37 - Analyse de : Le théorème de Gödel de Jean-Yves Girard.
N. Lygeros
Ce livre s’articule suivant trois degrés de liberté : vulgarisation, démonstration, critique. Structure on ne peut plus efficace ! En effet la vulgarisation permet au lecteur intéressé de comprendre l’idée utilisée par Gödel pour parvenir à démontrer ce célèbre théorème qu’il a véritablement créé de toute pièce puisque ce résultat était inattendu. Il est donc encore plus important de comprendre le cheminement de son raisonnement – fer de lance de la logique moderne. L’approche historico mathématique de E. Nagel et J. Newman est extrêmement instructive pour le non-initié et nécessaire pour le mathématicien, qui s’il travaille dans un domaine un peu éloigné de la logique, est aussi inculte qu’un homme qui croirait que rien n’a existé avant sa naissance ! Cela n’étonnera personne que cette partie débute par l’apport des Grecs et bien sûr non pas avec des théorèmes mais avec des problèmes impossibles : à l’aide de la règle et du compas, triséquer un angle quelconque, construire un cube de volume double à celui d’un cube donné et construire un carré d’aire égale à celle d’un cercle donné ; à croire que chez les penseurs de cette époque seul l’impossible vaut d’être exigé ! Et comme toujours on passe ensuite directement au XIXe siècle, comme si rien n’avait existé entre les deux – ce qui est absolument vrai à plusieurs points de vue -, dont la contribution la plus importante a été de montrer qu’il est possible de donner une démonstration de l’impossibilité de démontrer certaines propositions dans un système donné ! Ensuite de nombreux exemples illustrent le problème de la consistance. Cette présentation est complétée par une analyse pédagogique de la démonstration de Gödel, qui est précédée de l’exposé du curieux paradoxe de Richard. La deuxième partie est comme nous l’avons annoncé au début la traduction de l’article original de K. Gödel – ce qui représente déjà en soi une justification de notre intérêt pour ce livre – soulignons toutefois que la lecture de ceci sans la lecture préalable de la première partie ne saurait s’effectuer sans une formation mathématique de haut niveau et une patience de monomaniaque. On ne peut rien dire d’autre sans être technique, aussi passons directement à la troisième partie. C’est à J.-Y. Girard que nous devons ce petit chef-d’oeuvre épistémologique. La maîtrise de l’auteur spécialiste de la théorie de la démonstration, permet au lecteur de prendre du recul – ce qui est nécessaire car il est toujours difficile de s’exprimer lorsque l’on se trouve au pied du mur (et le monument gödelien est très haut !) – en relativisant les retombées philosophiques du théorème de Gödel. Le ton acerbe avec lequel est formulée la critique du programme de Hilbert, réjouira plus d’un lecteur moderne. Aussi affirmatif que Kazantzakis, il « a-déifie » le résultat de Gödel en montrant à quoi il peut servir en particulier en informatique, encore faut-il s’entendre sur le sens de servir. En effet, ici, il s’agit plutôt de ne pas l’utiliser pour progresser, cela tient bien sûr du caractère négatif de l’incomplétude. Nous conseillons aux encéphales sensibles de ne pas lire le passage sur la gödelite car toutes les idées reçues du commun des mortels sur l’autoréférence sont littéralement atomisées !