301 - Anarchisme, pensées et découvreurs
N. Lygeros
Il est pour ainsi dire incontestable que du point de vue politique, l’anarchisme représente une minorité extrêmement faible dans le monde. Et même si nous considérons cette doctrine dans sa dimension temporelle, il est évident qu’elle n’a pas de statut véritablememt diachronique. Néanmoins, elle a eu une véritable existence en tant que république en Russie et en tant que mouvement social en Catalogne. Elle ne peut donc pas être accusée de système politique non viable. De plus dans ces deux cas, sa structure ne s’est pas effondrée de l’intérieur mais sous la pression extérieure : sa disparition est due à une agression. Il serait par ailleurs injuste de ne pas mentionner son importance dans la conception initiale de l’internationale même si comme il se doit, les anarchistes ont été les premiers à être mis à l’écart, pourchassés et enfin éliminés de cette structure. Ainsi il semble donc que cette doctrine soit bien trop originale pour être appliquée massivement à une population. Il faut dire enfin que l’anarchisme symbolise de manière exemplaire le paradoxe de la pensée puisque c’est un système qui se veut la négation de tout système, la négation de l’état et du pouvoir sous toutes ses formes.
Ce dernier paradoxe a été maintes fois utilisé pour critiquer la conception même de l’anarchisme sans que les sources de ses critiques se rendent véritablement compte qu’il en est de même de la pensée humaine et en particulier celle de la découverte, et ce quelque soit son domaine. Car toute découverte est une transgression gnoséologique, une remise en cause de nos connaissances et surtout la négation de la notion de domaine puisqu’elle représente un nouveau lien entres des entités existantes. Par ailleurs, il ne faudrait pas se contenter de voir un anarchiste dans toute personne qui conteste l’état. Car bien souvent ces personnes n’ont non seulement aucune connaissances (très peu de personnes ont vraiment lu les texte de Bakounine, Proudhon, Kropotkine, et très peu font le lien avec Rousseau, Humboldt et Russell) mais pensent justifier leur existence grâce à des actes si mineurs, qu’ils sont tout simplement pathétiques. Appartenir à un groupuscule ou à une manifestation locale n’a pour ainsi dire aucun impact si ce n’est la condamnation d’une doctrine incomprise.
Cependant ce serait oublier que le mouvement anarchiste, sur le plan intellectuel cette fois, a des racines solidement ancrées dans le siècle des Lumières et en partie dans la pensée des Encyclopédistes. Car ces derniers ont été si critiques envers les institutions traditionnelles et les idéologies de l’époque que leur oeuvre principale à savoir l’Encyclopédie elle-même a été fortement réprimée. Alors que leur volonté n’était que de proposer l’accès à la vérité. Un accès qu’ils considéraient comme une condition nécessaire à la création d’une société libre. C’est dans ce sens que vont aussi les anarchistes intellectuels comme Chomsky mais aussi des structures comme Amnesty International même si la masse de cette dernière n’est pas toujours un atout dans son action. Ce sont d’ailleurs pour les même raisons que les systèmes étatiques se préoccupent tellement de l’information divulguée par les mass media.
En réalité, comme l’a souligné Feyerabend, l’anarchisme constitue un véritable modèle cognitif pour la recherche. En effet, sa structure offre un cadre idéal pour celle-ci puisqu’elle se trouve de cette manière à l’abri de tout carcan intellectuel. La recherche s’effectue alors dans un milieu sans frontières qui n’est borné que par l’espace de la problématique. Néanmoins, cette approche libertaire du problème présuppose une grande capacité de jugement pour choisir les méthodes à suivre. Il ne suffit plus d’appliquer simplement un formalisme, il faut parfois le créer afin de l’exploiter par la suite. De plus cela ne peut pas convenir sans la possession de la plasticité. Sans l’intelligence fluide, la liberté heuristique est inutile voir nuisible puisqu’elle conduit à un comportement chaotique. L’anarchisme en tant que modèle cognitif nécessite l’intelligence, c’est pour cette raison qu’il est incompris et difficilement appliquable par la masse. Sans l’intelligence, l’anarchisme est un mouvement politique mineur, avec l’intelligence c’est un processus de découverte majeur.