421 - Sur l’apport cognitif des paradoxes mathématiques
N. Lygeros
Du point de vue strictement cognitif, l’un des apports les plus importants des mathématiques c’est la remise en cause de nos concepts originels que nous nommons communemment l’intuition. Celle-ci se forme selon l’évolution de l’individu et celui de son entourage dans un empirisme essentiellement naïf. Seulement il est souvent difficile de prendre conscience de l’importance de nos erreurs dans ce domaine puisqu’elles nous semblent pour ainsi dire par définition, naturelles. Aussi seule la puissance des mathématiques grâce à leur formalisation extrême peut nous permettre d’étendre nos connaissances jusqu’à ce qu’elles traversent l’horizon de notre intuition. Nous avons tous une vision personnelle d’entités aussi fondamentales que le temps et l’espace sans nécessairement nous rendre compte qu’elle s’appuie sur des modèles choisis arbitrairement et ce pour des raisons de facilité arbitraire. Cependant lorsqu’il s’agit de les codifier afin d’argumenter sur leur choix, ces modèles s’effondrent sous la cohérence de la pensée. Et si ce n’est pas le cas, c’est uniquement en raison de leur non scienticité. Car un modèle scientifique est nécessairement falsifiable au sens de Popper. Une manière puissante de se rendre compte des faiblesses de notre vision c’est la mise en évidence du fait qu’elle engendre des paraboles. Et la compréhension de ces dernières nécessite sa remise en cause. Afin de prendre un exemple concret de cette approche nous allons nous intéresser à notre vision de l’espace. Nous nous contentons bien sûr d’une notion d’espace sans dimension temporelle afin de ne pas toucher les problèmes qui sont dus au caractère irréversible de ce dernier. Aussi notre espace ne comportera que trois dimension. En 1924, Banach et Tarski ont démontré un théorème tellement surprenant pour notre intuition spatiale qu’il est désormais qualifié de paradoxe Banach-Tarski. Il s’énonce de la manière suivante : Si $x$ et $y$ sont des sous-ensembles de $R^3$ d’intérieurs non vides alors il existe une partition de $x$ et de $y$ en un nombre fini de parties disjointes telle que $x_i$ est convergent à $y_i$ pour tout $i$. Sous cette forme, il n’est pas immédiatement visible pour un non spécialiste en quoi il représente un paradoxe ; aussi regardons sa continuation cognitive, un résultat obtenu en 1947 par Robinson. Ce dernier a montré que l’on pourrait diviser la boule unité en cinq parties de facon à reconstituer deux boules unité. Il a de plus mis en évidence que l’une des parties était réduite à un point. Cette fois, le paradoxe est on ne peut plus clair même si nous avons encore tendance à le surinterpréter et lui donner par ce biais une forme qu’il n’a acquis qu’en 1956 grâce au résultat de Dekker et De Groot. En effet ceux-ci ont montré que chacune des parties pouvait être connexe. Il s’agit donc bien de ce que notre esprit pouvait sous-entendre en entendant l’énoncé initial. Sans s’arrêter strictement au paradoxe, que pouvons-nous dire de son apport cognitif ? Son apport le plus profond pour nous c’est de montrer de manière exemplaire la non-validité de notre modèle cognitif spatial. Il n’est pas simplement remis en cause, il s’effondre sous son propre poids une fois qu’il est complètement formalisé. Or ce modèle que nous pouvons à présent qualifier de naïf est pour ainsi dire la base de toute modélisation théorique classique de phénomènes où interviennent plus ou moins explicitement des boules. Et puisque ce modèle est falsifié, quid de ces modélisations ? En remettant notre intuition en cause, les mathématiques, via les paradoxes engendre la nécessité de créer.