le passé.
Ils se retrouvèrent au pied d’un roc qui abritait un monastère en sonsommet.
Un monastère des Météores.
Une oeuvre suspendue attira le regard du vieil érudit. C’était unegravure très ancienne qui représentait les vestiges du temple qui setrouvait à l’entrée du port d’une île des Cyclades. Il se demandacomment cette pièce rarissime pouvait se trouver dans cette minusculesalle d’art. Mais depuis qu’il avait pénétré dans ce quartier, plusrien ne le surprenait vraiment. Il avait tacitement admis que toutétait possible dans le passé dès qu’il avait compris qu’ilreprésentait le temple des passéistes. Sans nécessairement lecomprendre, ils avaient précieusement conservé tout élément dupassé. Ils vivaient dans le passé sans en comprendre le sens. Mais lesautres hommes étaient-ils différents ?
Philautie.
En entrant dans le monastère, ils savaient qu’il était tempsd’appliquer la théorie des relations humaines ou la théorie desliaisons car se poserait alors le problème de la confiance. En effet,dans cet endroit ils seraient amenés à faire la rencontre d’un autrecaméléon qui aurait subi le même sort qu’eux et qui serait entré danssa phase de méta-penseur. Cependant quelle vision aurait-il d’eux sansle photonium ? Il devrait leur faire confiance. Ils devraientdémontrer leurs propriétés caméléoniennes. C’était seulement ainsiqu’ils parviendraient à s’unifier à nouveau. Car la fusion étaitl’unique moyen pour lutter contre le système.
Ils étaient dans le cloître. Un jeune moine frappait avec régularitésur le grand sémandre de bois. Tous les deux connaissaient parfaitementce lieu sacré mais cela ne leur était d’aucun secours pour déterminerla date de leur séjour. Déjà à leur époque, les Météores avaient uneexistence de plusieurs centaines d’années. Alors comment savoir cequ’il en était maintenant ? C’était tout simplement impossible pour lemoment. Ils décidèrent de se séparer pour inspecter lemonastère. Téras irait directement à l’église et le caméléon rendraitvisite aux cellules des moines.
Téras n’avait jamais pénétré dans une église orthodoxe. Cependantgrâce à la mémoire du caméléon, il savait exactement comment secomporter. En allumant une bougie, il leva son regard vers la voute etil reconnut Saint Athanase qui lui rappela Thanassis, lechacal. L’éternel compagnon d’Aris, les amis de la pauvre Roza. Ilplanta alors la bougie dans le sable comme d’autres posent un bâton dedynamite. Il songea que ce lieu sacré respirait la résistance. Puis ils’approcha de l’icône de la Vierge Tendresse et l’embrassa le plusdélicatement possible. Cette image était profondément ancrée dans lamémoire du caméléon. Comme si elle avait toujours été présente dansson esprit et ce, depuis son enfance. Il savait aussi qu’une autreicône, semblable à celle-ci, avait été le prétexte de la condamnationinjuste de Thanassis. Et il pensa que rien ne pouvait empêcherl’ignorance des hommes, pas même le sacré. Enfin en lisantl’épigraphie sur l’icône du Christ, il ne put se retenir de poser samain sur son livre.
Etrange attraction de la lumière.
Le caméléon avait déjà visité plusieurs cellules de moines. Tous leconsidéraient naturellement comme un maître avec sa longue barbe noireparée d’argent ; les dons du temps. Même s’il exécrait la notion dehiérarchie lorsqu’elle était appliquée à l’homme, il éprouvait unegrande admiration pour ces moines qui avaient tout abandonné pourvivre, dans ce lieu sacré, ce qu’ils avaient de plus cher au monde : lafoi en leur Christ. Toute leur vie se réduisait à un seul but : lesacrifice de soi. Et le caméléon ne pouvait manquer de voir dans cegeste, un autre si semblable et pourtant si différent à la fois : sonamour de l’humanité.
– Le maître n’est pas là, avait répondu le jeune moine encore penché sur sa table de travail. Et le caméléon en avait déduit qu’il parlait de son mentor. Il avait tout de suite su que c’était lui qu’il recherchait. Ainsi le caméléon les attendait.
Tout est visible pour qui peut comprendre.
Derrière l’autel, Téras avait aperçu celui qui officiait. Non par saprésence mais par son absence. Il était entouré de jeunes moines quil’assistaient. Et il sut que c’était lui. Seul uncaméléon avait besoin de l’aide des hommes. Du moins, enapparence. Car c’était seulement de cette manière qu’il pouvait lesaider. Les hommes devaient l’aider à les aider. Le caméléon pénétralui aussi dans l’église.
* Je sais qui il est…
* Il est ici.
Contact caméléonien.
Le vieil homme, assis sur une pierre, buvait de l’eau. Et l’éphémèreavait conscience de deux éternités. Il avait compris désormais quedans ce quartier – cette enclave du passé dans le futur – se trouvaitla solution de l’énigme des caméléons – ces enclaves du futur dans lepassé. Et que le passé de l’un correspondait exactement au futur desautres. Tout se bousculait encore dans son esprit mais il avait àprésent la certitude qu’il était parvenu à lever une partie du voilegrâce à la découverte de cette société secrète et de sa brochure. Mêmes’il n’avait pas encore compris son fonctionnement, il savait qu’ellereprésentait elle aussi, à sa manière, un point initial dans laramification temporelle. Après l’avoir étudiée, il s’était renducompte qu’elle ne représentait aucunement un exemplaire unique. Sabrochure était un assemblage de plusieurs numéros qu’un passéisteavait réunis grâce au système de la pagination sans se rendre comptequ’il s’agissait de parties différentes. De plus son exemplaire avaitété écrit dans différentes langues indo-européennes et non uneseule. L’aspect polyglotte ne l’intrigua nullement car il étaitévident que cette société s’étendait sur plusieurs pays. Commentaurait-il pu en être autrement ? Quant à la difficulté linguistique,elle ne l’effrayait pas puisque ces langues faisaient partie d’une deses nombreuses spécialités. Il avait toujours été fasciné par leslangues mortes comme elles avaient été dénommées à l’époque. Nonc’était le contenu mental qui l’inquiétait car il avait beaucoup de malà cerner les liens qui unissaient ces différents articles. L’und’entre eux avait suscité sa curiosité car il en possédait plusieurspages. Elles étaient manifestement extraites d’une pièce de théâtredont le titre lui resterait sans doute à jamais inconnu. Pourtant cela ne le gêna pas autant que l’émotion qu’il éprouva à la lecture du monologue de l’un des personnages. Son réalisme avait brisé sa réalité. Il avait eul’étrange impression que ce personnage dont il ne connaissait que quelques paroles avait appartenu au temps et il l’aima comme un ami.
* Je vous attendais…
Ils n’avaient pas encore vu son visage mais ils surent qu’il s’agissait de lui.Il ne pouvait s’agir que de lui. Seul un caméléon avait pu saisir leur pensée.
* Tu es aveugle n’est- ce pas ?
* Oui et sourd…
* C’est donc pour cela que tu n’as pas été perturbé par la quantification temporelle.
* Depuis bien longtemps, j’ai dû faire abstraction de certains de mes sens.
* Sais-tu dans quelle époque nous sommes ?
* Oui et non.
* Tu fais sans doute allusion à la théorie de l’inflation.
* Oui et non. La conception de Linde des univers bulles n’était qu’une ébauche…
* Ainsi les méta-univers bulles sont une réalité.
* Grâce à la stabilité engendrée par le phénomène quantique l’hyperconjugaison.
* Les constantes universelles ne sont pas identiques…
* Elles sont universelles mais non méta-universelles.
* Leur valeur dépend de l’univers…
* Et dans celui-ci la constante de Planck doit être gigantesque.
* C’est pour cela que l’hyperconjugaison intervient à cette échelle.
* Mais alors les portes de laser…
* ne sont que l’application de l’effet tunnel.
Point triple.
Cent choses vues ne valent pas une comprise.
Sans aucune autre aide que l’effleurement de la paroi couverte d’images saintes, levieux maître les mena directement à la crypte. Là, ils découvrirent la deuxième porte de laser, à peine dissimulée par quelques cierges. Elle possédait, elle aussi, le mêmesymbole caractéristique. En discutant avec lui, ils avaient appris que les portes nepouvaient servir de passage qu’à deux personnes uniquement. Pour parvenir à la grandeunification des caméléons dans le méta-univers, ils devaient unifier les forces de chacun d’entre eux dans son univers. Ainsi ils devaient entrer en contact avec lesautres caméléons pour engendrer la structure altruiste qui s’unirait à la structurementale déjà existente.
Les mondes existaient. Ils devaient créer les liens.
Ils appliquèrent leurs mains sur le symbole.
Il avait fini par découvrir le sens d’un autre article dans une autre langue. Celui-citraitait d’un sujet complètement différent et plus théorique. C’était du moins ce qu’ilavait pensé initialement. Mais au fur et à mesure de sa lecture et de sa compréhensionde celle-ci, il comprit qu’il existait des liens entre les sujets et les auteurs. Toutse passait comme si les membres de cette société désiraient communiquer leurs penséesles plus profondes sur la réalité cognitive. Dans cet apparent chaos initial, il étaitparvenu à appréhender certaines idées déterministes. La richesse de la structureprovenait de la combinaison de ses éléments : ses singularités et ses relations.
Il se donnait l’impression d’un enfant jouant sur la plage et découvrant la variété desgalets caressés par la mer depuis des siècles. Devant lui s’étendait l’immensité del’océan qui était à la mesure de son ignorance. Plus il apprennait des choses sur la légende des caméléons, plus il trouvait des indices qui lui indiquaient le contraire.Mais chaque fois qu’il était sur le point d’abandonner ses recherches car il pensaitqu’il ne serait pas à la hauteur de sa quête, chaque fois un nouvel indice lui apportait du réconfort et l’encourageait à poursuivre. Il naviguait sans cesse entreces deux extrêmes, conscient de ne pas avoir le choix et d’appartenir à une histoirequ’il n’avait pas écrite.
Il se trouvait dans cet état mental lorsqu’il découvrit un nouveau texte, bilingue cette fois : un essai écrit sous la forme d’un entretien. Les auteurs s’intéressaientà deux aspects essentiels d’un système déductif et évolutif ? Pour sa part, il vit dans cet échange une manière implicite de parler de la création d’un modèle non pensantcapable de simuler la pensée sans pour autant subir le contrôle d’une tierce personneet il se demanda si les caméléons n’avaient pas utilisé cette méthode pour lutter contre le …
Choc mental.
Ils se retrouvèrent sur une petite île au contour fractal. Ils étaient sur une plage aux galets polychromes où des univers bulles, emportés par la mer et le vent, venaient mourirsur cette terre sacrée. Puis de nouveau, grâce à la renaissance de l’écume, la mer créatriced’univers nourrissait cette terre de feu. Au sommet de l’île culminait un monastère qui avaitfait naufrage dans le temps. Il était sur l’île de la révélation, ils étaient sur l’île del’apocalypse.
Ils ne se dirigèrent pas vers le monastère mais vers un lieu qui se trouvait beaucoup plus bassur le flanc de la colline. Un petit sentier de pierre leur indiquait le chemin à suivre à travers les pins. Le soleil caressait leur visage pour la première fois depuis la prisedu contrôle par le système. Sur cette terre, le caméléon revivait des émotions passées en sentant sa chaleur et le goût de son parfum. Téras le savait et il préféra rester silencieux.Cependant il se passa quelque chose d’imprévu…
Silence absolu.
Cet ordre lui sembla si artificiel qu’il saisit l’épaule du caméléon mais il perçut sa penséeet sut que c’était inutile.
Ils étaient suivis.
Contact caméléonien.
Cible localisée.
Impact.
Il mit un moment avant de se remettre de ce choc incompréhensible. Il ne sut dire s’il avaitun sens en soi ou s’il devait être compris comme la mise en oeuvre d’un schéma archétypal decomportement. En d’autres termes, s’il ne représentait pas un élément constitutif de lamythologie immémoriale des sociétés. Ou encore si cet évènement était en relation avec la légendedes caméléons.
Il était épuisé, voilà l’explication. Tout le reste n’était que le délire d’un homme affaiblipar sa quête et son combat contre des moulins invisibles. Il devait se reposer. Aussi il décidad’aller à la bibliothèque.
Sphère mentale active.
Il aimait tellement cet endroit qu’il finit par oublier sa pensée au moment du choc. Il parcouraitmentalement les rayons de la bibliothèque. Point fixe de l’univers livresque, il contemplait latempête des écrits. C’était sa terre natale. Cette terre gorgée d’encre et de pensées, traverséepar les grands courants de la philosophie, s’était transformée avec le temps en un immense édificelumineux. La mémoire humaine avait été gravée sur la lumière.
Gnose photonique.
Ils avaient réussi à neutraliser l’effaceur. Mais le caméléon avait été blessé et il gisait à terre, une main posée sur le tronc d’un pin. Il était inconscient. Ils le retournèrent.
L’arme de l’effaceur avait brisé sa clavicule.
Téras passa sa main sur son visage.
Activation du photonium.
* Tu n’es plus seul…
En traversant les univers, ils avaient incité le système à changer de tactique. Il ne pouvaitplus se contenter de les avoir séparés. Il devait les éliminer dans leur univers dès qu’ilreprésentait un danger potentiel.
Il n’avait pas tenu compte d’un principe.
Un caméléon est toujours un danger potentiel.
Il avait sous-estimé ses adversaires…
* Il faut trouver les sept…
* Comment ?
* Ce sont les mots de la prophétie…
* Mais de quelle prophétie s’agit-il ?
* Il y a bien longtemps que cette île est sacrée. Et depuis ce temps-là, elle est capable de voir des éléments du futur lointain. C’était écrit qu’un jour le système prendrait lecontrôle des univers bulles.
* Mais alors ?
* Seulement nul caméléon n’avait posé le pied sur cette terre avant ma naissance et les écritsétaient demeurés indéchiffrés… jusqu’à ce que je les découvre dans cette grotte sacrée àl’intersection des trois doigts de pierre.
* Le mythe de Saint Jean prodrome…
* Sept caméléons des univers bulles s’unieraient pour lutter contre le système.
* La grande unification.
* Chacun d’entre eux est le complémentaire des autres.
* La caractérisation altruiste.
* La prophétie mentionne aussi leurs surnoms : le prométhéen, le lumineux, le sage,…
* Et tu es le prophète.
* Oui, le quatrième…
Idée.
Cela commençait toujours ainsi.
Puis la combinaison des processus cognitifs engendrait une réaction en chaîne.
Il en avait toujours été ainsi.
Intuition.
Il avait dessiné ses premiers croquis à l’âge de dix ans. Encore maintenant, de nombreuses années après il les conservait dans sa mémoire. Il savait qu’ilsreprésentaient les premières traces d’un monde à découvrir.
Puis ses croquis devinrent des plans détaillés et complexes.
Ses premières créations mentales.
L’imagination était son monde.
Le monde, son inspiration.
Un détail pouvait devenir une idée et une idée, une conception.
Puis ses plans imaginaires devinrent des réalisations.
Ses premières interventions dans la réalité.
Il adaptait le réel à sa pensée.
Il transformait son espace cognitif.
Ingérence globale.
Ses centres d’intérêt avaient perdu leur sens.
Car son unique centre d’intérêt était le monde dans sa totalité.
Sa polyvalence brisa toutes les frontières classiques.
Il pensait dans un champ unifié.
Et sa pensée avait besoin d’espace.
Ses premières réalisations spatiales.
Leurs réalités défiaient l’imagination des hommes.
Alors ils décidèrent qu’un tel individu ne pouvait exister.
Et il sut qu’ils signifiaient qu’un tel individu ne devait exister.
C’était ainsi qu’il était devenu plusieurs.
Il devint les spécialistes.
Son absence cachait son omniprésence.
Son omniprésence cachait son existence.
Tous le connaissait.
Mais nul ne savait.
Il était enfermé dans le monde.
Alors il travailla, jour et nuit, sans relâche, sur un unique projet.
Entouré de ses créations mentales, ses interventions dans la réalité, sesréalisations spatiales, il inventa les réalités.
Et pour y accéder, il créa les portes de laser sur les intersections.
Puis il attendit les autres.
L’éternité.
Et un jour, la porte de laser s’ouvrit.
C’étaient le prométhéen et le lumineux.
Il était l’inventeur.
Il aimait cet océan de livres. Son immensité le dépassait et prouvait l’importancede l’oeuvre en tant que mémoire des hommes. Pour lui, cette bibliothèque étaitune véritable fondation du savoir.
Un savoir sans pouvoir. Un savoir pour le savoir. Et sa vie appartenait à ce savoir.
Comme à son habitude, il se trouvait dans la section des textes anciens i.e. le XXIème siècle. Sans vraiment comprendre ce sentiment, il avait depuis toujoursaimé cette époque qui représentait le début de son propre millénaire.
Sans vraiment comprendre cette idée, il était persuadé qu’il partageait quelquechose d’essentiel avec elle. Etait-ce sa couleur, son temps ou plus simplement encore son sens, il ne le savait pas.
Mais sa passion pour elle grandissait de jour en jour. Au point qu’il finit parpasser pour un passéiste auprès de ses proches collaborateurs. Cette idée l’avaitpréoccupé au début mais comme il avait fini par éprouver une tendresse paternelleenvers ces derniers qui aimaient sans comprendre, son assimilation par les autresne le choqua pas.
Seulement la rumeur se transforma en accusation. Et le vieil érudit devint leuravocat. Il détestait l’injustice des ignorants peu importe qui elle frappait.
Ce jour-là, il cherchait des documents pour justifier la provenance d’un objettrouvé par l’un de ses amis passéistes. Car depuis qu’il avait ouvertement prisleur défense, ils s’efforçaient de lui venir en aide dans sa quête des légendairescaméléons.
Sans saisir le comportement de leur imaginaire, il s’était rendu compte que pourcette population maltraitée par les hommes détenteurs du pouvoir, les caméléonsreprésentaient sinon un espoir du moins la nostalgie d’un temps révolu. Ilsappartenaient à jamais à leur passé. Personne ne pouvait leur voler cette richesse.
Cependant le vieil érudit n’en était pas certain.
Il tenait dans ses propres mains l’étrange objet.
En le touchant il avait eu l’impression de le connaître depuis longtemps.
Il n’avait pas su dire tout de suite en quoi il consistait.
Néanmoins il avait su immédiatement qui le saurait.
Sphère mentale active.
Sa réponse avait été : tsuba.
L’objet avait été réalisé dans le pays du soleil levant.
Au XIIème siècle ! Cela confirmait sa lecture des notes archéologiques.
C’était la garde d’un sabre. Tel avait été le verdict de l’Encyclopeadia Chromatica.
Mais ce qui l’intrigua le plus, c’était le dessin d’un grande pureté qui étaitgravé sur la garde.
Des entrelacs complexes formaient une figure unique.
Une figure à laquelle il ne pouvait donner d’autre nom que celui de caméléon.
Il avait du mal à discerner toutes les implications de cette découverte mais ilétait sûr au moins d’une.
Les caméléons avaient vécu à cette époque.
Bien avant le siècle de la légende, bien avant le siècle de leur génèse, ilsétaient là.
Pourquoi ? Telle avait été sa première question.
Comment ? La seconde.
Les passéistes avaient en leur possession des objets d’une richesse beaucoup plusgrande que celle qu’ils imaginaient.
Ils n’étaient pas les traces d’une légende oubliée.
Ils étaient la preuve de l’existence des maîtres du temps : les caméléons.
En les voyant, l’inventeur sentit un tel bonheur en lui qu’il eut l’impressionde ressusciter. Depuis sa naissance, c’était le second printemps de sa vie. Ses lentilles de photonium s’embuèrent.
Les sentiments d’altruisme envahirent leurs néo-encéphales et son cerveau photonique.
Le sacre du printemps.
Saturation des flux mentaux.
Phase générique de contact caméléonien.
Et pourtant la tresse que tissaient leurs pensées n’était qu’à son commencement.
L’inventeur admirait le photonique et craignait le prométhéen.
Téras analysait ses idées monochromatiques et lisait dans la pensée du caméléon.
Ce dernier ressentait sa solitude et contemplait les ouvertures sur les universbulles.
Il aimait la pensée de l’inventeur.
Même seul dans l’univers, il n’avait pensé qu’ouvertement.
La structure ouverte des portes représentait pour lui l’équivalent de ces cathédrales des temps passés. Tous les compagnons assemblés pour construiresous la direction du maître d’oeuvre, l’édifice de leur vie : le seul quisoit capable de transcender.
Et le caméléon inventeur avait créé tel un groupe de brainstorming en phase générique.
Seul au milieu du néant.
Il avait préparé l’arrivée des autres.
L’altruisme dans toute sa force et sa beauté désespérantes.
Et ses portes se tenaient sur les hypernoeuds grâce à sa mentalité.
Leur structure : l’ouverture.
Leur fonction : le contact.
Leur existence : les autres.
Les portes n’étaient pas seulement lumière, elles étaient matière pensante.
L’inventeur les avaient dotées de la capacité de se transformer.
Alors elles se structurèrent grâce à un modèle mental.
Elles se placèrent naturellement sur les hypernoeuds.
Elles devinrent les axones des univers neurones.
Et elles s’étendirent sur l’ensemble des univers bulles.
Elles constituaient un réseau de portes logiques capables de penser.
Elles étaient la concrétisation de la structure mentale du groupe.
Et maintenant que la poignée de caméléons était présente,
elles s’ouvriraient sur le futur
jusqu’à la fin des temps.
Tel était leur sens.
Intégration du réseau des portes logiques.
Activation des lasers.
Visualisation du photonium.
Mentalité photonique.
Métamorphose structurelle du méta-espace.
Les caméléons étaient prêts pour le nouveau contact.
Avec celui que même le prophète ne savait caractériser.
L’imprévisible.
C’était sans doute sa principale caractéristique pour les autres. En tout cas c’était ce quedisaient les différents témoignages que le vieil érudit avait trouvés dans la bibliothèque.Ils n’appartenaient pas aux documents officiels comme l’Encyclopaedia Chromatica aussi il sedemanda s’ils n’étaient pas apocryphes. Cependant il savait par expérience que même cedernier type de documents pouvait fournir des renseignements précieux après avoir été décodéset interprétés. Pour cela il fallait les comprendre.
Un fait était certain. Les caméléons engendraient soit la fascination soit la crainte. Iln’y avait pas d’intermèdiaire. Soit ils étaient considérés comme des surhommes soitils étaient accusés de tous les maux de la terre. Mais le plus intéressant sans doute apparaissait lorsque ces deux sentiments étaient confondus.
*derk
C’était le mot source, la racine. Tout provenait de lui. De sa méconnaissance et de sonaltération à travers les âges.
Ce mot indo-européen reconstruit, signifiait voir, regarder intensément. Il était attesté ensanskrit, langue dans laquelle il était devenu dadarsa, littéralement j’ai vu. Mais ilavait retrouvé sa trace dans d’autres langues européenes cette fois. En ancien irlandaisad-con-darc, en ancien allemand zoraht et en ancien anglais torht. Enfin en grec ancien, ilexistait un autre mot qui avait la même racine δέρκ -oμαι , je vois, je regarde.
Pourtant ce mot fut attribué aux reptiles. Et la raison de cette attribution fut leur regard.
Cette puissance du regard qui leur permettait de paralyser leurs victimes, leurs proies.
Or dans le Nouveau Testament, cette caractérisation n’apparait que dans l’Apocalypse où elledésigna le diable en personne.
Plus tard, le même mot quelque peu altéré, désigna via l’étymologie populaire le nouveau-némâle qui avait une pilosité développée, en particulier dans le dos et qui selon la conceptionpopulaire deviendrait un homme caractérisé par la prise de décision, le courage et l’audace.
Au XVème siècle, l’histoire d’un prince de Valachie vint perturber les esprits et leur visionde ce mot. Mais nul ne s’en rendit compte à cette époque. Ce ne fut que plusieurs sièclesaprès qu’éclata la nouvelle puissance du mot grâce à l’intervention d’un autre, slave cette fois.
Vrûkolak.
Celui-ci provenait de velkû, le loup.
Alors se mêlèrent les notions de regard perçant du reptile, du courage et de l’audace de lavirilité avec celles qu’engendrait le loup : la puissance, la résistance, la violence.
Et un jour, le peuple attribua ce mot à celui qui ne dormait pas.
Les nuits blanches de la lecture.
La découverte d’un monde inconnu.
L’apanage de qui savait voir dans le noir.
La lumière dans l’obsurité.
Ceux qui dormaient et ceux qui ne dormaient pas.
Ces derniers vivaient plus de temps.
Un temps difficile à établir.
En tous cas, ils vivaient quand d’autres mouraient dans un sommeil quotidien.
C’est ainsi que la vision populaire leur attribua l’immortalité.
Ils étaient uniques car ils restaient eux-mêmes : invariables dans le changement.
Et au XXIème les légendes s’unifièrent.
Pour les passéistes, la maîtrise du temps ne pouvait signifier autre choseque l’immortalité.
C’étaient ainsi que les caméléons, ces reptiles au regard perçant devinrent immortels.
Le vieil érudit apposa son sceau de photonium sur son manuscrit en hommage àces devins. Les lentilles de photonium illuminèrent les ténèbres de l’imprévisible. En pénétrant dans ce nouvel univers bulle, ils surentimmédiatement qu’ils avaient transgressé un interdit.
Cibles localisées.
Téras eut à peine le temps d’activer son bouclier magnétique.
Les effaceurs avaient dressé une embuscade.
Ils savaient donc précisément l’heure de leur arrivée.
Le système les avait donc suivis à la trace.
Ainsi la décision d’élimination physique était effective.
Mais que pouvait-il craindre de leur part ?
La fusion ?
Non car lui aussi devait sans doute connaître la prophétie.
Sauf l’imprévisible.
Et l’imprévisible arriva.
La puissance du feu se posa au sommet du bouclier.
Pour les caméléons, l’imprévisible était une personnification de la déesseAthéna.
Ce caméléon avait une véritable armure de lumière.
Comme si elle avait été trempée dans du photonium pur.
Le combat changea du tout au tout.
Les effaceurs semblaient ne pas avoir prévu cette intervention.
Seul Téras reconnut ce caméléon.
Il avait été forgé dans sa tête photonique au moment de son incursion dansle XXIIème siècle.
C’était ce jour où désespérement seul, il pensait aux passions du caméléon.
Et dans sa structure mentale, il avait découvert la présence de la déessede la sagesse.
Au même instant l’imprévisible eut lieu. et sa structure mentale se rigidifia en un être de lumière.
Elle était apparue comme dans la légende, armée.
Et elle devint la protectrice du XXIIème siècle après son retour dans le passé.
A présent, elle était à ses côtés dans ce nouveau combat.
Le feu provenait de sa puissance mentale.
Son énergie pulvérisait les effaceurs un à un sans aucun effort apparent.
Les survivants prirent la fuite.
C’était donc elle le caméléon imprévisible.
Elle bondit au moment de la désactivation du bouclier.
Ils avaient été sous son égide.
Elle représentait une nouvelle forme d’altruisme : le protecteur.
Le caméléon était bouleversé car elle avait exactement les traits de la déesse.
La déesse de sa représentation mentale.
Mais en regardant Téras, il comprit.
La prophétie s’était donc réalisée : l’imprévisible était arrivée.
C’était elle qui leur montrerait la voie pour découvrir le dernier des septcaméléons.
Le vieil érudit s’effondra sur sa pile de manuscrits. Il leur avait consacrésa vie et à présent il leur offrait sa mort, sa seule richesse.
Elimination des traces.
Le feu embrassa les milliers de documents qu’il avait regroupés dans son bureau.
Il s’était approché trop près de la vérité.
Les autorités supportaient l’existence des passéistes car la population lesdénigrait.
Alors que le vieil érudit était une figure respectable.
Tout le monde connaissait son histoire.
Elle était devenue une légende.
Il n’aurait jamais dû voir le jour. Mais il en avait décidé autrement, le destin.
Le hasard commit une erreur.
Il était le fils du hasard.
Sans autorisation, ses parents ne pouvaient avoir d’enfant.
Et pourtant l’irrépressible arriva.
Le temps de la couleur cachée.
C’était la condition nécessaire de sa survie dans le XXXème siècle.
Ses parents avaient déjoué les contrôles et pendant les premières annéesde sa vie, il avait pu apprendre en toute liberté.
Il avait le don des langues.
Seulement depuis plusieurs siècles, la seule langue autorisée était la systématique.
Aussi il développa son don sans que personne ne s’en doutât.
C’était un déchiffreur né.
Né dans un monde sans langue.
Il était tel un peintre dans un monde où seul le blanc était autorisé.
Nul ne pouvait soupçonner sa couleur.
C’était ainsi que son monde était devenu celui des langues mortes. Car plus ilen découvrait dans les bibliothèques, plus il comprenait leurs similitudes. Ilétait capable de voir les universaux linguistiques et cela le conduisit peu àpeu à la recherche de la langue parfaite.
Pour tester ses hypothèses, il entreprit l’étude des langues indo-européennes.
C’était ainsi qu’il en était devenu le spécialiste.
Cependant en recherchant sans cesse des documents anciens, il finit par trouverd’étranges informations ; des informations jamais mentionnées par les autorités. Comme si elles comportaient un secret.
Ce mystère obséda son esprit de synthèse si bien qu’il finit par découvrir qu’il était en lien avec la légende oubliée des caméléons.
Sans le réaliser complètement, sa vie avait acquis un nouveau sens.
Un sens caché.
C’était cette quête qui l’avait aidé dans sa solitude.
Au milieu de la foule de ses contemporains, il se sentait définitivement différent.
Sans en savoir la raison.
Mais à présent il savait.
Il savait trop.
Effacement effectif.
En regardant son armure de lumière, il était tout simplement impossible de nepas voir le maître de guerre alors que dans son visage, à travers le photonium,il discernait la déesse de la sagesse.
Aussi quand l’imprévisible parla, il ne sut qui pensait.
Contact caméléonien.
* Dans cet univers, il n’existe qu’une porte de laser…
* Cela n’a pas de sens.
* C’est pourtant la vérité.
* Alors c’est qu’il existe une autre explication.
Pendant que Téras aidait leur protectrice, le caméléon s’assit en position delotus.
C’était l’unique solution.
La méditation.
Ils formèrent les deux autres sommets d’un triangle de lumière.
Et le prométhéen s’assembla avec le lumineux et l’imprévisible.
Tout était encore possible.
Le temps était avec eux.
Leurs pensées s’entremêlèrent dans cet étrange univers. Et la tresse, telleune supercorde dans un espacetemps aux multiples dimensions, vibra de toute leur énergie mentale.
Création de la phase générique.
Les maîtres du temps pénétrèrent dans l’espace de résolution. Ils disposaientd’une triple méta-heuristique. Et la recherche commença. Elle sembla durerune éternité. Et pourtant quelques secondes furent suffisantes. Jamaisauparavant ils n’avaient pu développer une telle puissance.
Ici et là pourtant, dans un lieu inconnu, dans un espace inconnu, dans un univers inconnu, ils découvrirent la solution.
Le septième caméléon n’avait pas été projeté sur l’hypersphère comme les six autres.
Le pentagône étoilé était la clef.
Le septième caméléon se trouvait au centre de l’hypersphère.
Il était dans le coeur du système.
C’était la meilleure façon pour ce dernier de contrôler la situation.
En effet si les caméléons parvenaient à s’échapper de leur univers-bulles, illui restait en main le dernier pour lutter contre la prophétie de la fusion.C’était donc pour cela que cet univers ne possédait qu’une seule porte de laser.
Une autre aurait été inutile.
Le réseau des portes logiques était cohérent.
Car l’inventeur suivait la prophétie.
Ainsi pour retrouver le dernier caméléon, le septième, ils devaient emprunterla même porte et ce, en même temps que tous les autres caméléons. Seulementcomment les prévenir que le moment de la fusion avait sonné ?
Flux impossible sur le réseau des portes.
Activation des symboles de perfection.
Illumination des portes de laser par le photonium.
Hyper-contact caméléonien.
Fusion universelle.
Tous les caméléons se retrouvèrent dans un lieu en proie aux flammes.
Température caractérique.
A travers les livres, c’était l’histoire qui brûlait.
La fin de l’histoire.
Un vieil homme gisait à terre. Il tenait encore des brochures dans ses brascomme pour les sauver du néant.
La conscience inconsciente.
En l’entourant, les six formèrent une ceinture que le feu ne pouvait atteindre.Le caméléon se pencha et le retourna sur le dos. Ses vêtements l’avaient protégé des flammes. Et malgré sa blessure au crâne, il respirait encore.C’était donc lui.
Le vieil homme était l’érudit. Le septième caméléon était le déchiffreur.
L’imprévisible toucha l’enfant du hasard et il ouvrit les yeux.
A travers le reflet de leur regard de photonium, il découvrit ses propres yeux.
Ils avaient une étrange teinte bleue.
La prophétie s’était accomplie. Les sept caméléons s’étaient retrouvés.
C’était ce qu’il avait lu dans le manuscrit. Les passéistes avaient raison, lescaméléons étaient vivants.
Et avec l’histoire, la lutte de l’être contre le système recommença.
Seulement, à présent, ils étaient sept.
Sept dans le quartier XXI du XXXème siècle.
Le déchiffreur se releva enfin et entendit pour la première fois les caméléons.
Il comprit alors quel était l’aboutissement de ses recherches sur la langue parfaite. Celle-ci n’était qu’une. C’était la pensée.
Tous communiquaient directement leur pensée dans une sorte de grammairecognitive.
Malgré les différences spatiales et temporelles, les sept parlaient la mêmelangue : la pensée. Alors que dans la rue, il entendait encore le son régulieret monotone de la langue systèmatique imposée par les autorités qui n’étaientque l’instrument temporel du système.
La langage et la pensée. Le paraître et l’être. Le système et l’être pensant.
Ainsi la révolte naîtrait dans l’ancien quartier. Le temps de l’enclave et descaméléons s’étaient enfin retrouvés pensa, le vieil érudit. Désormais toutétait possible.
Choc mental.
Déchirure l’espace-temps.
Durant un instant pour un instant seulement, ils aperçurent la structurequi combattrait le système.
Fin de processus.
Cette image fugitive avait été une intuition du caméléon prophète.
Ils constituaient donc le pentagone de base d’un dodécaèdre caméléonien.
Cette vision lui rappela une gravure. C’était un dessin de Escher qu’il avaitvu dans son enfance. Un reptile qui constituait un motif d’un puzzle, s’échappait de ce dernier pour entrer dans la troisième dimension et montersur un dodécaèdre avant de redescendre pour intégrer son espace initial. Ilsavaient toujours des hommes du futur enclavés dans le XXIème siècle et à présent ils se trouvaient dans ce quartier du même siècle mais dans le lointainfutur du XXXème siècle. Ils sortirent dans la rue comme des lecteurs d’unebibliothèque et comble de l’ironie, pensa Téras, sans qu’aucun des passéistesne se rendît compte de leur présence.
Nul n’est prophète en son pays.
Tel était le paradoxe. Tous les passéistes pensaient que les caméléons n’étaient pas seulement une légende et qu’ils existaient réellement, sans savoir qu’ils se trouvaient parmi eux et que l’un d’entre eux avait toujoursvécu parmi eux.
Sur le fleuve qui longeait le bord du quartier, se trouvait une île : unimmense navire de pierre qui avait fait naufrage dans le temps. Rien n’avaitchangé depuis des siècles. L’éphémère avait été caressé par l’éternité. Lesrives du temps s’étaient pétrifiées à l’instar de ses sentiments pour cetteépoque qui était bien plus ancienne que le XXIème siècle. Son époque avaitété taillée dans le marbre par la lumière.
Dysynchronie fondamentale.
Ils étaient ici mais il était ailleurs.
Cette fois, il était dans le village de son ancêtre. Un de ceux qui avaitparticipé à l’histoire de son pays. Un de ceux qui avait eu le courage de sebattre en luttant contre l’oppresseur. Il avait osé défendre ses droits, il n’avait pas baissé la tête. C’était un insoumis qui se révolta et arma la merde son bras.
Et la mer s’enflamma.
Pourchassé, il s’échappa par la mer. La mer avait toujours été son arme et saprotection. La force de sa vie. Sa révolte avait changé sa vie. Et lui, lecaméléon était né grâce à elle.
Il lui avait offert sa vie et sa révolte.
Pour lui, le temps était à l’image de la mer : immense et insondable. Il représentait la force des caméléons.
Tout était une question de temps.
C’était pour cela qu’il devait être ailleurs pendant qu’ils étaient ici.
C’était la seule manière d’échapper au système en attendant la contre-attaque.
Les sept caméléons se traversèrent le quartier pour atteindre l’île.
Ils marchèrent séparés, ils pensaient ensemble.
Depuis qu’ils avaient fusionné, ils formaient un seul esprit septuple.
Chacun avait acquis les capacités de son complémentaire dans le groupe. Et cedernier vit sa puissance mentale se transformer en une nouvelle entité.
C’était celle-ci que craignait le système.
Cependant la prophétie avait prédit son existence et le système n’avait pu s’yopposer.
Aussi il ne la frappa pas directement. Il lui était plus facile de manipuler lamasse et d’utiliser son inertie pour agir contre la nouvelle nature du groupe.
Manipulation de la population.
Création de rejet du passé.
Concentration sur la cible.
Alors la population s’attaqua massivement aux passéistes et commença à incendierles maisons qui se trouvaient à la limite de l’ancien quartier. Peu après, les flammes brûlaient le ciel.
Le système manipulait la masse, utilisait des innocents pour frapper d’autresinnocents : les manipulés et les maltraités. Le groupe devait protéger les unssans faire de mal aux autres.
Dilemme de l’ingérence.
Seulement tous les caméléons avaient déjà résolu ce dilemme de leur existence.
Ils étaient des protecteurs par nature, ils étaient des combattants par compassion.
Même si leur intervention remettait en cause leur propre sécurité, ils ne pouvaient laisser massacrer des innocents, ils ne pouvaient laisser brûler l’ancien quartier.
Changement de phase structurelle.
Ils se séparèrent et se dispersèrent sur l’ensemble du quartier. Ils avançaienttels des rayons de lumière dans les ténèbres du chaos; Leur présence découpaient de nouvelles ombres dans la ville.
Activation de la puissance des sept.
Chacun de leu pouvoir intervint tel un dodécaèdre déplié sur les groupes detêtes.
Flux caméléonien.
Le déchiffreur lut dans leurs visages la tristesse de leur état.
L’imprévible surprit leur regard de révolté.
L’inventeur créa des mirages inaccessibles.
Le prophète prédit leur absence temporelle.
Le sage calma leur passion artificielle.
Le lumineux éclaira leur esprit manipulé.
Et le prométhéen les pensa.
Etat de choc.
La population vit le brusque arrêt des groupes de tête. Elle ne sut commentinterpréter ce mouvement. Les passéistes, sans comprendre ce changement imprévu, furent persuadés qu’il s’agissait d’un miracle.
Les caméléons se préparèrent à la seconde attaque. ils savaient que cette attaque massive n’était qu’une manoeuvre du système qui était prêt à tout sacrifier pour les détruire.
La structure lumineuse scintillait dans le quartier en proie aux flammes.
La révolte avait commencé et plus rien ne serait comme avant dans le XXXèmesiècle.
Cibles localisées.
Le deuxième assaut était imminent. Ils le savaient.
Le système les frappa dans le dos. L’attaque vint de l’intérieur du quartier.L’attaque vint de ceux qu’ils venaient de protéger. L’attaque vint des passéistes.
Le système les avait convaincus que les sept intrus étaient les chevaliers del’apocalypse et que leur mission était de détruire toute trace du passé : ladestruction du temple.
C’était comme si l’inquisition utilisaient les Templiers pour lutter contre leChrist.
Et le Christ fut recrucifié…
Comme l’avait proclamé l’ascète, les hommes provenaient d’une abysse obscureet aboutissaient à une abysse obscure; entre les deux, un espace lumineuxnommé la vie.
La naissance était le commencement de la mort. Chaque instant mourait. Le butde la vie était la mort.
Non ! crièrent les hommes.
La naissance était le commencement de la création. Chaque instant créait. Le but de la vie était l’immortalité.
Cependant les caméléons savaient que les deux pensées étaient aussi vraies l’une que l’autre.
Tel était le paradoxe de la vie et de la mort.
Telle était l’énigme de la création et de l’immortalité.
Faits pour subir le paradoxe, conçus pour résoudre l’énigme.
Et leurs ennemis était l’homme-masse et l’homme-main.
L’homme-masse était le responsable de l’existence du système.
L’homme-main était l’extension humaine du système.
L’homme-masse n’était personne. L’homme-main était tout le monde.
L’homme-masse n’appartenait pas à une classe spéciale. Il était un élémentomniprésent dans la société de toute époque. Il était le type d’homme dépourvude toute morale et de toute conscience qui ne tolérait ni les minorités ni laliberté de l’esprit. Il dépendait en tout de l’état qui représentait pour lui,la solution à tous ses problèmes. Il était la cause du système.
L’homme-main n’appartenait pas à une classe spéciale. Il était un élémentomniprésent dans la société de toute époque. Il était le type d’homme amoralet inconscient, soumis au système qui représentait pour lui, l’essence de savie. Il était la conséquence du système.
Après avoir survécu aux uns, les caméléons furent condamnés par les autres.
Pressés par les uns, écrasés par les autres.
Ce fut le temps de la lumière noire.
Telle était la prophétie.
Tel était le texte du parchemin oublié. Il était demeuré caché durant plusieurssiècles avant d’être découvert par le caméléon qui entendait la couleur. Ilavait tout de suite remarqué que le parchemin était un palimpseste. Une encre noire épaisse en recouvrait une autre à peine visible comme si elle avait voulul’écraser du poids de ses mots. Ce manuscrit lui ressemblait.
Il était le prisonnier de la structure du système mais il avait pu développerses idées en son sein dans la structure du méta-système. Il était le caméléoncryptique.
Il avait tenté de communiquer ses connaissances au caméléon prométhéen – celuidont la prophétie décrivait le sort dans la fusion des sept. Mais il n’étaitpas parvenu à cette mission. Le système était omniprésent et il n’avait pu luiparler à travers la musique codée que de l’existence du méta-système. Aussi lecaméléon n’avait appris que le passé qui expliquait le présent sans connaîtrele futur. Et l’écriture cachée demeura prisonnière de la menace noire après l’élimination du caméléon cryptique.
Mais avec l’aide du temps, la lumière de l’écriture était parvenue à briserle noir de l’encre.
Le système qui détenait le parchemin au moment de la cantorisation avait étéébloui par sa puissance. Mais la poussière noire n’avait pas disparu.
Tenacité des forces obscures.
L’encre noire avait repris le dessus au moment de l’isolement des caméléonsdans les univers bulles. Et même si elle avait faibli quand leur unificationeut lieu, sa présence continuait à écraser la lumière.
Telle était la structure du parchemin oublié.
Telle était la prophétie.
C’était le temps de la lumière noire.
Cependant le futur caché dans la prophétie était dynamique car il était sousl’influence de deux écritures qui dépendaient des actions.
Téras le savait depuis sa première incursion dans le XXIIème siècle.
C’était grâce à lui qu’avait eu lieu la métamorphose invisible.
Pressés par les hommes-masse, écrasés par les hommes-main, les caméléons en lutte avec le système, pénétrèrent dans le méta-système.
Manipulation manipulée
Ils étaient devenus indiscernables. Ni la population, ni les passéistes ne surentles trouver. Ils s’étaient effacés de la réalité pour pénétrer dans l’ailleurs.
Cet ailleurs qui touchait le méta-système.
Activation de la mémoire passéiste.
Les objets conservés qui avaient traversé le temps dans le silence de l’ignorance, devinrent des éléments du savoir. Et les passéistes reçurent lemessage.
Les caméléons vivaient dans l’obscur.
Ainsi le temps de la lumière viendrait et avec lui, celui de la liberté.
Ils virent tous cette mystérieuse teinte bleue dont ils ignoraient le sensjusqu’à ce jour.
Ils virent la couleur du temps.
Photonium.
Le polymorphisme de l’éphémère luttait à nouveau contre l’immuable éternité.
Tel était le message.
Cependant les passéistes y virent ce qu’ils pouvaient comprendre.
Le retour des immortels avait sonné.
La légende devenait réalité.
La réalité.
Dans cette réalité, les caméléons étaient une poignée.
La seule capable d’ouvrir les portes du futur.
Les caméléons ne cessaient de se transformer à travers le temps.
Ils étaient rares en toute époque mais omniprésents.
Ils étaient un bois précieux qui se consumaient pour préserver la flamme.
Un bois remplaçant l’autre mais la flamme demeurait.
Elle n’appartenait à aucun car elle appartenait à tous.
Elle était unique car elle était multiple.
Elle était leur couleur quand ils étaient dans le temps.
Tel était leur sens.
Telle était la légende des passéistes.
Et qui pouvait leur en vouloir ?
Le destin des caméléons avait toujours été ainsi : aimés et incompris ou haïs ettrahis.
Manipulation de la masse.
Le système avait conservé le contrôle de la masse et celle-ci frappa à nouveau.
Ceux qu’elle nommait les élus devinrent sa cible.
Température critique.
Le feu brûlait à nouveau les livres et les hommes.
En pénétrant dans la réalité les caméléons se retrouvèrent dans l’île au milieudu flot temporel.
La Cité tout entière était là comme si rien n’avait bougé depuis des siècles.
La légende des siècles s’était transformée en pierre.
Une porte invisible s’était ouverte sur le passé.
Après sept années de tortures, le grand maïtre avait perdu la notion du temps.
Les tourmenteurs lui avaient fait subir l’étirement.
Sa mémoire avait été peu à peu effacée par la souffrance mais un immense rouleaude parchemin avait conservé la transcription des innombrables interrogatoires.
En ce jour de mars, il avait été conduit à Notre-Dame pour entendre lecturede son jugement.
Et la mémoire revint. Tout avait commencé par son refus.
Puis il avait accepté l’ouverture d’une enquête pour mettre fin aux rumeurs.
Ensuite il avait été arrêté au nom de l’inquisition, sous l’inculpation d’hérésie.
Enfin torturé pendant sept ans pour avouer des crimes qu’il n’avait pas commis.
Mais la souffrance lui avait arraché l’aveu.
Et maintenant, après avoir traversé les injures de la foule, il entendait ladéclamation du cardinal-légat qui finit en le condamnant au mur et au silence.
Les caméléons traversèrent le mur du silence et il ne se sentit plus seul. Alorsdans un cri, il protesta contre la sentence inique. Il avait avoué tous cescrimes inventés sous la torture.
Il était innocent !
Alors les moines qui se tenaient derrière le Tribunal se mirent à crier :
Hérétiques ! Au feu !
Les caméléons étaient ailleurs et ils étaient venus ici pour se battre à traversle temps contre le système.
La constance de ce combat à travers le temps donnait le vertige. Chaque éphémèreremplaçait le précédent pour lutter contre l’éternel. Si bien qu’à travers lesâges était née la légende des éphémères immortels à qui les hommes à partirdu XXIème siècle donnèrent le nom de caméléons.
Les caméléons représentaient l’unité via leur multiplicité. Ils étaient l’êtredont on ne connaît que les apparences. Ils étaient la couleur du temps et sonunique sens.
Ils s’étaient retrouvés sur la parvis de la Cathédrale qui se trouvait au bordde l’île, tout près de l’autre, celle de la fin. Pourchassés de touts parts, l’île fut leur dernier refuge. Ils étaient encerclés.
De l’autre côté, tout autour d’eux, les flammes ravageaient les habitations etceux qui avaient été surpris par cette attaque massive de la population.
Sur le parvis, malgré le calme apparent, régnait une tension insoutenable. Lessept caméléons étaient unis mais la situation demeurait critique. Aucune solution en vue.
Ils étaient accusés sans pouvoir se défendre. Ils étaient condamnés sans avoirlivré bataille. Ils allaient être sacrifiés sur la parvis de la Cathédrale.
Sa façade occidentale qui dominait le vaste parvis présentait une ordonnanced’une grande clarté. Deux tours quadrangulaires étaient reliées à leur basepar une élégante galerie à jour et juste en dessous, une grande rose, flanquéede deux baies géminées, ainsi que la galerie des rois surmontant trois portailsdont le plus important était celui du jugement.
Ce dernier symbole frappa leur esprit commun. Toutes leurs existences conduisaient à ce symbole.
Le système avait concentré toute la population sur l’île et inéluctablementcette dernière, armée d’innombrables torches s’avançait pour atteindre le parvis. Bientôt, celui-ci se retrouva complètement encerclé par la masse desflammes. Cet encerclement dégageait une chaleur insupportable ; comme si elleavait emporté avec elle, l’odeur des corps calcinés par les massacres du feu.Dans sa haine manipulée, la population lança les premières pierres et torchessur les caméléons.
Activation du bouclier magnétique.
Cet échec, après l’avoir surprise, rendit la population furieuse et elles’avança sur eux, encore plus menaçante.
Ils étaient à sa merci.
Tout n’était plus qu’une question de temps.
Ce fut à cet instant précis que les cloches de la Cathédrale sonnèrent de touteleur puissance. Et la monstruosité du son plus difforme qu’un caillou glaçad’effroi la population. Alors les caméléons entendirent distinctement lesquatre syllabes du code et profitèrent de l’immobilité de la masse pourpénétrer dans la Cathédrale. La foule sortie de sa torpeur s’élança sur euxdans un cri effroyable.
A l’intérieur de la Cathédrale régnait un silence absolu. Aussi ils ne purentmanquer de voir ce que les autres n’avaient jamais saisi.
Au centre de la nef et du transept, deux mots symboliques dont le sens étaitdemeuré caché depuis des siècles, se trouvait un pentagone étoilé.
Instantanément chacun des caméléons prit sa place et lorsque le septième y parvint…
La foule frappait les portes de la Cathédrale créant ainsi un bruit assourdissant.
Transformation globale.
26 statues éclatèrent et apparurent dans leur armure de photonium. Ellesétaient placées au centre et aux sommets de pentagones de laser.
Activation faciale.
Les portes volèrent en éclats et la population fit irruption dans la Cathédralemais recula de frayeur devant le dodécaèdre de photonium et de laser. C’étaitle dodécaèdre de la légende. C’était donc vrai.
Disparition.
L’unique trace du passage des caméléons fut le sourire d’un enfant passéiste,juché sur une cloche.
Il échappa au regard de la foule ahurie par cette mystérieuse disparition etretrouva sa cellule secrète. Rares étaient les passéistes à en connaîtrel’existence. Ses murs étaient couverts de légendes en différentes langues,désormais complètement oubliées. Plus personne n’était capable de déchiffrerces lettres grecques, romaines, gothiques et hébraiques. Et pourtant ellesétaient toujours présentes malgré le temps de l’oubli. Elles continuaient àtransmettre leur message et ce, depuis le Moyen âge.
Unde ? inde ? – Homo homini monstrum – ANAΓKH
Elles étaient toutes dénuées de sens. Et pourtant, il savait qu’elles signifiaient quelque chose d’important. Il l’avait toujours su sans savoirpourquoi. Il s’approcha du dernier mot qui avait été gravé dans la pierreà l’aide d’un compas. Ses sept lettres avaient acquis un sens pour lui.
Désormais, elles représentaient les sept caméléons de la légende.
Il passa sa main sur chacune d’entre elles pour les graver à jamais dans samémoire et les lettres scintillèrent d’un nouvel éclat bleuté.
La masse, rendue furieuse par la manipulation du système, chercha un nouveaumoyen pour se venger des profanateurs. Elle commença par ramasser les débrisdes statues qui avaient volé en éclats pour libérer le précieux photoniumà présent disparu. Chaque morceau trouvé augmentait sa haine à l’encontre descaméléons qu’elle considérait comme des destructeurs de son patrimoine. Cardans sa subversion la plus sublime, le système lui avait inculqué l’amour del’ancien : un sentiment dénigré et caractérisé comme passéiste quelques heuresavant ces évènements dramatiques. Le système modifiait le sens des valeursà son avantange. Aussi tout acte des caméléons était toujours perçu commeune atteinte au bonheur commun. Un bonheur aveugle et consensuel qui ne supportait aucune déviance ou acte considéré comme tel. La masse ne pensait qu’à son bonheur. Le système pensait pour elle. Aussi il manipula à sa manièrela maxime de Manrique : N’importe quel temps passé fut meilleur, pour latransformer en : Sans les caméléons, n’importe quel temps passé fut meilleur.Accuser de ne pas exister puis condamner d’exister tel était le sort réservéaux caméléons. Une fois, les débris ramassés, la population s’éloigna de laCathédrale, emprunta le pont qui reliait les deux îles et se regroupa sur lapetite. Là, les débris furent entassés de manière à former un bûcher commepour commémorer la précédente victoire du système.
La masse voyait dans les caméléons des monstres engendrés par une anciennesociété décadente. C’était aussi pour cette raison que dans la languesystématique le mot caméléon était absent. Son équivalent était le mot monstre.Encore une fois, la puissance aveugle de l’ignorance avait frappé le sens.
Le mot latin monstrum avait le sens du prodige, de la chosqe incroyable. Maispeu à peu, la chimère, le dragon, l’animal fantastique et terrible des légendeset des mythologies devint un animal réel, gigantesque et effrayant. Son senss’éloigna de ce qui aurait pu être une métaphore. Il se transforma d’aborden un être vivant ou organisme de conformation anormale puis en une personned’une laideur effrayante. Ce qui vivait en dehors du système ne pouvait êtreque laid. Et pourtant le jeune passéiste qui vivait dans le système était laid.Ce fut la raison pour laquelle ses parents s’en débarrassèrent et qu’il s’étaitréfugié dans cette Cathédrale. Comme tout le monde le trouvait monstrueux, ilavait commencé à aimer ces amis du passé qui lui ressemblaient. Ils partageaitle même nom. Aussi lorsqu’il était seul dans sa petite cellule, il contemplaitle mot du mur. Un jour, un homme l’avait gravé dans la pierre et il lui en était reconnaissant. Grâce à lui l’enfant avait un passé.
Et ce jour-là, il avait vu le passé.
Téras était inquiêt. Il avait aperçu le jeune enfant passéiste juché sur lescloches. Il était inquiêt pour lui. Il avait ressenti sa solitude et en avaitéprouvé une douleur extrême. Il se tourna vers l’inventeur.
* Le réseau des portes logiques…
* Il s’est étendu.
* Et complexifié.
* Il a créé lui-même des portes de sorties.
* Une nouvelle application de la théorie des automates finis…
* indéterministes.
* Ainsi tu n’en connaissais pas l’existence dans la Cathédrale.
* Non.
* L’élément imprévisible n’est-ce pas ?
* Oui, c’est l’unique moyen d’échapper à toute tentative de contrôle…
* de la part du système.
* Pourtant, les portes ne sont-elles pas prévues pour ne permettre que le passage de deux personnes ?
* Initialement. Mais elles se sont structurées en un dodécaèdre.
* Cela a dû puiser une énergie considérable au réseau des portes.
* C’est pour cette raison que nous ne nous sommes pas trop éloignés…
* Temporellement
* Regardez.
L’imprévisible montra le jeune passéiste qui s’efforçait d’atteindre le plusvite possible les cloches. Le sage intervint.
* Il nous a vus sur le parvis.
* Il voit nos futurs.
* Et nous allons bientôt nous voir pénétrer dans la Cathédrale.
Effet mirroir.
* Les statues
Elles étaient absentes…
* C’est nous.
Activation de l’ubiquité. Les uns devinrent multiples.
Ils prirent placent au moment où ils pénétrèrent dans la Cathédrale.
Les passés et les futurs.
Unification mentale.
Activation faciale.
C’était le dodécaèdre de la légende.
Apparition.
La multiplicité des copies caméléoniennes frappa la masse comme un coup de tonnerre.
Effet de panique.
Le système n’avait pas l’énergie nécessaire pour manipuler toute la masse en état de choc.
L’heure de la fuite avait sonné.
La masse s’enfuit par toutes les portes de la Cathédrale envahie de monstres, sous le regard impassible des gargouilles scupltées en forme de démons et dedragons.
Nul ne pouvait contrôler une masse prise de panique, pas même le système.
Les cloches résonnèrent dans l’esprit des hommes encore bien longtemps après cet affrontement.
La population s’éloigna de la Cathédrale, emprunta le pont qui reliait les deuxîles et se regroupa sur la petite. Entassée, terrifiée, elle rappellait uneautre population d’antan qui impuissante devant le destin, avait entendu lecri de révolte du grand-maître juste avant que sa flamme ne s’éteigne dans l’obscurantisme.
Juché sur sa cloche préférée, le jeune enfant passéiste sut qu’il n’était plus seul et ce fut le plus beau jour de sa triste vie.
Les monstres étaient revenus pour lui.
Telles avaient été les paroles du prophète. Tels avaient été les écrits dudéchiffreur.
La nuit tomba sur le quartier ancien en flammes sans pouvoir effacer ses plaies. En pensant à tous ces hommes morts, victimes de l’ignorance et de lamanipulation, le prométhéen eut la gorge serrée et sentit peser sur sesépaules tout le poids des mondes.
Ils étaient responsables de tout devant tous.
La prophétie l’avait prédit : l’enfant était un futur caméléon. Il devaitpasser le test des sept avant…
Chacun des caméléons lui donna un règle carrée et ils lui demandèrent de lesplacer de manière à ce que chacune d’entre elles soit en contact avec toutes lesautres à l’instar des sept.
Celui qui était plus difforme qu’un cailloux s’empara des sept règles carrées. C’étaitla première fois que les hommes lui offraient un cadeau et ce cadeau était mental. Sesmains meurties par les coups reçus, manipulaient avec aisance les sept règles pendantqu’il pensait à ciel ouvert sous les regards de photonium. Il avait confiance en euxcar il savait qu’ils l’aimaient. Et l’enfant aimait les sept océans. Dans les lentillesde photonium, brillèrent les sept règles carrés placées par l’enfant dans laconfiguration caméléonienne.
– Elles sont à toi, à présent. Elles te protégeront à jamais, lui dirent les caméléons.
C’était ainsi que les sept caméléons consolèrent le jeune enfant passéiste.
Ensuite ils lui apprirent la méthodes des équerres et la représentation irréductibledu groupe symétrique. Le savoir des sept était une nécessité.
Il comprendrait plus tard, au moment de sa réalisation.
Pour l’instant, il ne voyait que la joie d’être parmi eux, sans comprendre leur rôledans ce monde, ni le sien. En réalité, il n’aurait jamais dû exister dans ce sièclesystématique : le difforme n’avait pas de place dans l’uniforme. Le système avaitcomplètement maîtrisé la société de cette époque grâce au contrôle des naissances. Bien des siècles auparavant, il s’était insinué dans les comités d’éthique qui avaientété initialement créés pour gérer l’assistance médicale à la procréation. Il avaitutilisé à son profit la situation chaotique qui régnait à cette époque. L’essor des techniques de diagnostics pré-implentatoires qui avait devancé la thérapeutiqueavait renforcé le rôle de l’éthique. Seulement celle-ci, face à la religion et lapolitique, devint peu à peu un noeud gordien d’une telle complexité que plus personnene put proposer la moindre aide concrète lors du diagnostic prénatal. Chaque cas étaitun cas particulier, aussi la naissance d’une rhétorique palliative fut naturelle. Devantl’échec thérapeutique, il avait bien fallu se résoudre à conseiller l’insupportableet l’inhumain dans l’incompréhension la plus totale de la population. Car sous prétexte de lutter contre les dérives eugéniques, les spécialistes furent bientôtincapables de se prononcer. Devant ce mutisme cohérent, le pouvoir, sous la pressiondu système, prit une décision sans précédent en déclarant officielle la normalité.Ainsi toute déviation de la normale se vit systématiquement éliminée.
Le système craignait un retour des caméléons aussi à la suite de leur disparition, ilproclama la loi normale : toute déviation supérieure à un sigma était interdite. Decette manière, il excluait non seulement toute apparition possible d’un nouveaucaméléon dans la société mais en plus il transformait peu à peu cette dernière en unemasse uniforme, plus facilement manipulable. Car la loi normale concerna peu à peutoutes les caractéristiques humaines et la convergence de l’ensemble des critèresaboutit à l’uniformité de la société qui devint une copie conforme du modèle systématique. Afin d’éviter toute forme d’eugénisme génétique, la société avait engendré l’uniformisme.
Dépourvue de toute audace, la morale devint un consensus manufacturé.
Pourtant, dans ce monde uniforme, des personnes affichèrent des goûts baroques ; ilsaimaient les antiquités et avaient une certaine nostalgie du passé. C’étaient lespasséistes. Et chaque époque avait son lot de passéistes marginaux. N’étant différenciésdes autres que par leur goût du passé, les passéistes ne furent jamais considéréscomme dangereux par le système. Aussi ils perdurèrent à travers les siècles. Ce fut dans cette communauté que nacquit par erreur le jeune enfant. Cependant sa difformitéétait si importante – sa tête avait une taille monstrueuse – que les passéistescraignant pour sa vie qui tombait sous le coup de la loi normale, décidèrent de lecacher dans un monastère. Mais aucun prêtre n’accepta de le garder quand il se mit àparler. Il parlait pendant des heures de choses incompréhensibles. Aucun d’entre euxne pouvait partager sa vision du monde et il passa sa petite enfance à voyager demonastère en monastère jusqu’à ce qu’un jour il aboutisse à la Cathédrale…
Espace et temps de la rencontre.
Désormais les conditions essentielles étaient remplies : énergie, structure globaleet gravitation forte ; comme pour les théorèmes de singularités. C’était l’idée qu’avait eue le caméléon en regardant le jeune enfant comprendre le début des universbulles.
Mais ce fut d’abord le temps de la fin.
Alors le caméléon se posa la question cruciale.
Comment l’enfant avait-il pu échapper au contrôle du système ?
Quelle était la raison qui empêchait de dernier de localiser ses cibles ?
Etait-ce parce qu’il n’était pas encore un caméléon ?
Non, cela ne pouvait pas être la raison car le déchiffreur l’était. Et pourtant iln’avait subi une attaque que récemment juste avant l’unification.
Le vieil érudit vivait dans la bibliothèque. Le jeune enfant dans la cathédrale.
Tous les deux, séparément l’un de l’autre, vivaient dans le passé, dans un passéantérieur au système.
Isomorphisme cognitif du théorème de Hawking-Penrose.
Le système ne pouvait pénétrer dans les singularités originelles.
Dodécaèdre de la légende.
Le système n’agissait que sur les faces alors que les caméléons se déplaçaient surles arêtes.
Ses univers étaient disjoints. Leur espace cognitf était connexe.
Les singularités étaient les hypernoeuds sur lesquels s’étaient posées les portes delaser.
Singularités, relations et structure.
Telle était l’explication.
Les univers bulles vivaient dans un méta-univers.
Telle était la théorie mentale du caméléon.
Le savoir était un contre-pouvoir.
EYPHKA.
L’enfant leva les yeux en direction du caméléon et celui-ci comprit qu’il savait.
L’architecture universelle était caméléonienne. Elle correspondanit à leur structurecérébrale. Téras s’était créé à partir de la structure de l’univers du caméléon etl’imprévisible était son émergence. Et quand l’inventeur plaça les portesde laser sur cette strucure, elle supporta le méta-univers. Ainsi les caméléons quiétaient initialement les intermédiaires entre les hommes et les dieux, étaient devenusle lien entre le microcosme et la macrocosme.
La texture de l’univers avait désormais une couleur.
C’était le nouveau champ du signe.
Univers en expansion.
Il se vit alors dans le regard de photonium du caméléon.
L’image de l’univers était leur propre image.
Alors il comprit que ce qu’il voyait c’était ce qu’il avait compris.
L’univers entier était dans sa tête.
Et ce fut la première fois qu’il vit dans sa taille sa véritable dimension.
Lui, le monstre, était un monstre car il avait en lui l’univers.
Et il se transforma en caméléon.
Changement de phase. Mentalité fractale. Multi-fractalité.
Tels étaient leur sens et la raison du système de les éliminer.
C’était l’unique moyen de prendre le contrôle universel.
Une nouvelle porte était ouverte devant leurs yeux.
La crypte communiquait avec le passé.
Dans le futur, ils ne pouvaient que combattre le système mais ce n’était que dans lepassé qu’il pourrait le détruire.
Car la seule destruction possible était sa non-existence.
Si les caméléons pouvaient résister à la puissance du système, c’était dû à leurancrage dans le passé. Ils existaient avant lui.
Ils devaient le détruire avant qu’il ne pût exister.
Ils devaient retourner dans le passé, ce passé que Téras et le caméléon connaissait déjà.
La porte de laser s’était ouverte sur le XIIème siècle.
Il pleuvait comme si un feu s’était éteint. Ils se retrouvèrent dans un pays pu oùl’ombrageux cotoyait le lumineux, où la croyance cotoyait la perfection. Ses origines,perdues dans le labyrinthe d’influences orientales complexes et lointaines, traversèrentle temps pour se figer entre deux dates, deux conciles. Un dualisme trompeur qui n’avaitrien de manichéen malgré les apparences conduirait au premier duel. L’affrontement dupouvoir du savoir avec le savoir du pouvoir aurait lieu en cet endroit précis. Ils nevoulaient connaître que les pensées, le reste n’était que détails sans aucune importance. Car c’était cette époque que le bras séculier avait choisi pour frapperles pauvres bougres. Ils pensaient que la lumière était enfermée dans la matière et en la libérant, ils voulaient lui permettre de retrouver sa pureté. Ils ne savaient pasencore que l’accès à la pureté deviendrait une réalité de manière si cruelle.
Ils marchèrent pendant des heures avant d’atteindre leur but et tout au long du chemin,chaque fois qu’ils croisaient un homme de ce pays, ils éprouvaient une souffranceirrépressible, ils étaient incapables de ne pas se tenir pour responsables de leursort futur. Ils ne savaient pas encore comment ils parviendraient à leur venir en aidemais ils étaient la raison de leur présence dans cette époque. C’était pour cela qu’ilsavaient gravi la falaise. Leur couleur avait été conçue pour cela. Elle n’avait pas levertige du temps. Elle avait prise sur le sens.
Ils atteignirent enfin le fameux pog qui culminait à plus de 1200 mètres au dessus dela mer sur laquelle une terrible tempête allait s’abattre. Et le dernier refuge seraitcet autre monastère de la résistance… Seulement ici, le monastère était une forteressequi n’avait pas encore son plan pentagonal.
Ils savaient que l’histoire future conduirait à l’éradication de toute pureté par lamise en place de l’infrastructure du système. Aussi ils devaient rechercher les touspremiers impacts locaux qui engendreraient par la suite des répercussions globalessur cette structure hiérarchisée que représentait la société de cette époque.
Histoire expérimentale.
Le système féodal était une structure très hiérarchisée et en conséquence l’ensemble dela population le considérait comme très puissant. L’idée des caméléons était autre.
Elle était basée sur un modèle gödelien. La puissance d’une théorie engendrait sonincomplétude. l’existence de propositions indécidables provenait de cette puissanceet elle représentait sa faiblesse.
Telle était l’idée paradoxale.
Les points les plus puissants d’une structure puissante constituaient des points faibles !
L’attaque de ces points mettait en péril l’ensemble de la structure.
Car la hiérarchie de la structure amplifiait l’effet papillon via la théorie des dominos.
C’était pour cela qu’ils se trouvaient dans cette forteresse au moment du crépuscule…
Puis l’obscurité vint et la forteresse sembla vide. Ils étaient dans l’obscurantismedu néant.
Il allait recevoir le consolamentum.
Son ordination n’avait rien de remarquable en soi car elle entrait dans l’ordre deschoses de sa communauté. Elle permettait la réalisation d’un voeu multiple.
Seulement il n’avait que deux ans.
Jamais personne auparavant n’avait atteint le stade de la perfection à cet âge.
Mais la communauté avait su, dès sa naissance, qu’il était différent.
Et tous avait accepté l’incroyable.
Puis en grandissant, le temps de la parole était venu.
Et la communauté avait vu en cet enfant, l’expression de la sagesse.
Il n’avait pas d’âge, il était avant d’avoir été.
Telle avait été l’impression des bons hommes qui l’avaient découvert.
L’absence de hiérarchie rigide de leur structure, lui avait permis de connaître lejeu d’échecs qui était réservé aux nobles partout ailleurs. Il avait vu le modèle,là où les autres ne regardaient qu’un jeu.
Dans le jeu, il avait reconnu les deux principes !
C’était pour cette raison que les croyants affirmaient qu’il était né coiffé de l’évangile de Saint Jean le jour des sept éclairs bleus.
C’était ainsi que la légende avait baptisé le jour de leur arrivée.
Le lendemain fut celui de la colombe.
Le premier que vit le nouveau-né et qui marqua sa mémoire à jamais.
Les purs furent fascinés par la pénétration de son regard et par la dimension de satête. L’enfant du hasard était revenu dans le fils de la nécessité.
Première perturbation.
Effet papillon auto-activé.
A l’aube, ils découvrirent enfin la véritable structure interne de la forteresse.
C’était donc ici, au sein de ces remparts de pierre, que s’écrirait la légende qui avaittraversé les siècles.
Seulement pour devenir parfait, il fallait être deux à l’instar des apôtres.
Il lui fallait un sosie.
C’était la parole du prophète, c’était l’idée du sage, c’était la pensée du déchiffreur.
Et l’imprévisible arriva.
L’inventeur poussa la porte, le lumineux pénétra dans la pièce et le prométhéen levases mains sur lui.
Et les bons hommes firent de même.
Ils seraient l’autre : son soci.
Consolamentum.
Seconde perturbation.
Choc mental.
L’héréticus perfectus était né dans l’esprit des dominicains.
Application de la théorie des dominos.
L’église n’avait pas pris conscience de l’ampleur du mouvement avant que certains de ses membres ne se retrouvassent dans le pays de l’hérésie. Ellen’avait pas réalisé le contraste et la rupture qui existait entre l’autoritémorale des hérétiques et l’opulence et le relâchement de son clergé et quine pouvait manquer de perturber l’ensemble de la population.
Désormais, elle les combattrait par la prédication. Elle envoya donc sespremiers missionnaires pour convaincre la population de l’hérésie de cettecroyance grâce à des arguments théologiques et rhétoriques mais en vain. Ilstrouvèrent porte close.
Nul ne fut sensible à leurs arguments. D’ailleurs comment aurait-il pu l’êtrepuisque le discours des prédicateurs n’avait rien de commun avec la réalitévécue. Comment convaincre du bien-fondé d’une théorie si aucune de sesapplications dans la réalité n’est en relation avec ses principes ?
Aussi les premiers dominos tombèrent et dans leur chute en entrainèrent biend’autres. L’échec cuisant des prédicateurs les avait incité à s’organiserdifféremment et ce de manière systématique.
Ils n’étaient pas parvenus à entamer l’hérésie par leurs interventions.
Ils avaient besoin d’un système.
Création du système.
La croyance en sa nécessité avait suffi à le créer en raison de l’instabilitéde la situation.
Le contexte instable et le pouvoir dominant avait créé le système.
C’était une nouvelle application du modèle oligarchique mais dans le mondemental cette fois. Ainsi tout avait commencé par un cri ; un cri de révolte :la révolte de la pensée face à la foi.
La foi, devenue religion, religion considérait la pensée comme une hérésie.
Croire en dieu était non seulement nécessaire mais suffisant.
La pensée était une contradiction en soi.
Alors que le caméléon savait que l’homme n’était rien sans pensée.
L’homme n’était que cela : un assemblage de pensées face au néant.
Puis le temps était devenu son allié face à l’éternité.
Désormais, il aurait un ennemi : le système.
Puis il pensa à Epictète : considère-toi comme un homme libre ou commeun esclave, cela ne dépend que de toi.
La pureté avait choisi.
* Dans la même existence deux vies étaient possibles.
Telle avait été la pensée du jeune parfait.
Vision du prophète.
Le jeune parfait serait docteur. Il enseignerait la pureté. Et la puretéserait écrasée par le bras séculier.
Il vit sur son visage les marques de la douleur infligée par l’inquisition.
Il entendit ses os craquer sous la puissance des instruments de torture.
Il goûta son sang devenu noir sous le flot des tourments.
Il sentit sa chair brûlée par le fer rouge du bourreau.
Il toucha son corps devenu une immense plaie ouverte sur le monde.
Puis un brasier étouffa sa vision et le feu…
Sa vision ne cessa que grâce à l’intervention du sage qui avait posé sa mainsur son front.
Cette vision avait bouleversé le prophète.
Cet enfant avait choisi sa vie. Il vivrait comme un homme libre. Et il seraitcondamné pour cela.
Les caméléons le savaient. Son futur avait parlé.
Changement de phase.
Ingérence mentale.
La mission des caméléons serait de combattre cette dictature imposée par le pouvoir. Grâce au système, c’était un véritable mouvement de masse qui allaitsurvenir pour massacrer cette hérésie coupable de faire trembler l’ordreétabli. Et les caméléons ne pouvaient accepter cela. Seulement quelle étaitleur marge de manoeuvre dans cette réalité passée.
La ramification.
L’histoire était. C’était un fait. La question était : si l’histoire serait.
Les pages de l’histoire avaient été écrites en 1184, 1215, 1220, 1224 et leuraboutissement était 1229 : l’origine du mal systématique. Ils devaient doncagir avant et affaiblir la structure avait qu’elle n’atteignît son atroceférocité.
La recherche de l’hérésie était confiée aux évèques par les conciles. Ilsreprésentaient les éléments de base de la structure hiérarchisée. Ils agiraientdonc sur eux pour mettre en défaut le pré-ordre. Pour cela, il leur fallaittrouver les signes avant coureur ; ces signes qui caractérisaient les futursévèques ; d’où l’ampleur de la tâche. Car comment les repérer dans lamasse cléricale ?
La nouvelle entité du groupe se délocalisa spatialement.
Concentrée dans la forteresse, étendue dans l’espace?
Invisible et omniprésente.
Modèle mental.
Réalisation.
L’action du groupe n’avait aucun effet.
Les conditions de création du système étaient réunies. Les éléments de basen’étaient pas essentiels. Dès que les caméléons agissaient sur l’un d’eux, ilétait immédiatement remplacé par un autre.
Ils étaient dans la même situation que les hoplites spartiates de Léonidasface aux immortels perses de Xersès. Les éléments de base étant indifférentiésn’étaient importants que de manière globale dans la structure aussi les caméléons ne pouvaient lutter contre eux. Cela serait revenu à éliminer toutela structure et ils ne pouvaient s’y résoudre.
Ils luttèrent pendant des années dans cette forteresse à l’instar de Sisyphescondamnés pour tenter de ralentir le temps. Jusqu’au jour de la trahison.
L’impur.
Robert, le bougre.
Il avait été touché par la peste noire et il avait perdu sa pureté. Maiscela ne lui avait pas suffi. Il avait fallu qu’il devînt lui-même inquisiteur.La perte de sa foi l’avait rendu encore plus redoutable. Il interrogea maintspurs sous la menace noire pour tenter de leur faire abjurer. Il les écrasade sa puissance et les réduisit en cendres.
A partir de ce moment-là, les caméléons surent qu’ils ne pourraient luttercontre la création du système. Le pouvoir l’avait rendu nécessaire ; lesconditions, prévisible. Mais qui aurait pu prévoir qu’il affecterait des hommesétrangers au pouvoir et dont la foi était considérée comme une hérésie ? Quiaurait pu prédire que la bataille serait perdue non, par faute de moyens, mais en raison de la traitrise ?
Le cauchemar des Thermopyles était revenu.
Sa traîtrise avait de nouveau frappé.
Changement de phase.
Choc mental.
L’encre noire de l’histoire écrite avait repris le dessus. Elle écrirait à nouveau sur le palimpseste temporel. Peu à peu, elle effaçait la couleur descaméléons en la noyant dans la masse noire.
La forteresse pentagonale ne représentait plus un lieu sûr.
Ils savaient qu’elle constituerait à présent l’un des derniers bastions d’unecroisade perdue. Chaque jour qui passait, était un jour de puissance accruepour le système.
Et il atteignit bientôt sa masse critique.
Désormais il était un pouvoir dans le pouvoir.
Indépendant et puissant, sa puissance de manoeuvre devint infinie.
La foi avait sombré, tout était permis.
Face à la création du système, la réalité avait une telle inertie qu’il était impossible de lutter. Les caméléons avaient tout essayé mais les faits étaientlà, écrasants de leur présence. Tout s’était déroulé comme si la créationdu système avait été inexorable. Cet échec était une découverte. Maintes fois,ils étaient parvenus à modifier le cours du temps mais ils n’avaient pu éviterle système. Comme si ce dernier était indissociable de la masse. Aucune actiondu groupe ne pouvait entammer celui-ci, sans entammer celle-ci. Le systèmeprovenait de la masse. Il en était son émergence. Anéantir le système à jamaisrevenait à anéantir la masse.
Et ceci était impensable pour les caméléons.
Qui aurait pu accepter de commettre un génocide pour éviter l’apparitiond’une dictature ? Et si quelqu’un l’avait accepté, n’aurait-il pas étéconsidéré comme un fléau pire qu’une dictature. Ainsi les caméléons ne pouvaient lutter contre son apparition. Ils étaient condamnés à luttercontre toutes ses formes futures, sans pouvoir agir sur son origine passée.
Tel était leur destin.
Ils étaient nés en étant accusés d’exister. Ils seraient pourchassés en tantque résistants. Ils seraient condamnés en tant que terroristes.
Accusés par la masse, condamnés par le système.
Cibles localisées.
Les croisés arrivèrent par milliers. Sous l’égide papale, toutes les exactionsétaient permises. Sous prétexte de lutter contre l’hérésie, une masse noire s’abattit sur le territoire de la pureté et mit toute la population sous son joug.
Siège de la forteresse pentagonale.
Le cristal de lumière était en danger. Les sept caméléons le protégeaient. Telleétait leur mission. Dans le chateau régnait une confusion incroyable. Dans lelabyrinthe en bois des habitations circulait la plus hétéroclite des populations. Comme si le monde avait décidé de regrouper dans la promiscuitéde ce lieu, ses représentants les plus divers. Hommes et femmes de toutes religions, de tous pays se préparaient à défendre l’essentiel de leur vie contre des assaillants prêts à tout pour les faire disparaître.
Sept caméléons pour ces hommes contre le système de la masse.
Et la masse frappa de tout son poids l’enceinte des pierres.
Le fracas des armes ébranla le roc de la résistance mais non la pureté deschevaliers.
Le siège durerait des mois… Et pendant cette bataille temporelle, on entendrait chaque jour le chant des purs au milieu des cris des guerriers enarmes.
Cependant dans l’extrêmité de la forteresse, dans l’ultime bastion quereprésentait le donjon, les caméléons et les bons hommes préparaient une autreguerre. Car ils le savaient : cette bataille serait perdue. L’important n’étaitpas là. Ils avaient été préparé à cela. Aucun d’entre eux ne craignait la mortpar le feu. Les uns avaient la ramification, les autres la métempsychose. Tousn’étaient que de passage. Les uns pensaient le temps, les autres avaient foien lui. C’était au sein de cette communauté qu’avait grandi le jeune parfait.
Sur un cristal de photonium, en forme de pyramide, Téras avait gravé toutes lesconnaissances mystiques de la pureté. C’était la pyramide de la pyramide : lecristal de la prophétie qu’une légende nomma le trésor de Montségur. Seulsquelques bons hommes surent ce que signifiait le laurier.
Les assaillants avaient d’abord utilisé des Basques pour gravir cet éperonpétrifié. Mais cela n’avait pas suffi aussi ils avaient soudoyé des gens de cette terre.
C’était ainsi que la barbacane était tombée entre les mains sanglantes.
L’alliance de la violence et de la trahison avait brisé le premier bouclier.
Ce fut le début de la fin.
La barbarie était prête à anéantir l’humanité des purs.
Et la dernière tentative des chevaliers fut une hécantombe.
Les caméléons ne pouvaient modifier que l’inconnu, ils ne pouvaient lutter contre l’inertie de l’histoire.
Puis ce fut l’abandon des hommes d’armes.
Ils étaient seuls à nouveau.
Comment défendre cette bonté prête à mourir ?
Ce fut cet instant que le jeune parfait choisit pour révéler son secret.
Al cap de sept cents ans, le laurel verdegeo.
La prophétie avait parlé d’une mission. Désormais, les sept la connaissaient.
– Vous devez partir à présent… Que le temps soit avec vous !
Telles avaient été ses dernières paroles et elles résonnèrent encore dansleurs esprits pendant qu’ils empruntaient les sousterrains secrets.
Prats del Cremats.
Métempsychose.
Ramification.
Ce siècle était lui aussi tombé entre les mains du système.
Il ne resta plus rien, excepté un laurier.
Un laurier gravé sur une pierre dont les hommes oublièrent le sens.
Le sens des caméléons.