2303 - Position humaine versus position sociale

N. Lygeros

Nous savons tous que la découverte consiste à voir ce que chacun a déjà vu et d’y voir ce que personne n’avait vu. Seulement sommes-nous conscients de ce que cela implique ? Cela n’est pas certain sinon la société serait encore plus dure à l’encontre des découvreurs, des inventeurs et surtout des génies. Car cette idée implique une remise en cause de la position sociale. Alors que celle-ci est un point de repère pour l’ensemble des sociétés dans le monde. Cependant le découvreur n’en a que faire puisqu’il est sensé appliquer le principe précédent. Une manière concrète d’examiner ce point de vue c’est d’examiner le cas de Leonardo da Vinci.

L’examen peut se réduire à la partie picturale de son œuvre, car c’est essentiellement la seule qui était dès le départ, conçue pour être visible par le public et donc la société. C’est donc l’interface principale entre l’œuvre du génie et la critique sociale. L’ensemble des peintres de son époque, était des peintres du beau. Non pas du beau qui est universel au sens de la philosophie, mais du beau social. C’est ainsi que nous devons interpréter la polémique générale du traité de la peinture quant au problème de la représentation fidèle du corps humain. Ceci est particulièrement flagrant pour les nourrissons. En effet ces derniers n’ont pas des proportions qui sont analogues à celles de l’homme adulte. Pourtant de nombreux peintres persistent à les représenter comme tels. Ces peintres sont prêts à sacrifier la nature et sa vérité au profit de la société pour complaire aux grands de leur monde. Mais Leonardo da Vinci ne l’entend pas de cette oreille. Il s’obstine à dessiner le vrai malgré la résistance de la société. Et il l’écrit très clairement dans ses manuscrits. Car pour lui, l’essentiel c’est de représenter la réalité, avec toutes ses qualités et ses défauts. Il désire partager son savoir et à ce titre ce savoir doit être vrai. Aussi son point de référence ne peut être social mais humain. Ses recherches sont de plus en plus poussées du point de vue scientifique afin d’augmenter le réalisme pictural. Leonardo da Vinci a toujours été dans un milieu où des puissants tentaient d’imposer leur volonté. Il les a subi à maintes reprises et il faillit mourir sur le bûcher à cause d’une sale affaire dans sa jeunesse. Néanmoins, il a su transcender ces difficultés sociales pour se rapprocher de la nature et de l’humain. Ne tenant pas compte de la position sociale à l’instar du grand mathématicien grec qui disait qu’il n’y avait pas de voie royale en géométrie, Leonardo da Vinci a montré par son œuvre qu’il ne suivait que la voie humaine. C’est aussi pour cette raison qu’il pense que l’imitation n’a aucun sens.

« Je dis aux peintres que personne ne doit jamais imiter la manière d’autrui, car il sera appelé, sous le rapport de l’art, petit-fils et non fils de la nature. Etant donné l’abondance si grande des objets naturels, il s’impose de recourir à la nature plutôt qu’aux maîtres qui ont appris d’elle. Et je ne dis pas cela pour ceux qui doivent s’enrichir par l’art, mais pour ceux qui veulent en tirer gloire et honneur. »

Pour lui, l’imitation est d’ordre social et représente une manière aisée de respecter la position sociale acquise par le peintre. Alors que selon lui, l’accès à la connaissance n’est réellement possible que grâce à l’étude intensive et presque forcenée de la nature. C’est une manière explicite de mettre en valeur la position humaine vis-à-vis de la nature