334 - Ecriture visuelle

N. Lygeros

Comment pour rendre hommage à la lenteur de Milan Kundera, notre ami, Olivier Murat, a mis longtemps à concevoir et réaliser son premier opus dans le domaine de l’écriture visuelle. Il aura fallu attendre pour cela, la lecture de nombre d’auteurs aussi illustres qu’inconnus pour s’imprégner de l’air du temps littéraire. Sans utiliser le collage à la manière d’Elytis, il a composé à partir de citations rectangulaires en parcourant différentes tailles textuelles de l’aphorisme au véritable paragraphe et tout cela au sein de cette nouvelle trinité que constituent l’éthique, la politique et la littérature. Quant à l’étendue de l’oeuvre… approximativement un mètre carré. Cela peut sembler un espace relativement étroit, même si l’on suit les conseils de Claudel dans ce domaine, pourtant la profondeur de l’écrit donne une nouvelle dimension. Car les citations ne sont que des éclats d’oeuvres en attente d’être lues et découvertes. Le spectacle s’articule donc autour des trois thèmes dans un cadre dont la géométrie interne est libre de manière essentielle. En effet aucune frontière ne vient cloisoner l’esprit du lecteur. Ce dernier peut parcourir le tableau à sa manière sans véritable contrainte de la part de l’auteur. Il peut naviguer dans ce discours générique selon ses envies géométriques et ses choix arbitraires. Il est vrai cependant qu’au bout d’un certain temps, une structure, à peine cachée par quelques indices, se dégage de ce tableau qui se contente, du moins en apparence, d’une palette de deux couleurs. Néanmoins, l’écriture comme la musique n’ont besoin que du blanc et du noir pour décrire des sentiments et des pensées riches en couleurs. Même si le choix des citations ne peut qu’incomber à l’auteur du tableau ainsi que la disposition de ce dernier, le lecteur, comme dans une structure ouverte d’Umberto Eco, se trouve devant une fable implicite dont il est libre de choisir le sens. Plus précisément, sa connaissance ou sa méconnaissance des auteurs cités engendre un décalage dans la lecture de l’oeuvre par rapport à l’écriture. De plus dans ce réseau intertextuel lourdement chargé de sens mais léger par sa structure, le lecteur peut découvrir des nouveaux liens qui modifient non seulement sa géométrie qui bien que planaire pourrait tout aussi bien être interprétée comme un cylindre ou un tore, mais aussi sa mentalité profonde. Comme si les citations n’étaient désormais qu’un simple substrat servant de base à de nouvelles pensées inconnues de l’auteur. Aussi le texte qui pourrait apparaître comme une fin en soi, devient peu à peu une structure médiologique. C’est ainsi que nous découvrons finalement le paradoxe fondamental de cette oeuvre. Conçue comme une base de données brutes sans intervention directe de l’auteur du tableau puisque celui-ci n’est composé que de citations, l’oeuvre en apparence dépourvue de toute technique rhétorique pour ne pas dire littéraire, engendre via sa substructure syntaxique une nouvelle structure sémantique fondamentalement imprévisible et donc libre. Comme si être sans artifices représentait une nouvelle forme d’artifice. Non pas pour découvrir l’essentiel car de l’aveu propre de l’auteur cet objectif n’est pas recherché, mais une nouvelle forme d’écriture sans prétentions révolutionnaires ou méthodologiques. Une forme qui a tellement réduit de contenant que son contenu ne peut être que son propre contenant sans ornements superfétatoires. Elle ne désire pas rompre avec les us de la littérature mais simplement afficher sa différence sans la revendication des dazibaos. C’est une affiche qui s’affiche. Le discours générique en tant qu’outil médiologique atteint la perfection puisque son but c’est d’afficher sa nature médiologique. Son message est clair : je suis un medium.