2637 - L’apport géopolitique du Holodomor

N. Lygeros

Le problème général des défenseurs des droits de l’homme dans le cadre de la lutte pour la reconnaissance d’un génocide, c’est la mise en évidence des contraintes géopolitiques. Celles-ci sont omniprésentes et cependant invisibles à la plupart des gens. Alors une reconnaissance semble toujours facile ou pour ainsi dire formelle dans la plupart des cas. Dans le cas de génocides typiquement raciaux comme celui des Juifs ou des Arméniens, il est difficile de constater immédiatement le contexte géopolitique qui demeure caché dans le fond raciste. Alors que pour la grande famine de 1932-1933 en Ukraine, c’est bien le stalinisme qui est en cause. Aussi l’aspect géopolitique de ce génocide est à la base. Cette nouvelle problématique explique non seulement les difficultés endurées pour les reconnaissances mais aussi l’élément géopolitique présent dans tous les génocides. En effet ces derniers exploitent souvent un racisme latent pour parvenir à des buts géopolitiques. Cette fois l’enjeu est bien géopolitique dès le commencement. L’objectif de Staline était le contrôle absolu du territoire ukrainien dans un cadre avant tout logistique. Cet objectif avant tout logistique pouvait se réaliser par le biais des kolkhozes. Ceci explique la première phase de la planification. Les problèmes intrinsèques de cette planification ont engendré des frictions au sens de Clausewitz dans tout le corps du système. En voulant les éliminer, Staline et son appareil se sont concentrés sur la plus grande résistance de ces frictions. Cette fois l’erreur logistique s’est transformée en erreur stratégique puisque l’élimination des frictions consistait à commettre un crime contre l’humanité, un véritable génocide de plusieurs millions de personnes. Car il ne s’agit pas seulement d’une erreur humaine. L’envoi de l’armée rouge pour contrecarrer des comportements prétendument contre-révolutionnaires ne fait que confirmer cette idéologie. Seulement pour parvenir à ses fins, Staline et son appareil avaient besoin d’un dogme stratégique axé sur la réalité d’un ennemi d’ordre social de la nation. Le prétexte a permis de mettre en place un acte de barbarie. Le problème actuel du Holodomor c’est que sa reconnaissance implique des critiques d’ordre géopolitique. Aussi il est interprété comme une tentative de mener une critique politique. En réalité ce type de défense est la continuation du dogme stratégique de Staline. Le génocide des Ukrainiens n’était qu’un moyen pour Staline afin d’atteindre ses véritables objectifs. La reconnaissance du génocide selon ce dogme implique la critique des objectifs. D’où la difficulté d’obtenir des reconnaissances dans certains états. Nous voyons qu’il s’agit d’un prétexte utilisé de manière double et qui met en évidence l’enjeu géopolitique de la reconnaissance. Se contenter de rester dans un cadre strictement restreint aux droits de l’homme ne permet pas d’être efficace. Il suffit pour cela de réaliser ne serait-ce qu’en France, que la démonstration de la culpabilité du régime nazi entraînant celle du régime de Vichy, et donc indirectement de la France officielle, a été difficilement établie, non pas en raison d’une contestation possible des faits historiques mais de la réalisation des répercussions géopolitiques de la reconnaissance des actes. Le Holodomor réactive de manière plus intense cette problématique.