40 - Analyse de : Hasard et Chaos
N. Lygeros
Voilà enfin un livre de science, non technique, critique et agréable. C’est vraiment l’exemple parfait de ce que devrait être la vulgarisation; en effet l’auteur exploite admirablement bien le duo : livre, notes. Dans le livre tel un papillon – de Lorenzi – il voltige de sujet en sujet, s’arrêtant souvent pour butiner quelque idée fondamentale alors que dans les notes tel un ver de terre – de Darwin – il explore en profondeur les racines du thème qu’il étudie offrant ainsi au lecteur d’une part l’émerveillement des découvertes de la science et d’autre part les références indispensables pour qu’il aille au-delà. Mais ce n’est pas précisément pour cette raison que le livre est exceptionnel – il est vrai que l’auteur l’étant cela aide ! – car il aurait très bien pu se contenter d’être descriptif.
En allant sans doute par delà la pensée de l’auteur l’on pourrait dire qu’il exhibe un fait fondamental : la Science n’existe pas, seuls les scientifiques existent. Ainsi en désacralisant la science – ne la traite-t-il pas d’amorale et d’irresponsable ? – David Ruelle prouve que l’activité de recherche est terriblement humaine. C’est donc avec une habileté judicieuse qu’il décortique les faiblesses de cette structure et c’est avec le rire aux larmes que l’on prendrait ses propos si l’on ne devinait pas derrière ceux-ci l’amertume d’un homme qui a dû subir plusieurs vicissitudes à cause de son originalité !
Une autre caractéristique de cet ouvrage, est le dialogue qu’impose l’auteur au lecteur. Aussi il s’en dégage l’impression que le livre a été écrit pour être lu par un lecteur doué d’une intelligence critique à qui l’on fait comprendre que son rôle n’est pas celui d’un récepteur passif mais celui d’interlocuteur désirant comprendre et discuter les connaissances qu’on lui fait découvrir ! Bien sûr on pourrait rétorquer que tout cela est purement formel, néanmoins cette complicité baudelairienne qu’instaure Ruelle lui permet d’exprimer avec franchise tout ce qu’il a sur le cœur ou plutôt sur l’encéphale.
Autre fait passionnant : c’est la volonté de comprendre la créativité scientifique, de mettre en évidence les différents paramètres qui interviennent dans son essor comme la curiosité sexuelle, l’arrêt de l’évolution de l’âge mental, la nécessité chez le scientifique lorsqu’il était enfant d’expérimenter le monde qui l’entoure. Cette attitude est sans doute à rapprocher de celle de Hadamard, avec en plus une réflexion pertinente sur l’intelligence artificielle.
Somme toute ce qui est essentiel dans ce livre, c’est l’aspect épistémologique de la pensée de l’auteur, car en fait il s’appuie sur l’histoire de la génèse de la théorie du chaos pour étudier le comportement des scientifiques, et son talent dans ce genre d’analyse n’est pas moindre que celui de Lakatos.
Finalement on ne peut accuser David Ruelle que d’une seule chose dans toute sa brillante synthèse c’est de ne pas avoir mentionné le fait qu’il était lui-même un attracteur étrange !