369 - De la nature de la guerre contemporaine
N. Lygeros
Dans le cadre d’une pensée dialectique, délivrée de tout dogmatisme stratégique, force est de constater que chaque époque tend à créer sa propre doctrine stratégique et que les guerres sont le reflet des sociétés qui les mènent. Ce constat, bien que choquant en soi pour un profane, est le plus simplement possible un prolongement logique des principes de Clausewitz qui considère, entre autres, que l’intention politique est la fin recherchée, la guerre est le moyen et jamais le moyen ne peut être pensé sans la fin. En d’autres termes, la guerre est un élément essentiel de la politique étrangère des états contrairement à ce qu’affirme leur diplomatie. Car même si la guerre n’est utilisée que comme un moyen dissuasif dans les négociations, elle représente encore une pression dynamique. Par ailleurs, elle permet aussi d’entamer des pourparlers en position de force aussi elle a une action indirecte qui s’étend même sur les périodes de paix. Et c’est en ce sens là qu’elle est si importante pour notre analyse.
Pour les démocraties de masse, la guerre est considérée via un consensus manufacturé comme un fléau. Une des raisons objectives de ce point de vue est l’importance de la recherche de la stabilité pour le système afin de produire artificiellement les sentiments de bonheur et de sécurité auprès de la masse. Ainsi la stratégie qui est par définition un moyen de renverser les rapports fort-faible dans un conflit est essentiellement absente de la conscience de la masse. Ceci afin d’éviter toute tentative de vélléités de la part de cette dernière mais aussi pour convaincre de manière générale les petits de leur petitesse et les grands de leur grandeur. Pour le système, la préservation d’un statu-quo de ce type est une forme de victoire sans bataille. Malgré tout la guerre semble indispensable dans le cadre d’une politique étrangère dynamique.
Pour résoudre ce paradoxe apparent qui est lié au caractère négatif et indispensable de la guerre, les sociétés contemporaines tendent à diminuer drastiquement la durée des conflits apparents, en augmentant l’intensité du choc et du feu. De cette façon, sans que leur masse ne le réalise vraiment, elles poussent jusqu’à l’extrême le concept de Blitzkrieg. Il est intéressant de constater à ce sujet, que les démocraties de masse qui sont dans leur globalité nées après la seconde guerre mondiale après avoir effacé de la carte leur ennemi commun, utilisent à leur tour le même principe qui avait permis à ce dernier de brillantes victoires, pour asseoir leur autorité sur le plan mondial. Une autre manière d’interpréter l’évolution de la guerre au sein des démocraties de masse consiste à exploiter le concept de bataille.
Traditionnellement, la guerre est conçue comme un ensemble de batailles décisives qui permet d’assurer un rapport de force suffisamment stable. Aussi une bataille ne suffit pas pour gagner la guerre et l’on connait de célèbres maximes à ce propos. Néanmoins, avec d’une part l’évolution de la notion de bataille qui peut être massive dans la recherche d’un anéantissement effectif et efficace et d’autre part la diminution de la durée de la guerre au sens strictement militaire du terme, les deux concepts se sont fortement rapprochés. Au point que nous pourrions analyser l’art de la guerre actuel comme la maîtrise de la bataille. Car le conflit strictement militaire est réduit à sa plus simple expression i.e. attaque massive de courte durée. Ainsi la guerre est devenue une bataille massive au sein d’une politique étrangère dynamique. Elle n’est plus une extension visible mais une distribution dont les conséquences sont immenses sans pour autant que la cause soit réellement visible. La guerre est un point de singularité dans le champ de bataille politique. Cependant ce serait une grave erreur que de la considérer comme un point de détail car ce sont ces types de points qui caractérisent la structure du système politique.