238 - Mémoire du futur

N. Lygeros

Le chaos

c’est toi qui le premier

le terrifias

grâce à la lumière.

Le chaos voulut

te dévorer

mais toi

malgré tes blessures,

tu l’illuminas

et il se perdit

dans le néant.

Un jour, dans les Cyclades,

la lumière devint marbre

et le marbre statue

mais elle n’osa

conquérir le monde,

elle avait les bras liés

comme une lumière emprisonnée :

le signe de ton destin.

Combien d’hommes savent que la mer est lumineuse

depuis que le soleil y a sombré

en voyant tes affres

et que le goût du sel

que laisse la mer sur les lèvres

est un éclat de soleil ?

Tu fus l’un

l’unique

au commencement.

Une étincelle

dans le poing :

le feu,

ce morceau de jour dans la nuit.

C’était un don immense, c’était une souffrance amère.

Ta liaison avec l’humanité

tes liens.

Et c’est toi le premier qui sentis

le poids de la lumière.

Le surhomme,

le créateur de lumière,

le démiurge humain

devint l’esclave

de l’humanité.

Tu leur donnas la lumière à boire

et changeas l’existence des hommes,

tu leur offris la vie.

Mais qui la voulait,

qui vit ton sacrifice,

qui le comprit ?

Ton mythe,

acropole de l’intelligence

est une composition

que peu d’hommes peuvent entendre

une musique du silence.

Icare

au ciel de pierre attaché

Dédale

dans le labyrinthe de la pensée enfermé.

Ta torche, poing divin

et blessure glorieuse

ton corps, apparence divine

et blessure humaine.

La vengeance de l’oubli.

Les hommes oublièrent ta lumière

et ne trouvèrent que le feu.

Ils oublièrent que la lumière

était le marbre du soleil.

Les hommes brûlèrent la lumière.

Sur le sable blanc

ils déversèrent la douleur

et un seul instant

brisa le temps.

En démembrant l’atome,

ils blessèrent l’humanité

et sa pensée.

Dieu

voulut se suicider

en voyant le ciel

mordre la terre.

La lueur de l’explosion

montra l’obscurité,

le chemin de l’Hadès.

Alors se fit entendre le premier cri

des morts,

les victimes du feu,

les stigmates uraniens.

Alors commença la première lutte

contre l’acier noir.

Le thrène de la paix.

La menace de l’ombre

s’étendit sur les âmes

et ferma

les paupières

de l’innocence.

La lumière que tu nous offris

avec ton sacrifice

était unique

et nous l’avons perdue.

Le feu, pour vivre,

a besoin de nombreux morts.

Il doit s’éteindre

pour que nous puissions revoir la lumière.

Ta lumière, Prométhée !

Dans le pays des rêves perdus

il n’existe plus de cyprès

d’eucalyptus et de pins

seulement des fleuves de peine

et des paroles plaintives.

Pourtant au sein des vestiges du monde

brillent les beautés brisées.

Sur les ruelles de la vie,

sur les vagues de pierre

sont tombés

les inaccessibles pas

d’une âme antique.

Une poignée de lumière

sur le corps

est devenue

le grand large de la liberté,

la couleur de la nécessité.

Il n’existe pas de feu seulement de la lumière.

Tu as bu toutes les larmes du monde

et avec ta blessure

tu as créé la mer

notre terre.

Ensuite

après la mort

de l’éternité

et la résurrection

du jour

avant d’être coupé dans l’antique agora

par une main

un dimanche

tel un lilas

refleurira

le monde.