3639 - L’âme de la cornemuse

N. Lygeros

Au loin, la liesse du peuple touchait le plus dur des chevaliers. La cornemuse de Guillaume de Machaut semblait quelque peu incongrue à cet endroit, pourtant elle était bien présente. Le comte en était certain. Peu d’hommes étaient capables de jouer Ma fin est mon commencement, un seul avait été capable de le composer. Tout le monde chantait et dansait. Personne n’avait conscience de l’unicité de la pièce. Le même instrument était capable de sonder l’âme humaine mais aussi de la réjouir. Comme si la profondeur et la largesse étaient le même esprit. L’âme de la cornemuse avait pénétré les terres de l’imagination. Ils étaient trois amis au seuil d’une église en territoires occupés. Ils avaient été frappés par le son de la bombarde et maintenant ils entendaient au loin la liesse du peuple. C’était tout simplement impossible dans la réalité. Mais ils étaient dans la mentalité, cet espace qui n’était accessible qu’aux guerriers du temps. Car sans la traversée du temps, ces événements étaient tout simplement inconciliables. Aussi les trois amis ne furent aucunement surpris. L’église était un point temporel. Ils devaient le traverser pour se retrouver dans la liesse du peuple à l’abri de la bombarde. Ils se précipitèrent dans l’église en direction de l’autel. Le comte serra les mains de l’occident et de l’orient. Ainsi eut lieu le changement de phase. Les trois hommes se retrouvèrent dans la fête du village. C’était le début du printemps. Les hommes et les femmes dansaient comme s’ils allaient mourir le lendemain. D’autres faisaient ripaille comme s’il en allait de leur vie. Les trois amis se dispersèrent dans la foule sans avoir échangé un seul mot. Cela avait été nécessaire. C’était le seul moyen de ne pas être repérés par le système dans l’espace de sa suprématie. Sans armures, ils n’étaient que des villageois parmi d’autres. Mais ils étaient capables de tout. Pourquoi le temps les avait-il envoyés dans ce village? Ils ne le savaient pas encore. Mais ils étaient conscients de cette nécessité. L’occident se mit à danser avec une jeune villageoise. L’orient se faufila parmi les hommes responsables des grillades. Quant au comte, il se dirigea vers le point le plus élevé. Auparavant il s’était emparé d’un morceau de viande pour ne pas se distinguer des autres. Lorsqu’il se trouva en surplomb, il entendit à nouveau la cornemuse. Cette fois seule la composition du maître de toutes les mélodies lui parvint. Le village allait être attaqué par les troupes anglaises qu’il voyait au loin. Il était impossible de le protéger, même par eux trois. Ils n’étaient donc venus que pour le sauver. Seulement comment éloigner les villageois sans éveiller de soupçons et de crainte? Il fallait agir vite. La musique. Oui, c’était cela la solution. Le comte redescendit du surplomb et fit signe à ses amis. Bientôt ils se retrouvèrent avec les musiciens. Ces derniers surpris par leur commande imprévue, empochèrent l’argent proposé et laissèrent leurs instruments au trio. Le comte prit donc la cornemuse et commença un air inconnu. Les deux amis l’accompagnèrent aussitôt. Les villageois en restèrent bouche bée. Cependant la musique était si prenante que tous les hommes et les femmes du village accompagnèrent en dansant le trio inconnu. La cornemuse, le davul et la flûte menaient la cadence. Les amis ne purent s’empêcher en tant que pestiférés, de penser à la parabole des rats et ils se mirent à jouer de plus belle. Ce fut de cette manière que ces hommes furent sauvés du saccage des troupes anglaises.