268 - La pensée dans tous ses états
N. Lygeros
Il est incontestable que les parasites dans leur acceptation la plus courante, représentent une partie très importante du monde du vivant. Quant à leur complexité, elle peut être très élevée car ils ne se présentent pas seulement sous la forme virale. A l’instar des insectes mais à une échelle encore plus petite leur domination est écrasante bien qu’invisible de manière immédiate. De plus leur capacité extraordinaire à muter engendre une diversification génétique inégalée dans le monde du vivant. De ce point de vue leur contribution est essentielle.
Cependant même si la parasitologie est une science à part entière avec des modèles théoriques de plus en plus complexes et mathématiques, elle ne constitue l’objet central de notre propos. Notre but consiste à créer grâce à elle un état d’esprit susceptible à faciliter la compréhension de ce texte. Nous nous appuyons aussi sur l’idée essentielle que l’omniprésence n’est pas nécessairement discernable car nous ne voyons que ce que nous comprenons.
Considérons à présent les deux entités fondamentales à savoir la matière et la pensée. Bien que la pensée ait comme source l’intelligence, nous n’interprèterons celle-ci que comme l’un de ces vecteurs. La matière étant le substrat de base, la pensée sera l’émergence différenciée. Nous les observerons donc bien comme deux entités et non comme deux formes d’une même entité. Dans ce cadre, en transposant l’image, nous pouvons voir en la matière un hôte et en la pensée un parasite.
Même si cette idée extrême peut sembler provoquante il n’en demeure pas moins qu’elle est une source d’interrogations. Elle permet entre autres d’examiner notre vision habituelle de la pensée d’une toute autre manière. Elle n’est plus dans une position dominante car nous n’utilisons pas la philosophie hiérarchique d’usage. De plus la connotation négative que comporte la définition du parasite perturbe notre idée de la pensée. Cependant cela ne rend-il pas plus aisée notre compréhension de la crainte que provoque la pensée ?
Dans un précédent article, nous avons analysé le sentiment de crainte créé par le danger que représente l’intelligence. Cette fois en décrivant la pensée comme un parasite de la matière nous voulons mettre en évidence cette peur de la masse à une époque où des chercheurs recherchent le gène de l’intelligence. Alors comment ne pas voir dans cette image une justification de ce sentiment car loin de vouloir présenter la pensée comme une entité inoffensive, nous revendiquons son action sur la matière.
L’état de la matière est très stable dans le temps. Les transformations ne s’opèrent que lentement si nous exceptons les phénomènes dus aux cas extrêmes de la fusion et de la radioactivité. Alors que la pensée est toujours changeante et en perpétuelle évolution. Son état naturel ou plutôt ses états naturels sont l’instabilité. Elle ne vit qu’à travers le mouvement et sa principale caractéristique est la polymorphie. Aussi son action sur la matière ne peut être qu’une source d’instabilité. Elle exploite la matière première pour créer en la manipulant, en la transformant et obtenir ainsi une véritable métamorphose de celle-ci.
Cependant cette action de la pensée sur la matière loin d’être négative est structurante. Car la matière livrée à elle-même ne peut qu’obéir à la thermodynamique et suivre ses principes. Aussi elle n’a, via sa recherche de la stabilité, qu’une seule possibilité eschatologique à savoir l’augmentation de l’entropie. Alors que la pensée à travers son instabilité est une recherche structurelle et constitue par ce biais une lutte contre l’entropie.
Ainsi cette entité perturbatrice, ce parasite de la matière, avec tous les aspects négatifs qu’elle représente pour la masse est l’unique source d’énergie capable d’engendrer des structures complexes. Sans ce parasite, cet hôte qu’est la matière ne serait qu’une masse inerte, avec lui, elle prend vie, elle acquiert un sens, elle se dresse contre l’entropie pour évoluer et affirmer son existence : cogito ergo sum.