2321 - Réflexions sur l’argument d’unicité de Leonardo da Vinci

N. Lygeros

Dans la compilation réalisée par Francesco Melzi qui se trouve à la Bibliothèque Vaticane de Rome nous trouvons l’extrait suivant.

« Les sciences imitables, c’est-à-dire telles que le disciple y devient égal à l’inventeur et produit des ouvrages semblables, sont utiles à l’imitateur, mais pas aussi excellentes que celles qui ne peuvent pas être laissées en héritage comme d’autres biens. »

De cette entrée en matière, nous pouvons déduire le point de vue de Leonardo da Vinci. Le schéma mental de son approche est la recherche de la rareté et même de l’unicité. Il va à l’encontre du dogme de la quantité. Cherchant l’essentiel dans la quantité, il trouve la singularité. Celle-ci n’est pas mise à l’écart dans son œuvre comme dans le comportement social vis-à-vis de l’exceptionnel. La singularité a une valeur intrinsèque pour Leonardo da Vinci. Et il considère que la peinture permet l’accès à la singularité et à l’originalité. Il poursuit donc sa remarque de cette façon.

« Parmi ces dernières, la peinture vient en premier lieu ; […] »

Il existe donc une hiérarchie dans son esprit et la peinture représente le summum. Il ne se contente pas de l’affirmer. Il argumente sur son unicité en montrant pas à pas que les autres sciences, au sens large du terme, n’ont pas ses caractéristiques.

« […] elle ne s’enseigne pas à qu’y n’est pas apte par nature, comme c’est le cas dans le mathématiques où le disciple acquiert tout ce que le maître lui expose »

Il est vrai que Leonardo da Vinci n’examine pas réellement le cas de la recherche qui est quelque peu différent. Mais si nous considérons les mathématiques du point de vue professoral et ce, même au niveau universitaire, il a absolument raison. Car la méthodologie permet de démontrer des théorèmes qui demeureraient inaccessibles sans elle. Et cela ne signifie pas pour autant que l’élève ou l’étudiant maîtrise pleinement l’objet. En tout cas, il sait l’appréhender et reproduire aisément certaines de ses caractéristiques.

« […] elle ne se copie pas comme les lettres où la copie vaut autant que le modèle ; »

Ici encore Leonardo da Vinci met en évidence la notion de mimétisme qui peut conduire en littérature à ce que nous nommons le pastiche.

« […] on ne peut pas la mouler comme la sculpture dont le moulage égale en valeur l’original, pour la qualité de l’œuvre »

Ici nous voyons qu’il s’agit véritablement de reproduction. Aussi Leonardo da Vinci définit la création comme une procédure dont le résultat n’est pas reproductible. Cela lui permet d’éliminer la sculpture et plus particulièrement celle qui utilise du métal.

« […] elle ne produit pas une innombrable progéniture comme les livres imprimés ; seule elle reste noble, seule elle honore son auteur ; elle demeure précieuse et unique, et ne crée jamais des enfants qui lui soient égaux, et cette singularité la rend plus excellente que les choses répandues partout. »

Certes certains bibliophiles protesteront mais malgré tout ils ne peuvent qu’accepter l’argument car il s’appuie sur les éditions. La peinture est un travail de synthèse et ceci est particulièrement vrai chez Leonardo da Vinci. Aussi il n’est guère étonnant qu’il adopte ce point de vue qui s’appuie sur l’isomorphisme formel du concret.