380 - De la diversité comme substrat altruistique
N. Lygeros
Le paradoxe du système égalitaire au sens le plus strict du terme provient du fait qu’en voulant abolir les privilèges de certains, il efface le droit des autres. En luttant contre la différence, il interdit la diversité. Par ce biais, le système égalitaire se transforme inexorablement en système totalitaire puisqu’il réduit tout individu à n’être qu’un composant d’une masse équivalente et uniforme. Aucun écart n’est tolérable puisqu’il remettrait gravement en cause le principe même du système. Dans ce cadre, à l’humain avec ses caractéristiques propres, le système préfèrera l’individu.
L’individu n’est évidemment pas considéré dans son sens initial à savoir tout être formant une unité distincte ou corps organisé vivant d’une existence propre et qui ne saurait être divisé sans être détruit. La sémantique diachronique est d’ailleurs tout à fait explicite puisque ce mot a acquis par la suite le sens de l’unité dont se composent les sociétés (1751) comme dans les expressions : les individus d’une fourmilière, d’une ruche, d’une colonie de coraux qui sont caractéristiques de sociétés idéales pour un système égalitaire, et enfin à partir de 1829, l’individu est devenu une personne quelconque que l’on ne peut ou que l’on ne veut pas nommer. Ainsi le système égalitaire par le nivellement des individualités transforme les hommes en individus. En niant le principe d’individuation de Leibniz, le système assure sa propre stabilité structurelle puisque toute originalité ou particularité est considérée comme un défaut. Seulement en effaçant toute différence, le système engendre l’indifférence sociale de la masse.
Une des caractéristiques de l’interêt pour quelqu’un c’est justement la différence qui provient de la diversité des humains. Car même si nous sommes semblables, ce qui nous caractérise ce sont avant tout nos différences. Et la richesse de l’humanité provient non seulement de la diversité propre des êtres mais aussi des relations humaines. Dans une société massifiée par le système, les relations sont équivalentes car les individus sont interchangeables. En termes structurels la représentation sociale est un graphe complet et le système contrôle chacun de ses sommets. Alors que dans un système libre, les relations humaines par leur diversité crée un graphe structurellement plus riche d’une part par ses arètes qui peuvent avoir différentes valeurs et d’autre part par ses sommets qui sont de nature différente. Dans ce cadre, l’autre n’est pas un simple clone de l’un. Ainsi l’être humain est dans un milieu hétérogène qui permet l’existence de la complémentarité. Les hommes ne peuvent être ni identiques ni égaux mais complémentaires. Par ce biais la notion d’alter ego est enrichie et ce, de manière considérable. Une des conséquences fondamentales de cet enrichissement, est l’existence de la possibilité de l’altruisme.
L’altruisme n’est possible qu’à travers la différence de l’autre car le semblable ne peut développer qu’une forme géneralisée d’égoïsme. L’altruisme quand à lui vit dans le complémentaire de l’être et représente une forme d’extension de son espace mental. L’enchevêtrement de ces espaces mentaux crée l’hyperentité que représente l’humanité du point de vue humain. Elle n’existe qu’à travers les êtres, elle n’est que ce qu’ils sont. Elle n’est donc pas comme le système le sommet d’une hiérarchie seulement une structure émergente. De plus comme par nature, l’altruisme trangresse toute classe sociale, l’humanité n’est pas la représentation d’une classe sociale quelconque. C’est en ce sens que l’humanité est associale. Nous voyons donc qu’à travers l’altruisme, l’humanité se construit sur la diversité.