300 - L’analogie ou la puissance heuristique d’un schéma mental
N. Lygeros
Comme le souligne Arthur Miller dans son livre : Intuitions de génie (images et créativité dans les sciences et les arts), l’un des critères que doivent satisfaire les nouvelles théories scientifiques, est le suivant : métaphores et analogies qui permettent de tester des domaines inconnus ou mal connus au moyen de quantités plus ou moins familières. Bien que ce critère soit difficile à mettre en évidence, étant donné la difficulté de formaliser l’analogie, il n’en demeure pas moins fondamental pour une théorie. L’une des premières tentatives de formaliser explicitement dans le domaine de l’intelligence fluide, la notion d’analogie, est due à Ronald Hoeflin. Cette explicitation était nécessaire pour permettre à l’analogie de devenir un item précis et quantifiable d’un test. Dans l’un de ses premiers tests de puissance, son créateur lui a donné la forme suivante : A:B::C:D ou sa version apparente A:B::C:?. Cette expression peut se lire de différentes manières selon la complexité de l’analogie et le but que s’est fixé le créateur du test. Ainsi nous pouvons l’interpréter comme : C est à D, ce que A est à B ou D est à B, ce que C est à A etc. Il s’avère que cette forme simple est capable de cacher des analogies très complexes et ce d’autant plus lorsque ces dernières font appel à des connaissances cristallisées. Néanmoins le principe est toujours le même. L’analogie écrite et apparente est l’aspect visible d’un schéma mental implicite et caché. Au cours des années qui ont suivi, il s’est avéré que cette forme était très efficace en tant que mesure quantifiable à l’instar d’un index topologique discriminant dans l’espace cognitif. Ceci provient bien évidemment de sa structure interne et non de ces éléments apparents car ces derniers ne constituent qu’un ensemble de mots. Alors que le testé doit découvrir une structure qui organise cet ensemble. Il doit percevoir un schéma mental dans un ensemble désordonné de données brutes même si ces dernières sont parfois un ensemble d’indices convergent vers une même idée. Seulement cette dernière n’est visible que pour ceux qui peuvent la comprendre. Nous retrouvons ainsi l’idée décrite dans un précédent texte à savoir que nous ne voyons que ce que nous comprenons. L’analogie, une fois considérée comme un outil heuristique, rend possible la découverte. En effet, comme elle possède différents degrés de structures qui sont plus ou moins profondes et plus ou moins complexes, elle est capable de proposer à son utilisateur expérimenté un ensemble de schémas mentaux construits sur des structures qui permettent de mettre en évidence de nouvelles entités. Seulement comme l’a déjà noté Henri Poincaré : c’est par la logique que nous prouvons, c’est par l’intuition que nous inventons. Aussi pour découvrir le sens caché d’une analogie, la simple déduction ne suffit pas, l’abduction et parfois même l’abduction créative, est nécessaire car l’ensemble des données est relativement faible. C’est d’ailleurs pour cette même raison qu’il est opportun d’immerger ces données dans le substrat que représente le spectre des intérêts du chercheur. Parmi les combinaisons que nous retenons, les plus fructueuses sont souvent celles qui sont formées d’éléments empruntés à des domaines très distants (Henri Poincaré). Et plus le spectre est étendu et en structure de réseau, plus l’analogie sera puissante en tant qu’outil heuristique. C’est pour cette raison que l’analogie est si peu présente chez le chercheur moyen qui est noyé (et désireux de l’être) dans son petit domaine de spécialiste à l’abri du regard des autres. Car l’application de l’analogie est par nature risquée. Elle n’est donc comparable qu’avec l’audace de l’intuition qui ne doit pas craindre de transgresser des domaines. Il n’est pas inutile à ce propos de rappeler les termes de la lettre de recommandation de Henri Poincaré pour Albert Einstein, afin que celui-ci obtienne un poste à l’institut fédéral suisse de technologie de Zurich : ”Einstein est l’un des penseurs les plus originaux que j’aie jamais rencontrés… Comme ses recherches vont dans toutes les directions, il faut s’attendre à ce que la majorité des voies qu’il emprunte s’avèrent être des impasses.” Et nous parlons de la relativité et d’un génie comme Poincaré, alors comment ne pas comprendre la réticence de la normale face à un outil si dangereux et si performant que l’analogie qui permet à certains de découvrir ce que d’autres n’osent même pas imaginer. Car comme l’a dit Albert Einstein : L’imagination est plus importante que le savoir.