3736 - Transcription de la lettre 15 de R. Fraïssé à N. Lygeros (13/10/1990)
N. Lygeros
Je retiens 5 exemplaires du N° 7 (novembre) en plus de l’exemplaire courant sur mon abonnement ; je retiens que le prix est passé à 11F ce que j’ai vu seulement après l’envoi de mon chèque 1 samedi 13/10/90
avec ta dédicace qui me touche beaucoup.
le paragraphe 2. Ci-joint la nouvelle version de
J’ai assez bien connu Abraham Robinson, qui était | |
avec de pesants ultraproduits, pour que ce soit, par exemple, enseignable au niveau de la licence de math et que l’on puisse faire admirer à un étudiant non exceptionnellement doué les différentielles “naturelles” dx et dy donnant comme quotient = dérivée de y par rapport à x. Encore une fois, étant mauvais lecteur je suis prêt à changer d’avis su un collègue m’adresse son cours d’analyse réelle niveau licence, fondé sur l’analyse non-standard avec : définition de la dérivée = quotient des nombres non standard dy par dx. Tu vois, je ne te suis d’aucun secours sur cette question, puisque j’attends moi-même le secours d’un pédagogue talentueux en cette matière. (4) J’aime Don Quichotte mais je le plains et je ne le suivrais pas dans un commando dont il prendrait la tête. Il y a tellement de choses intéressantes à faire et qui sont faisables, sinon par moi-même du moins par mes successeurs (tu devines où je veux en venir), que je n’éprouve pas le besoin d’attaquer des moulins à vent ou plus généralement d’entreprendre des combats perdus d’avance et sans relève possible par la postérité. Mais évidemment, il est très difficile de savoir à l’avance si un combat sera utile; et je me suis accusé déjà devant toi d’avoir attendu trop longtemps pour apprendre la physique, parce que je ne voyais qu’un jeu dans la ramification ; à chacun ses défauts : je n’ai manqué que de folie, il eut été sage d’être plus fou. (5) Ce serait trop long de discuter par lettre au sujet de Dieu : ce sera plus expéditif d’en parler à nos prochaines rencontres. Je jette seulement quelques jalons. Je te comparerai au jeune Arthur Rimbaud qui, avec bcp de courage à son époque, écrivait “Merde à Dieu” sur les murs de Charleville-Mézières ou de Paris par la suite. Egalement au poète (dont j’ai oublié l’identité) auteur de l’alexandrin “Si je croyais en Dieu, je serais pour le diable”. Quant à moi,j’adopterais volontiers cette réponse d’un agnostique (dont j’ai perdu le nom) : “Dites-moi qui est Dieu et je vous dirai si j’y crois” (6) Le sexe a été assez important dans ma vie, bien que je n’y aie sacrifié que moyennement ma tranquillité, ma vie intellectuelle | |
et mon argent. Par exemple, j’ai rompu avec 2 une compagne très aimée, lorsque par lucre elle exigea que j’arrondisse mon salaire par l’esclavage des leçons supplémentaires, alors qu’étant agrégé je gagnais déjà correctement ma vie … et la sienne. Un peu plus tard, j’ai divorcé d’avec ma première épouse qui, très peu intellectuelle, me faisait perdre le plus clair de mon temps en magasinages, accompagnements chez le coiffeur etc. (elle refusait même d’apprendre à conduire pour me soulager de telles corvées : étrange à notre époque de féminisme militant). J’aurais aimé les cultes païens du sexe; néanmoins je ne souscris pas à la célèbre maxime de Louis-Ferdinand CÉLINE (Voyage au bout de la nuit) lorsqu’il affirme, par la bouche du Professeur PARAPINE : “entre le pénis et les mathématiques, il n’y a rien, rien, rien”. Il y a au moins la musique classique. (7) J’aime assez ton quatrain VÉRITÉ, mais où est le jeu de mots sur “musée” dans le dernier vers “afin que l’homme cesse de la croire et l’envoie au musée”? Je donne ma langue au chat (je ne peux pas être toujours intelligent; je suis souvent lent à comprendre les histoires drôles) (8) Revenons à Michelstaedter, que je m’excuse d’avoir pris pour un soixante-huitard alors qu’il a pu, au même titre que MARCUSE, être une source d’idées pour les soixante-huitards… et les autres. Toujours est-il que j’aime ce poids à la fois pendant et dépendant (de son fil d’attache). J’aime la comparaison entre la chute du corps, finalement arrêté par l’obstacle, et l’instinct d’une perpétuelle survie, finalement arrêté par la mort. Je t’envie de comprendre dans le texte les citations grecques (connais-tu aussi le grec ancien?) dont je vais chercher en Note la traduction. Et pour parler vulgairement je suis prêt à bander pour Electre. Mais comment toi, si violement anti- chrétien (n’es-tu pas ému par le flirt de Jésus avec Marie-Madeleine et par son masochisme qui le conduit au supplice de la croix?) comment t’accommodes-tu des citations par Michelstaedter, de l’Ecclésiaste, des apôtres Jean et Mathieu, etc. Ton déjà vieil ami Roland P.S. Je viens seulement de changer mon ruban de machine à écrire; seule la page 0 (titre et sommaire) en a bénéficié. |