370 - De la pathologie comme révélateur humain
N. Lygeros
Bien qu’il soit par définition difficile d’établir le sens strict du terme pathologie il existe néanmoins un consensus relatif dans le milieu médical normal i.e. sans l’intervention de la bioéthique et de son apport novateur dans le domaine. Cependant le but de cet article n’est pas la remise en cause directe de la terminologie habituelle. Il s’agit plutôt de considérer la pathologie dans son environnement et d’étudier l’interface.
Dans la société, l’homme en tant qu’individu n’existe que sur le plan social et non humain. Dans ce sens, l’homme n’est qu’une maille dans le tissu social. L’individu normal en tant qu’individualité n’existe plus car il est enchevêtré dans le filet des relations sociales car il n’existe pas de réalité autre que sociale. Les hommes et leurs modèles se mêlent dans un monde artificiel qui se construit sur les rapports sociaux et non humains. Dans ce cadre, l’individu pathologique apparaît comme une singularité.
Cependant en examinant cette singularité à travers la conception que met en évidence l’expression je pense donc je souffre et donc j’existe nous discernons l’apport fondamental de la souffrance. Et il est vrai que devant la fatigue morale que représente la souffrance, les liens sociaux se tendent et parfois se déchirent. Combien de fois devant le malheur insupportable l’homme ne remet-il pas en cause sa condition ? Comme si la maladie et sa gravité relativisaient les problèmes du quotidien. De même l’individu à travers sa pathologie se libère peu à peu de la norme que lui impose la société. Ainsi son entourage normal finit par être choqué par son comportement. Mais il serait sans doute subversif de s’interroger précisément si l’entourage est choqué par sa réelle maladie ou par l’effondrement des liens artificiels de la société ?
Dans ce cadre, nous apercevons la faille que peut représenter la pathologie dans la différence qui existe entre la sociabilité et l’humanité d’un individu. Caractériser une personne de sociable est un élément positif dans le jugement de la société. Même si ce jugement est fréquent, il n’en perd pas pour autant sa valeur. Alors que l’aspect humain d’une personne n’est pas nécessairement considéré comme une qualité. En effet l’humanité surtout si elle est extrême est jugée dans un premier temps comme une faiblesse voire une nuisance. Nous retrouvons ce fait dans l’expression humain trop humain. Ainsi le substrat naturel de la normalité n’est pas l’humanité mais la société. Aussi l’individu qui préfère l’humanité à la société est jugé comme anormal.
L’homme qui pense l’humanité est donc naturellement mis dans une catégorie pathologique. Et dans l’autre sens l’individu qui souffre d’une pathologie est observé comme un homme qui n’est plus qu’un humain sans contenance sociale. Dans la normalité, les deux modèles se confondent. Pourtant comme pour l’individu normal, il est plus facile d’analyser le pathologique que l’extrême, il apparaît que la pathologie peut-être aussi interprétée comme un révélateur humain. Il est d’ailleurs remarquable de constater comment la société jugent certaines oeuvres de malades comme des entités criantes de vérité. La mise à nu que provoque la maladie, en libérant l’individu de son corset social, fait découvrir à l’entourage certains aspects de la profondeur humaine.
Dans un monde social, où l’individu n’existe qu’à travers le regard des autres, il est difficile de supporter l’humanité qui se dégage du pathologique. Pourtant si la pathologie est considérée comme un cas extrême de la normalité, il est alors possible de concevoir, dans le cas le moins favorable, cette entité comme un moyen d’analyser et de comprendre réellement le sens de l’homme, cet homme qui n’est plus seulement une maille du tissu social mais un élément essentiel bien que non unique de cette entité que nous devons encore découvrir à savoir l’humanité.