4258 - De la lumière à la matière chez Leonardo de Vinci

N. Lygeros

Jamais avant Leonardo de Vinci, la lumière et la matière n’avaient trouvé un assemblage aussi inséparable. Cette unité dans la vision n’est pas sans rappeler la révolution d’Albert Einstein avec l’introduction de la notion d’espace-temps. Aussi rechercher à séparer la lumière de la matière est peine perdue dans l’œuvre de Leonardo de Vinci. Considérons l’extrait suivant pour saisir combien cet amalgame est robuste dans la pensée du maître de la Renaissance.

« Les formes d’un corps quelconque t’obligent à choisir la lumière dans laquelle tu imagines ces figures […] »

C’est cette obligation qu’il est important de connaître pour comprendre les visages de Sainte-Anne ou de la Joconde. Car Leonardo de Vinci recherche le parcours d’un rayon de lumière dans toute sa longueur sans s’arrêter au premier obstacle.

« Et cela peut se produire grâce aux longs rayons lumineux qui s’insinuent entre les toits, frappent les murs et viennent pourrir sur le parement de la rue, avant de ricocher à nouveau sur les parties sombres des visages qui s’en trouvent illuminés. Et ce long rayon lumineux qui provient du ciel et qui rythme le bord des toits, surplombe de front l’entrée de la rue et se porte loin, très loin jusqu’aux zones sombres situées sous les parties saillantes du visage que peu à peu il éclaire, pour enfin se perdre sur le menton tandis que de chaque côté subsistent, à peine sensibles, des dégradés de sombre. »

Comme nous le voyons, l’écrit du maître met en exergue la réalité de l’absence de frontière entre la lumière et la matière. Car pour lui la matière serait invisible sans la lumière. Ainsi il met en évidence la notion d’observable dans le sens de Werner Heisenberg. Le peintre ne se contente pas de peindre ou de dépeindre, il réfléchit au moindre détail capable de mettre en avant l’objet qui devient sujet par l’intervention de sa main.

« […] si tu fais ces corps en plein air, ils seront entourés d’une grande quantité de lumière, le soleil étant couvert […]

Ce point met en évidence le fait que Leonardo connaissant bien le phénomène suivant : la lumière voilée éclaire bien plus l’objet parce qu’elle projette sur lui moins d’ombre.

« [le soleil] s’il les atteint, les ombres seront très noires en comparaison des parties éclairées et les contours de ces ombres, tant primitives que dérivées, seront nets. Ces ombres seront peu accentuées à la lumière, car d’un côté la clarté vient de l’azur de l’air, qui teint de sa couleur tout ce qu’il regarde (et cela se voit très bien sur les objets blancs) »

Cette dernière remarque va dans le sens de ce que montreront par la suite les théories de la lumière élaborées par Isaac Newton et Johann Wolfgang von Goethe. Seulement cette réflexion se trouve au début d’une théorie scientifique car à cette époque la science n’en était pas encore et en ce sens, Leonardo da Vinci est véritablement un précurseur.