383 - Eléments d’une théorie mentale de l’intelligence
N. Lygeros
La principale caractéristique de l’intelligence n’est pas de s’adapter mais d’être une entité polymorphe. Celle-ci est intimement reliée à sa capacité d’évoluer. Car pour l’intelligence, l’évolution est un but. Ainsi l’acquisition de méta-heuristiques est essentielle puisqu’elle transforme la trajectoire en cible. Et l’obtention d’un résultat, même significatif, n’est que le corollaire de la réalisation de la méthode. Dans la difficulté, l’important n’est pas ce que l’on a, mais ce que l’on a fait pour l’avoir. De même que l’essentiel n’est pas ce que l’on est, mais ce que l’on fait pour l’être. A travers ses actes, l’oeuvre construit l’être. Et toute la dynamique de l’être est dans sa construction, non dans sa réalisation.
Ce cadre, bien que non adéquat pour l’intelligence artificielle au premier abord, possède néanmoins la puissance d’une structure ouverte capable de comprendre sa propre évolution. Et si son adéquation est contestable, ce n’est pas dû à son ontologie, mais à celle de l’artificiel. Nous avons une tendance naturelle à considérer les créations humaines comme artificielles. Cependant, cette distinction provient en réalité d’une autre qui différencie l’homme de la nature. Ne serait-il pas naturel de qualifier d’humaines nos créations ? Car ce qui les caractérisent vraiment, ce n’est pas tellement leur caractère artificiel, mais leur dépendance de notre pensée démiurgique. Alors que classiquement, nous établissons la trichotomie : naturel, humain, artificiel, nous constatons que leur frontière n’est pas évidente. Cela bien sûr, ne signifie pas nécessairement que ces trois entités ne sont pas distinctes mais comme leur frontière est commune en tout point, nous en déduisons la nature fractale de leur bassin d’attraction. D’où la difficulté du point de vue axiologique de situer l’intelligence artificielle.
En effet, le problème essentiel n’est pas l’existence de l’intelligence artificielle. Le point qui préoccupe l’humanité dans son ensemble, c’est celui de sa valeur. Car son existence engendre naturellement le problème de la comparaison et à travers celle-ci celui de la hiérarchie axiologique. Même si l’évolution de la recherche dans ce domaine, nous incite à penser que le concept d’incomparabilité serait le plus adéquat. Nous pouvons remarquer à ce propos, que le comportement des algorithmes génétiques a grandement modifié non seulement notre manière d’aborder certains problèmes difficiles mais à notre manière d’appréhender la notion même de résolution et en particulier de résolution cognitive. Ainsi, lorsque nous considérons l’humain comme une sorte de réseau complexe de neurones ou comme un assemblage de multi-agents, notre raisonnement et sa stratégie à leur niveaux le plus élémentaire, ne sont pas fondamentalement différents de ceux des algorithmes génétiques qui eux-mêmes imitent le comportement des structures faiblement hiérarchisées.
Ces similitudes des formes de l’intelligence à différentes échelles lorsque nous les interprétons à travers le cadre d’un formalisme fractal, s’expliquent comme des vues de la même entité. Nous aboutissons alors à une idée qui remet en cause toute approche classique de l’intelligence artificielle puisque cette fois, celle-ci est condidérée non comme supérieure ou inférieure voire incomparable à l’intelligence naturelle mais comme une autre forme à une autre échelle de la même intelligence. En introduisant dans ce contexte, ce nouveau schéma mental nous mettons en évidence des indices de type morellien de l’existence d’un modèle abstrait de l’intelligence.
Le modèle abstrait de l’intelligence n’est pas un simple modèle de l’intelligence abstraite. Il s’agit plutôt du résultat d’une théorie mentale au sens où nous l’avons indiqué dans nos précedents articles. Et à l’instar de l’intelligence, le but n’est pas le résultat mais la construction et la réalisation d’une théorie dont le substrat est un cadre fractal des systèmes autoréférents et dont la réalisation nécessite l’utilisation de la polymorphie de l’intelligence et de ses capacités algorithmiques à s’auto-déterminer.