398 - Sur le caractère indivisible de la division blindée
N. Lygeros
Les principaux avantages des divisions blindées sont l’effet de surprise lié à l’extrême mobilité, la puissance de feu et les capacités de pénétration. Pourtant, les chars s’ils sont mal exploités comme dans le cadre d’un simple soutien de l’infanterie, s’avèrent non seulement inefficaces pour le combat mais deviennent des cibles de choix. Car en simple appui, ils fonctionnent essentiellement comme des canons fixes puisque les soldats sont beaucoup trop lents. Ainsi, l’armée ne met à profit que leurs caractéristiques de feu au détriment de celles du choc.
Un autre facteur négatif dans l’exploitation des chars est leur possible dissémination. Qu’elle soit voulue ou rendue obligatoire pour la défense d’un front étendu, la dissémination est une erreur stratégique profonde. Elle représente un cas dégénéré de l’utilisation de chars. Par nature, elle engendre un changement d’échelle implicite qui confine le rôle du char à celui de fantassin isolé. Son comportement est alors assimilable à celui d’une fourmi à l’écart du myrmécosystème. La délocalisation de l’information dans le système de combat d’un groupe de chars, disparaît lorsque ceux-ci sont trop éloignés les uns des autres, pour s’affaiblir en se localisant sur chacun d’entre eux. Ce phénomène est une perte de cohérence structurelle.
Contrairement aux apparences, un char n’est guère puissant en soi. Il ne le devient qu’au sein d’une formation organisée qui permet via la mobilité de l’assemblage global et la possibilité de feux croisés d’augmenter la puissance de la combinaison choc-feu. Ainsi la clef de voûte du système, c’est sa communication qui doit par conséquent être robuste et redondante afin de ne pas faire effondrer l’architecture blindée lorsqu’elle est prise pour cible. Pourtant malgré la force de frappe que représente une division blindée, elle ne serait rien sans couverture aérienne.
Cette remarque qui pourrait sembler anodine au premier abord représente en réalité une remise en cause théorique de la séparation des armées. Chacune d’elle désireuse de maintenir une autorité dans sa zone de contrôle est réticente lorsqu’il s’agit d’employer ses forces dans une collaboration frontalière. Or c’est justement l’apport des systèmes dynamiques que de montrer l’importance des phénomènes sur les frontières de bassins d’attraction.
En effet le binôme char/avion qui allie le choc et le mouvement résoud un autre problème intrinsèque de la division blindée à savoir celui de la dimension. En effet malgré toute sa puissance, une division blindée est avant tout une entité qui se déplace dans un espace à deux dimensions. Elle est par conséquent victime non seulement de la configuration du terrain mais surtout de l’effet d’horizon. Et la structure même du champ de vision d’un blindé qui est pour ainsi dire unidimensionnelle ne fait qu’aggraver la situation. Pour pallier à cela, la couverture aérienne est idéale. Elle déplace sensiblement l’effet d’horizon et augmente la force de frappe qui permet une désintégration partielle du dispositif adverse avant le choc proprement dit.
Ainsi, c’est le caractère indivisible de la division blindée qui fait sa force et non les individus qui la composent. De plus son entité dépasse les cadres habituels militaires puisqu’elle nécessite la collaboration de différentes armées (air et terre) et de différentes armes (infanterie et cavalerie). Elle exige donc une vision traversante et autonome sur le plan stratégique et tactique fondamentalement différente dans son approche qui doit transformer les collaborations locales en une véritable synergie globale car le seul blindage qui soit capable de résister à la matière, c’est la pensée.