415 - De la codification de l’altruisme comme réalisateur ontologique
N. Lygeros
Bien que la notion d’altruisme puisse sembler évidente à la lecture de la définition du dictionnaire qui la décrit comme une disposition à s’intéresser et à se dévouer à autrui et précise son sens philosophique en tant que doctrine qui considère le dévouement à autrui comme la règle idéale de la moralité, une approche directe de celle-ci est jugée irréaliste. Certes des travaux récents en sociobiologie qui exploitent les idées formelles développées par les stratégies de la théorie des jeux, mettent en évidence des possibilités de codification explicite de l’altruisme. Et en même temps, ces mêmes travaux montrent de manière indirecte l’ampleur et la complexité de cette notion.
Par nature, l’altruisme met en difficulté toute approche analytique puisque son concept dégénère lorsque l’on tente de l’appréhender localement. De même qu’une vision simplement globale est incapable de la différencier d’un solipsisme supérieur. Car sa structure est fondamentalement holistique. Nous pourrions non seulement dire que le tout est la partie et la partie, le tout mais aussi que ces notions n’ont pour ainsi dire pas de sens dans l’altruisme. De même nous avons l’habitude en théorie des graphes de distinguer les sommets, des arêtes d’un graphe ou d’un réseau mais la complexité structurelle remet en cause cette distinction. Non pas par l’épaisseur du graphe associé qui serait malgré tout décomposable, ni par sa densité qui serait localement mesurable mais par sa mentation dont l’une des images les moins erronées serait celle de la fonction d’onde que nous avons en mécanique quantique ou plus précisément le phénomène de cohérence. En effet même s’il est possible de coder l’ensemble initial, son auto-organisation provoque un changement de phase holistique qui nécessite un autre codage ou un codage capable de supporter structurellement ce changement de phase.
De plus, autant il est concevable de saisir la notion d’altruisme proche autant celle de l’éloigné provoque une rupture dans le paradigme cognitif. Dans le premier cas, l’altruisme apparaît comme une interaction particulière de composantes moyennes dans un cadre systémique qui les méta-gère. Tandis que dans le second, l’interaction est d’une part délocalisée et d’autre part elle n’intervient qu’à travers la structure profonde de la mentation du système considéré en tant que substrat. En termes plus humains, il est plus facile de se représenter l’amour du prochain que celui de l’humanité dans son ensemble. Pourtant si l’altruisme proche n’a un sens ce n’est qu’en raison de l’existence de l’altruisme éloigné.
Nous voyons qu´à l´instar de l´intelligence, l´altruisme se comporte comme une structure invariable d´échelle ainsi que nous l´avons présenté dans notre article intitulé: ”Eléments d´une théorie mentale de l´intelligence”. Aussi au sens fort du terme, l´altruisme par sa structure générique, a la capacité de devenir universel ; non comme une simple nécessité de l´évolution au sens de Darwin mais comme une stratégie cognitive holistique. Localement, l´altruisme a un coût supérieur pour l´entité qui l´engendre par rapport à l´égoïsme. Il n´est justifiable que lorsque l´horizon temporelle dépasse la réalité immédiate et cette vision nécessite l´intelligence. Aussi lorsqu´il s´agit de l´altruisme éloigné, seule une intelligence extrême est capable de supporter son poids structurel. C´est pour cette même raison qu´il sera fondamental de penser à l´échelle de l’humanité toute entière. Seule cette intelligence supra-humaine sera capable de l’éthicité de son ontologie. Et l´altruisme au sens complet du terme cette fois, sera la pierre de touche de cette vision du monde mais aussi de l´image que nous donnerons au monde. Car, comme Friedrich Nietzsche l´a écrit: ”Le monde te prend tel que tu te donnes.”