241 - Sur le caractère dynamique de l’altruisme
N. Lygeros
Du point de vue social, une attitude altruiste peut sembler inefficace car elle ne peut agir comme un élément moteur dans le développement personnel de l’individu. Sa reconnaissance sociale dépend de son statut qui, lui-même, dépend de sa réussite dans son cursus et plus encore de son habileté à manoeuvrer dans certains sous-ensembles sociaux tels que l’entreprise, l’organisation, l’association. En d’autres termes, l’altruisme ne représente pas une valeur compétitive.En réalité l’axiologie de l’altruisme est indépendante de la société. Elle est de nature intrinsèque et n’agit que sur le plan humain. L’altruisme est inefficace du point de vue social car il ne se préoccupe pas de cette catégorie consensuelle. Aussi il semble être une attitude passive. Il est donc non seulement inefficace mais négativement connoté lorsqu’il est interprété comme un désaveu du rôle social.L’altruiste n’est pas nécessairement sociable. Cette dernière caractéristique est essentiellement basée sur des relations de politesse qui sont superficielles par nature. L’altruisme s’attache directement et uniquement aux relations humaines indépendamment du statut social de ses interlocuteurs. Pour cette même raison, son ton semble parfois quelque peu direct et pour cause puisqu’il ne s’embarasse pas de bienséance. La franchise du ton ne représente pas une arme rhétorique, elle n’est que l’expression de sa sincérité. Quid de l’altruisme lorsqu’il est associé à l’intelligence extrême ?Nous avons montré dans un précédent article que pour une intelligence prométhéenne la combinaison de l’effet pygmalion et de caméléon engendre l’altruisme. Cette fois, c’est ce dernier que nous allons étudier en conservant le même cadre afin d’expliciter sa structure spécifique. L’intelligence extrême remet naturellement en cause toute hiérarchie sociale et rend l’altruisme audacieux.En effet l’analyse mentale des relations humaines, via l’intelligence humaine, offre un cadre idéal pour l’ingérence. Aussi, cette action est interprétée comme une audace par un interlocuteur normal qui n’est pas habitué à une telle intervention dans son univers personnel. Il est donc surpris par une assistance non demandée et il est fréquent que sa réaction soit négative au premier abord. Cependant, si les circonstances le permettent et que la conversation se poursuit malgré cette opinion, cet altruiste audacieux a tôt fait de démontrer sa bienveillance désarmante.Tout individu normalement constitué, à la suite des échecs inhérents à la vie, finit par se doter d’une armure afin de mettre sa personnalité à l’abri. Aussi quand il est abordé, un temps doit s’écouler avant qu’il ne s’ouvre à son interlocuteur et ce, dans une certaine mesure. Alors qu’il en va tout autrement pour un individu doté d’une intelligence extrême. Celui-ci, conscient d’appartenir à un ensemble qui dépasse par sa complexité l’individu humain, conçoit l’echange comme un véritable dialogue de deux individus appartenant à la même superstructure. Pour avoir une image concrète de cette idée, il suffit de considérer deux interlocuteurs de même langue et du même pays qui se rencontrent dans un autre. Pour lui, la notion d’armure est un non sens. Quel serait l’intérêt de se protéger contre soi-même ? A l’image d’un réseau neuronal, il évolue sans protection. C’est cette façon d’agir qui désarme ses interlocuteurs. Face à la nudité de l’individu, l’armure perd son sens. Une autre conséquence de cette attitude est une propriété qui se rapproche de la notion de catalyseur.En effet l’atruisme d’une intelligence prométhéenne, par sa seule présence, peut modifier le comportement global d’un groupe. L’étrangeté de son attitude agit comme une perturbation locale dans un système hiérarchisé. Et son ingérence mentale dans le groupe est due plus à sa nature qu’à son action. Car sa nature est une action en soi. Son ontologie change la dynamique du groupe. Il joue le rôle du catalyseur puisqu’il déclenche une réaction par sa seule présence.Il est désormais concevable de généraliser cette idée en considérant l’ensemble des singularités que représentent les individus dotés d’une intelligence prométhéenne au sein de l’humanité. Chacun d’entre eux, via la perturbation locale qu’il représente, agit sur la superstructure humaine. Cependant, cette action sur le tissu humain n’est pas nécessairement perceptible à plus grande échelle car les répercussions sont de nature plus profonde. Les voisinages des singularités évoluent pourtant et ils étendent par ce biais l’action de celles-ci. Ainsi le voisinage remplace l’isolement.Se pose alors le problème théorique suivant : l’action des singularités répercutée par leurs voisinages respectifs engendre-t-elle un phénomène global ? Dans l’état actuel de nos connaissances, il est difficile de se prononcer même sur la décidabilité de ce problème. Néanmoins, il est évident que l’absence d’action ne peut produire de modification. Par ailleurs, même si cela ne peut représenter une démonstration, nous savons que la présence de modifications si minimes soient-elles affecte le comportement global d’un système dynamique. Ainsi, si nous considérons l’humanité comme un système dynamique, le terme système peut en réalité signifier un concept évolutif qui dépend en lui-même des modifications qu’il subit. Il alors très difficile de juger ce concept de manière indépendante.Pour étudier le rôle de l’altruisme au sein de l’humanité, une autre approche est donc nécessaire. Puisque les singularités et leurs voisinages forment un ensemble d’une très faible densité au sein de la population, il est préférable de les étudier selon leurs caractéristiques. Pour cela nous utiliserons une approche dont le modèle mental est la théorie des graphes mineurs. Cette fois, les singularités seront considérées commes des mineurs de leurs voisinages d’impact respectifs. Etant incomparables entre elles, elles représenteront des mineurs minimaux. La population normale sera donc définie comme l’ensemble des personnes qui ne possèdent pas de singularités comme mineurs. Dans ce cadre, les singularités constituent un ensemble d’interdits et ce dernier caractérise la structure qui ne les contient pas.Nous sommes donc parvenus à caractériser l’ensemble majoritaire grâce à un ensemble minoritaire considéré comme une obstruction et dont la structure relationnelle est basée sur la notion d’altruisme. Par conséquent, le rôle de ce dernier bien que non perceptible immédiatement à grande échelle, peut s’avérer fondamental une fois que l’on privilégie les caractéristiques structurelles.Pour conclure cette étude sur le caractère dynamique de l’altruisme nous allons considérer la notion de créativité afin d’illustrer l’impact des singularités. En effet, si l’on considère l’ensemble des créations d’un domaine il est facile de se rendre compte que les oeuvres des individus les plus créatifs constituent la majorité. De là à dire que l’altruisme audacieux des intelligences prométhéennes constitue la majorité des relations humaines basées sur l’altruisme, il n’y a qu’un pas pour l’homme. Et une fois considéré que cet altruisme représente l’élément fondamental de ce que nous appelons l’humanité de l’homme, comment ne pas le franchir pour atteindre l’idée que cet altruisme est la caractéristique nécessaire pour transformer la population mondiale en humanité.
Références :
N. Lygeros : M-classification.
Perfection 1 01/2000.
N. Lygeros, J. Martinez : An Exegesis of Promethean Myth. Perfection 2 02/2000.
N. Lygeros : Modèle mental de l’altruisme. Perfection 3, 03/2000.