330 - Remarques catégorielles sur la notion de serendipity
N. Lygeros
La notion de serendipity recouvre un spectre si spécifique dans le domaine de la découverte que rares sont les langues qui en possèdent un équivalent. Néanmoins dans cette note, notre but n’est pas d’ordre linguistique mais strictement cognitif. Il s’agit pour nous d’établir des catégories explicites de la notion de serendipity afin de préciser son mode d’action. Au premier abord, il peut sembler délicat d’établir des distinctions au sein d’une notion abstraite mais en considérant les apports de notre article intitulé Caractérisation de la complexité structurelle nous réalisons que cette distinction est possible si les distinctions sont de même ordre de complexité que la notion considérée périphrasiquement parlant, la notion de serendipity est la capacité de découvrir ce que l’on ne recherche pas, du moins pas directement. La première catégorie est la serendipity hypercodée. Elle correspond à un cadre de recherche qui est si contraignant qu’à la manière d’un bassin d’attraction il conduit inexorablement à une découverte. Plus explicitement nous considérons cette découverte comme le point attractif d’un ensemble de connaissances. Alors quelle que soit la recherche effectuée dans cet ensemble elle ne peut que conduire à ce point singulier. C’est par ailleurs une idée que nous retrouvons dans l’expression : cette découverte était dans l’air du temps. C’est donc un cadre qui est relativement indépendant des chercheurs puisque seul le bassin est caractéristique. La deuxième catégorie est la serendipity hypocodée. Cette fois la découverte n’est pas le point attractif d’un bassin. Elle est relativement isolée et autant la serendipity hypercodée peut être considérée comme un équilibre stable, la serendipity hypocodée correspond à un équilibre instable. Dans ce cas, le chercheur ne doit pas seulement être pertinent au moment où il travaille dans un espace cognitif abstrait mais être aussi doté de persévérance. Car cette fois, il ne suffit pas au chercheur de remarquer le remarquable là où il ne le cherche pas mais il doit être convaincu que ce remarquable est un élément essentiel à la solution finale. Ici, donc il ne doit pas seulement remarquer mais exploiter afin de parvenir à un résultat. L’équivalence masse inertielle et masse gravitationnelle ne conduit pas immédiatement à la relativité générale d’Albert Einstein. Alors que les résultats de divers chercheurs conduisent naturellement à la relativité restreinte même s’il fallait le génie d’Einstein pour le réaliser complètement. La troisième et dernière catégorie est la serendipity créative. Contrairement aux deux précédentes qui étaient passives dans leur phase initiale, la serendipity créative est fondamentalement active et ce dès le début de la recherche. Elle correspond, cette fois, à la recherche consciente et exploitée dans un cadre qui permet une découverte. Elle agit à la manière de la pensée latérale en raison de la connaissance de l’existence d’une solution non encore trouvée. Ainsi tout l’effort du chercheur ne se concentre pas sur la résolution directe mais sur la recherche d’un cadre susceptible de générer une entité remarquable qui une fois découverte devra être exploitée pour aboutir au résultat final, ce qui implique parfois que d’autres étapes du même type peuvent être nécessaires. Si c’est le cas, alors la serendipity créative devient une composante d’une véritable stratégie heuristique. Nous voyons aussi que la notion de serendipity malgré son caractère abstrait et sa complexité structurelle peut devenir un outil puissant pour un chercheur et qu’elle est essentiellement naturelle pour un individu qui appartient aux dernières phases de M-classification.