3455 - La lettre de fer

N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras

Si j’avais vécu alors

j’aurais pu te montrer

la barbarie

mais alors, j’étais déjà

mort

et tu n’étais pas encore née.

C’est pour cela que je t’écris

afin que tu lises

le passé que tu n’as pas vécu,

l’avenir dans lequel

je ne suis pas mort

et que tu puisses devenir

juste quand tu l’apprendras.

Au commencement personne

ne prit garde à la lune.

Elle n’avait pas l’éclat

d’antan.

Personne n’écouta

le silence des dragons

et des croix nouées.

Mais les pierres devinrent corps

et les corps, arbres

qu’une hache invisible coupa.

Et les têtes blessèrent la terre.

Tu n’as pas entendu le bruit

que fait la tempe

quand elle se brise sur la pierre.

Personne ne peut le supporter

sauf si c’est la sienne.

Tu n’as pas d’enfants encore

et je ne peux pas te décrire

la mort des autres

tu ne pourrais t’en attrister.

Je sais que tu n’es pas

indifférente, mais tu es si petite.

Ne pleure pas maintenant.

Garde les yeux ouverts.

Tu ne sais pas encore

et tu ne peux être blessée

par le mensonge de la barbarie.

Tu dois d’abord apprendre

à souffrir.

C’est seulement ainsi que tu deviendras juste.

Et cela, seule l’Humanité

peut te l’enseigner

car même l’humanité a

ses limites.

Tu ne me crois pas,

je le sais.

Cela n’a pas d’importance.

C’est une question de temps

et le temps est avec nous.

Un mort

ne peut pas dire

des mensonges.

Ne regarde pas les barbares,

seules les victimes

ont besoin de toi.

Tu entends ?