344 - Intelligence extrême et dilatation temporelle
N. Lygeros
Autant il est aisé pour une personne cultivée de comprendre la dyssynchronie liée au phénomène du surdouement, autant il est difficile pour cette même personne de réaliser l’effet de bord que représente l’intelligence extrême dans le même contexte. Saisir la différence temporelle parmi les enfants surdoués est pour ainsi dire le travail classique du psychométricien mais aussi de tout individu confronté à cela. Car la différence est perceptible même si elle n’est pas pour autant analysée et donc comprise. Il est d’ailleurs plus facile d’apercevoir la différence qui existe entre l’âge mental et l’âge chronologique que celle qui est plus profonde et qui est liée à la dyssynchronie du surdouement de la première phase de M-classification. Cependant qu’en est-il des individus des dernières phases ? Comment percevoir cette différence qui les caractérise ?
En réalité, via l’effet de bord, nous observons un phénomène d’horizon cognitif. Comme si au-delà d’une certaine limite, l’individu normal n’était plus capable de percevoir l’identité de l’autre. Pour connaître quelqu’un son mental s’efforce de construire un modèle cognitif de l’autre qui lui permet de communiquer. Et ce modèle est pour ainsi dire parfait puisque en raison de l’écrasante majorité normale, il s’applique presque à toute personne. Néanmoins lorsqu’il s’applique à un individu essentiellement différent ce modèle s’effondre et avec lui tout processus de communication élémentaire. Car, désormais, l’individu qui interroge n’est plus capable de comprendre les réponses. Le système est hors équilibre. Autant demander à un homme de se tenir droit sur l’océan.
Une première tentative de comprendre cette réalité consiste à ne plus utiliser un modèle linéaire mais une machine parallèle. Cette notion est utile pour deux raisons. Elle correspond tout d’abord à une entité concrète en informatique et ensuite elle est plus adaptée pour comprendre le fonctionnement cognitif d’un individu considéré comme anormal. Le parallélisme doit son efficacité à l’application d’un mix stratégique élémentaire. Toutes les composantes effectuent simultanément des tâches semblables et contribuent au résultat final. Si le calcul était ramené à un temps linéaire, il serait plus grand que le produit des temps de calcul de chaque processeur. Aussi la machine parallèle ne vit pas dans le même temps. En complexifiant cette idée avec une machine neuronale, nous nous approchons d’un modèle cohérent. Et cette fois il est difficile de partitionner les calculs, il est difficile donc de savoir quels neurones formels ont précisément participé à son élaboration. Le calcul acquiert un sens holistique et dans ce nouveau cadre il est encore plus difficile d’estimer le temps linéaire équivalent.
Le seconde tentative qui complète la première concerne la mémoire. Pour le moment, notre modèle n’était que structurel sans faire appel à la mémoire même si une machine neuronale fonctionne à travers son apprentissage. L’individu des dernières phases n’est pas seulement une singularité dans l’espace cognitif, il a un rôle dynamique qui provient des liens qu’il a tissé à travers sa mémoire et sa culture. Il n’est pas un élément, ni un ensemble de connaissances, il représente un élément générique et c’est un cela qu’il devient universel. Il n’est pas simplement l’aboutissement d’idées du passé. Dans la dernière phase, il est la mémoire du futur de l’humanité, un futur enclavé dans le passé pour les autres. En lui existe une sorte de dilatation temporelle qui ne le rend ni supérieur ni inférieur, seulement incomparable. Aussi lorsque l’on interroge une machine parallèle, une machine neuronale, un être caméléonien sur son âge, il ne faut pas être étonné de sa réponse car elle a un sens véritable une fois que l’on a réalisé que sa téléologie est son ontologie. Un caméléon n’a pas mille ans mais il vit de mille ans.